Sécurité des travailleurs sur les chantiers de construction : un entrepreneur reconnu coupable d’homicide involontaire

Le 1er mars 2018, la Cour du Québec a rendu un jugement fort attendu en regard d’une première accusation d’homicide involontaire coupable et de négligence criminelle contre un employeur à la suite d’un accident de travail impliquant un décès. L’honorable Pierre Dupras, j.c.q. a déclaré l’entrepreneur, Sylvain Fournier, coupable de l’homicide involontaire à l’égard de la mort de son employé, Gilles Lévesque.

Les faits

Le 3 avril 2012 à Lachine, un employé de l’entreprise Excavation S. Fournier inc. est enseveli dans une tranchée et décède. Le travailleur se trouvait dans la partie la plus profonde de la tranchée qui mesurait 2,6 mètres de profondeur.

L’entrepreneur Sylvain Fournier, présent sur les lieux lors de l’accident, est également partiellement enseveli.

Lors de son enquête, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST, maintenant remplacée par la CNESST) relève plusieurs manquements au Code de sécurité des travaux de construction (CSTC), notamment l’absence d’étançonnement des parois de l’excavation et des déblais de terre déposés directement au sommet de la paroi, en plus du fait que l’entreprise n’avait pas de programme de prévention ni de méthode de creusage et que le travailleur décédé n’avait pas reçu de formation.

Suivant cet accident, la CSST a émis un constat d’infraction en vertu de l’article 237 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, jugeant que l’employeur a agi de manière à compromettre directement et sérieusement la sécurité d’un travailleur lors de l’exécution de travaux d’excavation. Ce dossier est toujours pendant.

De plus, la Régie du bâtiment du Québec a annulé la licence d’entrepreneur de S. Fournier Excavation inc. en avril 2015, parce que de l’avis de la Régie, le dirigeant de l’entreprise n’était pas en mesure d’établir qu’il pouvait exercer avec compétence et probité des activités d’entrepreneur compte tenu de ses comportements antérieurs.

Le jugement

À la suite d’un procès de plusieurs jours, la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale a rendu, le 1er mars 2018, sous la plume de l’honorable Pierre Dupras, un jugement par lequel il reconnaît Sylvain Fournier coupable d’homicide involontaire en lien avec l’accident de travail mortel. 

Le juge déclare aussi l’accusé coupable de négligence criminelle, mais en raison de la règle qui prohibe les déclarations de culpabilité multiples, il prononce un arrêt des procédures sur ce chef. 

En ce qui a trait à l’homicide involontaire coupable, la Cour justifie sa décision en indiquant que la conduite de Sylvain Fournier : 

  • contrevenait aux obligations édictées à l’article 3.15.3 du CSTC et constituait ainsi un acte illégal ayant causé la mort;
  • était objectivement dangereuse et constituait un écart marqué par rapport à la conduite d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances;
  • la largeur et la profondeur de la tranchée ainsi que l’angle des parois à 90 degrés, la distance insuffisante des dépôts de déblai et le fait que le travail d’excavation et de raccordement devait être complété manuellement rendait objectivement prévisible le risque de lésions corporelles. 

Concernant l’accusation de négligence criminelle, la Cour retient essentiellement que les gestes de l’accusé constituaient : 

  • une omission de faire quelque chose qu’il était de son devoir légal d’accomplir, soit les obligations légales lui incombant en vertu de l’article 217.1 du Code criminel et de l’article 3.15.3 du CSTC;
  • une insouciance déréglée ou téméraire de la part de celui-ci à l’égard des conséquences prévisibles de ses gestes, notamment la mort d’un travailleur et;
  • un écart marqué et important avec celui d’une personne raisonnablement prudente qui aurait prévu que ce comportement posait un risque pour la vie ou la sécurité d’autrui. 

La décision de la Cour du Québec est une première en la matière et envoie un message clair aux entrepreneurs du Québec quant à l’importance à accorder à la sécurité sur les chantiers de construction et à l’importance de suivre la réglementation applicable en cette matière, puisque le non-respect d’une norme imposée par le CSTC constitue, de l’avis de la Cour, un acte illégal pouvant donner lieu à des accusations d’homicide involontaire coupable, dans le cas où un décès survient en raison de l’acte illégal. 

Il sera intéressant de suivre les représentations sur sentence dans ce dossier puisqu’une déclaration de culpabilité à une infraction d’homicide involontaire coupable entraînera vraisemblablement à une peine d’emprisonnement. 

Les auteurs tiennent à remercier Olivier Scheffer, stagiaire, pour sa contribution au présent article.