Recours collectifs multijuridictionnels : la preuve dans un recours parallèle ne peut être aveuglément importée au Québec

Le 31 août 2015, la Cour supérieure, dans l’affaire Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC) c. Société financière Manuvie et al.1 a rendu une décision d’importance concernant la possibilité pour un demandeur québécois dans un recours collectif d’importer la preuve versée dans le cadre d’un recours collectif progressant simultanément dans une autre province.

Avec la prolifération des recours collectifs multijuridictionnels, l’essor de consortium de procureurs agissant en demande simultanément dans différentes provinces et la coordination croissante de leurs efforts, ce jugement est d’un intérêt particulier et clarifie les règles et limites à la production de documents communiqués dans un autre recours collectif.

Le recours

Au cours de l’année 2009, des recours collectifs ont été entrepris au Québec et en Ontario à l’encontre des défendeurs dans le cadre d’un recours reprochant des manquements aux obligations de divulgation prévues à la législation en matière de valeurs mobilières applicable dans les deux provinces.

Au cours de l’année 2011, le recours collectif a été autorisé par la Cour supérieure du Québec. Pour sa part, le recours collectif ontarien a été certifié par la Cour supérieure de justice de l’Ontario en 2013.

Bien que les deux recours visent des faits et une cause d’action similaire, le recours ontarien exclut les membres du recours québécois. Les deux recours cheminent depuis en parallèle et sont menés par le même groupe de procureurs.

La demande de communication de documents

Dans le cadre des procédures judiciaires en Ontario, Manuvie eut à communiquer à la demanderesse des centaines de milliers de documents dans le cadre de ses obligations de divulgation de la preuve.

Par requête, la demanderesse du recours québécois demandait au Tribunal d’ordonner la communication de 99 584 documents à ce stade, et d’autres à venir, pour ses fins dans le cadre du recours au Québec.

Cette requête était fondée sur la pertinence alléguée des documents et l’intérêt pour les parties de présenter un dossier complet, et sollicitait l’usage des larges pouvoirs du juge de gestion de l’instance en vertu de l’article 1045 du Code de procédure civile.

La Cour supérieure, sous la plume de la juge Alicia Soldevia, rejeta cette requête de la demanderesse.

La Cour souligne que la production massive de centaines de milliers de documents, sans que la demanderesse n’établisse leur pertinence, court-circuiterait les dispositions du Code de procédure civile et frustrerait l’économie de nos règles de procédures. La Cour souligne que la production des documents en Ontario ne les rend pas, de ce fait, pertinents au recours québécois.

Notamment, les règles de procédures civiles ontariennes et les principes du « document discovery » prévoient des modes de communication de la preuve différents de ceux en vigueur au Québec. Se fondant sur la décision dans l’affaire Hydro-Québec c. Churchill Falls (Labrador) Corporation Ltd.2, la Cour rappelle que les règles de divulgation de la preuve des juridictions de common law ne peuvent être importées au Québec.

Aussi, la communication par Manuvie des documents en Ontario dans ce contexte ne la lie aucunement quant à leur pertinence devant les tribunaux québécois.

La requête de la demanderesse est ainsi tardive, contraire à l’intérêt de la justice, au principe de la proportionnalité et de nature à faire dérailler l’entente sur le déroulement de l’instance. Accueillir la demande serait de nature à complexifier le débat et alourdir le litige.

Finalement, bien que la Cour souligne que les justiciables pourraient avoir intérêt dans l’harmonisation des règles de procédures des recours collectifs soulevant des questions de droit et de fait similaires dans plusieurs juridictions canadiennes, la solution à cette problématique relève du pouvoir législatif.

Conclusion

La décision dans Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC) c. Société financière Manuvie et al. dresse des balises encadrant l’usage de la preuve recueillie dans le cadre de recours collectifs parallèles.

Bien que la décision ne ferme pas la porte à la production ciblée de documents communiqués dans le cadre d’une autre instance, il impose à la partie de démontrer leur pertinence en fonction du régime de la preuve québécois.

De façon générale, il apparaît fondamental que les documents puissent être utilisés ou divulgués à des fins autres que le litige dans lequel ils furent produits, et que leur communication ne soit pas en violation d’une règle de droit ou d’une ordonnance de la Cour dans le for d’origine.

Malgré le chemin parcouru, ce jugement rappelle les difficultés toujours existantes en regard de la conduite de recours collectifs multijuridictionnels. Il s’agit là certainement d’un élément additionnel à considérer par les parties dans la gestion de tels recours collectifs.


1 C.S. 200-06-000117-096, 31 août 2015. Langlois Kronström Desjardins représente des défendeurs en l’instance.
2 2014 QCCS 3969.