Recours collectifs : la Cour suprême du Canada réaffirme la libéralité des conditions d’ouverture du recours collectif au Québec

Le 16 janvier 2014, la Cour suprême du Canada a rendu une décision d’importance en matière de recours collectifs dans l’affaire Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1.

Trente-quatre (34) ans après l’introduction du mécanisme du recours collectif au Québec, la Cour suprême réaffirme avec conviction la libéralité des conditions d’ouverture d’un recours collectif et précise, notamment, comment doit être abordé l’un des critères d’autorisation d’un recours collectif, à savoir l’exigence voulant qu’un recours collectif ne soit autorisé qu’en présence de « questions de droit ou de fait identiques, similaires et connexes » sous-jacentes à un tel recours.

Ce critère a fait couler beaucoup d’encre au cours des dernières années, mais il est déjà à prévoir que la décision de la Cour suprême du Canada ne viendra pas clore le débat à ce sujet.

Les faits

Au cours de l’année 2008, l’appelante Vivendi Canada inc. (« Vivendi »), une entreprise de production et de distribution de vins et spiritueux, apportait des modifications à son régime d’assurance-maladie au bénéfice de ses retraités et conjoints survivants (le « Régime ») en vigueur depuis plusieurs années afin d’en limiter la portée et les avantages.

S’estimant lésé, l’intimé instituait en 2009 une demande d’autorisation d’exercer un recours collectif au profit de tous les bénéficiaires du Régime et des personnes à charges admissibles afin de faire reconnaître leurs droits en vertu du Régime avant sa modification par Vivendi, ainsi que pour réclamer des dommages découlant de cette modification unilatérale.

Le jugement de la Cour supérieure

En Cour supérieure1, le juge Mayer concluait que la nature des questions en litige ne pouvait permettre la satisfaction du critère de l’article 1003 a) du Code de procédure civile (C.p.c.), requérant que le recours collectif proposé soulève des « questions de droit ou de fait identiques, similaires et connexes ».

Selon la Cour supérieure, la détermination des droits acquis de chacun des membres en vertu du Régime, leur opposabilité et le bénéfice en découlant ne saurait être tributaire que d’une analyse individualisée, tenant compte, notamment, de leur date d’embauche, la date de leur retraite, le contenu de leur contrat de travail, les modifications ayant été apportées au Régime ou leur province de résidence.

Ainsi, en présence d’un tel faisceau de recours individuels et sans même procéder à l’analyse des autres critères d’autorisation, la Cour supérieure rejetait l’autorisation d’exercer le recours collectif au motif qu’il ne présentait pas de questions identiques, similaires et connexes.

L’arrêt de la Cour d’appel

Pour la Cour d’appel2, la Cour supérieure a commis une erreur en concluant que la détermination de la légalité des modifications au Régime nécessitait une analyse individualisée de la situation des membres. La Cour d’appel retenait aussi que la question de savoir si les membres avaient droit aux avantages postretraite relève de l’étude du fond du recours collectif proposé et que la Cour supérieure avait erré en s’engageant dans cette analyse au stade de l’autorisation.

En effet, rappelait la Cour d’appel, l’étape de l’autorisation d’un recours collectif est un simple mécanisme de vérification et de filtrage ne devant par aborder le fond du litige. Le critère de l’article 1003 a) C.p.c. requiert simplement la démonstration que les questions communes proposées soient susceptibles de faire avancer de façon significative les recours individuels des membres.

Pour la Cour d’appel, l’étude de la portée et de la légalité des modifications au Régime se pose à l’égard de tous les membres et peut faire avancer de façon significative le recours de tous les membres, et les différences factuelles existant entre les membres n’affecte pas l’utilité de cette analyse. Au stade de l’autorisation, le débat n’est pas de départager les réclamations individuelles des membres ni de résoudre les obstacles susceptibles de surgir devant le juge du fond.

Conséquemment, et estimant que les autres critères d’autorisation de l’article 1003 C.p.c. étaient satisfaits, la Cour d’appel autorisait l’exercice du recours collectif en l’instance.

La décision de la Cour suprême du Canada

Sous la plume des juges LeBel et Wagner, la Cour suprême du Canada confirme à l’unanimité la décision de la Cour d’appel et l’octroi de l’autorisation d’exercer un recours collectif dans cette affaire.

Dans le cadre de son arrêt, la Cour s’intéresse plus particulièrement au cadre d’analyse d’une requête pour autorisation d’exercer un recours collectif, à l’incidence de la règle de la proportionnalité consacrée à l’article 4.2 C.p.c. et aux exigences découlant de l’article 1003 a) C.p.c. en regard des « questions communes ».

Dans un premier temps, bien que le juge d’autorisation bénéficie d’un pouvoir d’appréciation important, son rôle consiste à déterminer si les critères d’autorisation de l’article 1003 C.p.c. sont satisfaits, sans plus.

La Cour suprême du Canada précise que le juge ne tranche qu’une question procédurale au stade de l’autorisation et doit se garder de se pencher sur le fond du litige.

Dans le cadre de son examen, et malgré l’importance du principe de la proportionnalité dans la procédure civile, le juge n’a pas à se demander si le recours collectif est le véhicule procédural le plus adéquat. Quoique le principe de proportionnalité renforce le pouvoir d’appréciation du juge au stade de l’autorisation et puisse être considéré dans l’appréciation de chacun des critères d’autorisation, il ne constitue pas un « cinquième critère » permettant de rejeter à lui seul une requête pour autorisation d’exercer un recours collectif.

[…] L’article 1003 est clair : lorsque le juge d’autorisation est d’avis que les quatre critères sont respectés, il doit autoriser le recours collectif. Il n’a pas à se demander si le recours collectif est le véhicule procédural le plus adéquat. […] [L]e juge d’autorisation ne peut pas, au nom du principe de la proportionnalité, refuser d’autoriser un recours qui respecterait par ailleurs les critères établis.3

La décision de la Cour suprême du Canada présente, par ailleurs, les enseignements les plus intéressants quant à la satisfaction du critère de l’article 1003 a) C.p.c. en regard des « questions communes ».

Ce critère, commun à celui de toutes les provinces canadiennes, emporte de déterminer si l’autorisation d’un recours collectif permettra d’éviter la répétition de l’appréciation des faits ou de l’analyse juridique.

Confirmant la jurisprudence jusqu’alors établie, la Cour suprême confirme qu’une question sera considérée comme commune si elle permet de faire progresser de façon non négligeable le règlement de la réclamation de chacun des membres du groupe. Ainsi, la seule présence d’une question commune suffit pour satisfaire au critère énoncé à l’article 1003 a) C.p.c., sauf si cette question ne joue qu’un rôle négligeable quant au sort du recours.

Or, la Cour suprême vient aussi préciser, contrairement à la croyance de plusieurs, que l’exigence d’une « question commune » n’emporte pas nécessairement celle d’une « réponse commune ». Selon la Cour, une question demeure commune bien qu’une réponse nuancée puisse lui être donnée pour chacune des réclamations des membres. Le critère de la question commune ne sera toutefois pas satisfait si le succès d’un membre est de nature à provoquer l’échec d’un autre membre.

[…] une question commune peut exister même si la réponse qu’on lui donne peut différer d’un membre à l’autre du groupe. Ainsi, pour qu’une question soit commune, il n’est pas nécessaire que le succès d’un membre du groupe entraîne nécessairement celui de tous les membres du groupe.4

En somme, la question commune ne doit pas être de nature à créer des conflits d’intérêts entre les membres du groupe; il ne peut y avoir de gagnant au détriment d’un autre membre du groupe.

Dans le cadre de son analyse, la Cour suprême insiste également sur les particularités du régime québécois du recours collectif comparativement aux régimes existant dans les autres provinces au Canada.

La Cour Suprême retient que le Code de procédure civile est rédigé en termes plus larges et plus flexibles que la loi des autres provinces canadiennes. Il en découle que les critères d’autorisation québécois sont nécessairement moins exigeants, plus particulièrement en regard du critère de l’article 1003 a) C.p.c., qui n’appelle pas à une réponse commune et qu’il importe de ne pas confondre avec le test des « common issues » des juridictions de common law.

Ainsi, dans la mesure où les questions communes proposées sont de nature à faire progresser le débat et ne jouent pas un rôle négligeable quant au sort du litige, le critère de l’article 1003 a) C.p.c. devrait être satisfait. Ce seuil est peu élevé au Québec conclut la Cour suprême.

L’analyse de la Cour suprême mène à l’inéluctable conclusion que les exigences relatives à l’autorisation d’exercer un recours collectif au Québec sont plus souples que dans les autres provinces et aux États-Unis et visent à favoriser l’exercice de recours collectifs.

L’approche québécoise à l’égard de l’autorisation se veut ainsi plus souple que celle appliquée dans les provinces de common law, bien que celles-ci demeurent généralement fidèles à une interprétation favorable à l’exercice des recours collectifs. Elle est également plus flexible que l’approche suivie actuellement aux États-Unis.5

Quant au recours collectif proposé en l’instance, la Cour suprême du Canada adopte un raisonnement similaire à celui de la Cour d’appel suivant lequel l’étude de la validité ou la légalité des modifications au Régime est une question commune non négligeable permettant l’autorisation d’un recours collectif. La Cour reconnaît aussi que l’examen des réclamations des membres pourra mener à des résultats différents, mais cela n’est pas de nature à faire naître entre eux des conflits d’intérêts.

Cette décision de la Cour suprême du Canada consacre le principe suivant lequel l’autorisation d’exercer un recours collectif n’est qu’une simple étape procédurale visant à favoriser l’accès à la justice. Le Québec apparaît, par ailleurs, sans conteste comme le terreau le plus fertile au Canada favorisant l’institution de recours collectifs et les entreprises étant poursuivies en recours collectifs doivent adapter leurs stratégies à cette réalité.

La Cour suprême du Canada semble aussi avoir élargi la portée du critère de l’article 1003 a) C.p.c. à la lumière de ses propres arrêts antérieurs et de la jurisprudence québécoise en la matière.

Il faudra surveiller attentivement l’application que fera la Cour supérieure du Québec de ces nouveaux enseignements et comment sera abordée l’adjudication au mérite de recours collectifs présentant une question dont la réponse sera différente pour chacun des membres du groupe.

Rappelons, en effet, que peu importe la largesse ou la flexibilité des critères d’autorisation d’un recours collectif au Québec, il n’en demeure pas moins que les requérants demeurent tenus de prouver leur réclamation au mérite, stade auquel les règles usuelles du débat contradictoire s’appliquent avec toute leur vigueur.


1 Dell’Aniello c. Vivendi Canada inc., 2010 QCCS 3416.
2 Dell’Aniello c. Vivendi Canada inc., 2012 QCCA 384.
3 Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, paragr. 67-68.
4 Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, paragr. 45.
5 Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, paragr. 57.