Recours civils utiles en matière de fraude

La fraude commerciale est un fléau qui est fort difficile à prévenir ou encore à détecter. L’omniprésence de l’informatique et le nouveau monde virtuel ont ouvert de nouvelles portes qui permettent aux malveillants de diversifier leurs méthodes frauduleuses ou les ont rendues plus difficiles à prévenir. Pensons simplement à toutes les nouvelles qui relatent des vols d’identité, des clonages de cartes à puce, des détournements d’argent, des fraudes financières et de valeurs mobilières, de vols de secrets commerciaux, de contrefaçons ou de piratage de données, pour ne nommer que ceux-ci.

Une entreprise victime d’une fraude commerciale aura souvent recours à diverses méthodes d’enquête pour établir l’ampleur, la portée de la fraude et les personnes impliquées. Parfois, l’entreprise aura recueilli suffisamment d’information pour intenter des recours civils visant, entre autres, et dans la mesure du possible, à récupérer une partie ou la totalité des dommages subis.

Parmi ces recours, il est possible de recourir aux traditionnelles requêtes en injonction et aux saisies avant jugement, bien connues par les civilistes québécois. Par l’injonction, l’entreprise victime de fraude cherchera à obtenir une ou plusieurs ordonnances de la Cour pour faire ou cesser de faire un acte déterminé. Par la saisie avant jugement, l’entreprise cherchera à saisir un ou plusieurs biens connus, s’il est à craindre que, sans cette mesure, le recouvrement de la créance de l’entreprise soit mis en péril.

Toutefois, d’autres moyens, parfois trop méconnus, existent. Afin de bien connaître l’étendue de la fraude, d’obtenir et de sauvegarder la preuve nécessaire au succès d’un procès, les procureurs peuvent recourir à des recours qualifiés d’extraordinaires et d’armes nucléaires du droit civil par les tribunaux : l’ordonnance d’injonction Anton Piller et l’injonction Mareva.

Dans le premier cas, il s’agit d’une ordonnance d’injonction de « se laisser fouiller et de se laisser saisir », obtenue ex parte (hors la présence du défendeur). L’ordonnance d’injonction a pour but d’empêcher le défendeur de faire disparaître ou de détruire la preuve visée par l’ordonnance. L’injonction Mareva, quant à elle, souvent qualifiée de freezing order par nos confrères de common law, enjoint le défendeur de ne pas se départir de l’ensemble de ses actifs, peu importe où ils se trouvent.

Ces recours extraordinaires ne sont toutefois accordés par les tribunaux que dans la mesure où des conditions fort exigeantes sont remplies. Pour les ordonnances Anton Piller, on parlera ici d’un commencement de preuve très solide, d’un préjudice réel (ou possible) très grave. Il faut avoir une preuve manifeste que le défendeur a en sa possession la preuve recherchée. Il faut également avoir des éléments de preuve démontrant la possibilité sérieuse d’une destruction de preuve par le défendeur si ce dernier reçoit signification des procédures avec un délai de réponse. Quant à l’injonction Mareva, en plus du respect strict des critères généraux de l’injonction, il faut faire la preuve que le défendeur possède des actifs et que, sans cette injonction, il aura tôt fait de s’en départir ou de les mettre hors de la portée de la justice.

Lorsqu’ils sont accordés, ces recours offrent des avantages évidents pour la partie demanderesse. Ils peuvent faciliter l’obtention de la preuve nécessaire à un dossier, voire la saisie d’actifs importants. Ils ont même un impact sur le déroulement ultérieur des procédures et, par conséquent, sur l’efficacité d’un jugement éventuel. Dans certains cas, ces recours encourageront aussi une résolution rapide du litige entre les parties, le fraudeur n’ayant ici plus rien à gagner à poursuivre le débat judiciaire.

Puisque ce type d’ordonnance requiert des éléments de preuve importants, complets et précis pour convaincre un tribunal d’en autoriser l’émission, les coûts engendrés en début de dossier sont importants. Cela dit, compte tenu que leur émission et leur exécution ont souvent pour effet d’encourager le défendeur à régler le litige rapidement, les coûts peuvent être moindres ou s’équivaloir lorsqu’on les compare à un dossier qui se déroule sur plusieurs années.

Il existe aussi un autre recours, méconnu de plusieurs juristes, situé entre la saisie avant jugement, l’injonction et l’ordonnance Anton Piller. Il s’agit de la « saisie avant jugement avec autorisation », utilisée pour saisir les données informatiques et documents confidentiels appartenant à la partie demanderesse et qui auraient été pris, sans droit, par la partie défenderesse.

En effet, bien qu’il soit possible de procéder à une saisie-revendication sans l’autorisation du tribunal lorsqu’il s’agit de biens physiques mobiliers appartenant à la partie demanderesse, lorsqu’on parle de données informatiques, enregistrées sur support informatique du défendeur, cette saisie-revendication nécessite une certaine forme de fouille. Les tribunaux ont donc déterminé que, dans ces cas, l’autorisation du tribunal était requise.

Beaucoup moins intrusive qu’une ordonnance Anton Piller, et beaucoup moins coûteuse, cette saisie-revendication avec autorisation est limitée aux ordinateurs et autres supports informatiques. Selon les circonstances et selon la preuve qui est recherchée, ce recours peut représenter une avenue intéressante pour l’entreprise lésée dans ses droits. À titre d’exemple, sans qu’il soit possible de prouver une fraude, il est parfois possible de prouver qu’un employé a transmis à une adresse personnelle de courriers électroniques plusieurs documents confidentiels de l’entreprise, et ce, peu de temps avant d’avoir remis sa démission. Dans un tel cas, la saisie revendication avec autorisation peut s’avérer un outil fort utile dans l’arsenal du droit civil québécois.

Ainsi, malgré les fraudes et malversations de plus en plus présentes dans le visage québécois, nous constatons que le droit civil québécois évolue et s’adapte, offrant aux victimes des recours mieux adaptés à leurs besoins.