Quel est l’impact de la crise de la COVID-19 sur vos obligations professionnelles et déontologiques?

Au Québec, plusieurs se demandent quel est l’impact de la crise de la COVID-19, qui sévit depuis les derniers mois, sur leurs obligations déontologiques et professionnelles. Heureusement pour la protection du public, la pandémie n’a pas assoupli les obligations déontologiques des professionnels membres d’un ordre régi par le Code des professionsou encore, d’un organisme d’autoréglementation. Tous les professionnels, que leurs services aient été considérés comme étant essentiels ou non, ont généralement pu continuer d’exercer leur profession. Certains se sont également vu imposer, dans l’exercice de leurs activités professionnelles, des obligations particulières pour se plier aux consignes et directives gouvernementales en matière de normes sanitaires.

En effet, tous les professionnels demeurent assujettis à leur code de déontologie et à l’ensemble des lois régissant l’exercice de leur profession, et ce, malgré la crise actuelle.

Cette crise pourrait inévitablement amener les syndics à mener des enquêtes disciplinaires à l’égard de comportements suspicieux adoptés par des professionnels durant la crise, voire même au dépôt de plaintes disciplinaires.

Quel est cependant l’impact de la force majeure ou des clauses exonératoires de responsabilité sur les obligations déontologiques d’un professionnel?

 

La force majeure

La force majeure a déjà été soulevée à titre de défense en matière disciplinaire, mais a toutefois été rejetée dans les cas répertoriés. La force majeure, définie à l’article 1470 du Code civil du Québec, est un événement imprévisible et irrésistible qui rend absolument impossible l’exécution d’une obligation. La force majeure ne constituera généralement pas une défense en matière disciplinaire dans un domaine où la protection du public est l’objectif premier. Toutefois, vu la crise actuelle sans précédent, le fait de savoir si la COVID-19 pourrait être un élément de force majeure, et donc constituer un moyen de défense à une infraction disciplinaire dépendra de chaque cas et des faits de l’affaire. Cela étant dit, alors qu’il est certainement possible de plaider que la crise de la COVID-19 fut imprévisible et irrésistible aux mois de février ou mars 2020, elle ne l’est certainement plus à ce jour. Désormais, l’impact de la pandémie fait partie de la réalité de tous les professionnels québécois qui ont l’obligation de déployer les mesures nécessaires pour adapter leur pratique. Ainsi, les conséquences de la COVID-19 ne peuvent plus être considérées comme étant imprévisibles.

À titre illustratif, dans l’affaire Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Bellemare2, le syndic reprochait à l’intimé d’avoir fait preuve de négligence dans ses rapports et ses communications avec son client. Le syndic reprochait à l’intimé de n’avoir rien fait relativement au dossier d’un client, et ce, durant un certain moment, même avant qu’il soit radié du Barreau du Québec. L’intimé plaidait toutefois que sa radiation constituait un cas de force majeure ayant entraîné la résiliation du contrat de services avec son client. Le Conseil de discipline a rejeté ce moyen de défense au motif que la radiation n’était pas imprévisible, mais bien prévisible et qu’elle avait été causée par le défaut de l’avocat de payer sa cotisation professionnelle. Il souligne toutefois qu’il : juge important de rappeler que la défense de « cas fortuit ou force majeure » peut être invoquée lorsqu’un événement, totalement imprévisible et hors du contrôle de la personne qui l’invoque, se produit3.

Dans l’affaire Pharmaciens (Ordre professionnel des) c. Fortin4, le Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec procédait à l’audition d’une plainte portée à l’endroit de l’intimée à qui l’on reprochait d’avoir fait preuve de négligence dans l’exercice de sa profession lors de la vérification d’une ordonnance, commettant ainsi une infraction à l’article 77 (1) du Code de déontologie des pharmaciens. La vérification d’un pilulier constituant une obligation de résultat, pour être acquittée, l’intimée devait prouver la force majeure ou encore, la faute de la patiente ayant fait en sorte qu’elle ne lui remette pas le bon médicament. N’ayant pu faire la démonstration d’une force majeure ou de la faute de la patiente, l’intimée a été condamnée.

Dans une autre affaire5, le comité de discipline a conclu que les difficultés financières et la situation matrimoniale vécue personnellement par l’intimé ne pouvaient constituer un cas de force majeure l’exonérant de son obligation de respecter un engagement, soit de payer certains frais relatifs à un certificat de localisation.

 

Les clauses exonératoires de responsabilité

Alors qu’il existe une certaine ouverture à ce qu’un professionnel invoque la force majeure à titre de défense, il est cependant clair que les clauses exonératoires de responsabilité sont nulles de nullité absolue, et ce, même durant l’actuelle période de pandémie.

Plusieurs codes de déontologie interdisent d’ailleurs expressément aux professionnels d’exclure ou de limiter leur responsabilité dans le cadre de l’exercice de leur profession6. À titre d’exemple, l’article 3.04.01 du Code de déontologie des dentistes interdit à un dentiste d’insérer, dans un contrat de services professionnels, une clause excluant directement ou indirectement, en totalité ou en partie, sa responsabilité civile7. Quant au Code de déontologie des comptables professionnels agréés8, celui-ci interdit la clause de limitation de responsabilité. L’expression « limiter » a le même sens que celle de s’exonérer ou d’exclure en totalité sa responsabilité, ce qui signifie qu’un professionnel ne peut exclure sa responsabilité en partie. Dans la décision J. William Dufort c. Chagnon9, l’intimé, un avocat, a été reconnu coupable d’avoir requis des personnes qui désiraient retenir ses services, qu’elles signent une formule intitulée « Mandat et convention d’honoraires », donnant ainsi à sa profession un caractère de lucre et commercialité. En effet, cette convention prévoyait que si le mandat était retiré à l’avocat celui-ci ne serait pas tenu responsable ni directement ni indirectement des conséquences. À l’époque, le Comité de discipline du Barreau du Québec avait alors mentionné que l’avocat ne pouvait éluder sa responsabilité civile envers son client ou tenter de le faire.

Par ailleurs, même si le code de déontologie du membre ne régit pas de manière explicite l’interdiction de limiter ou d’exclure sa responsabilité, une telle manière d’agir pourrait tomber sous le coup de l’article 59.2 du Code des professions10, soit la commission d’un acte dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de la profession.

À la lumière de ce qui précède, il est clair qu’un professionnel qui choisit de poser un acte professionnel en cette période de pandémie engage pleinement sa responsabilité et ne peut l’exclure même si les circonstances particulières actuelles diffèrent de la situation normale qui prévaut habituellement.

 

Conclusion

Malgré cette situation sans précédent, les professionnels ne doivent pas oublier que la protection du public, mission première des ordres professionnels, n’a pas été suspendue en raison de l’urgence sanitaire due à la COVID-19. Ainsi, les professionnels doivent continuer à maintenir les plus hauts standards d’éthique, à défaut de quoi ils pourront s’exposer à une plainte disciplinaire. 


1 R.L.R.Q. c. C.-26.
2 2010 QCCDBQ 11.
Ibid, paragr. 125.
4 2015 CanLII 84336 (QC CDOPQ).
5 Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec c. Lussier, 2018 CanLII 9897 (QC OACIQ).
6 Voir notamment : Art. 21 du Code de déontologie des comptables professionnels agréés, R.L.R.Q. c. C.-48. 1, r. 6 ; art. 28 du Code de déontologie des notaires, R.L.R.Q. c. N.-3, r. 2 ; art. 3.04.01 du Code de déontologie des dentistes, R.L.R.Q. c. D.-3, r. 4 ; art. 46 du Code de déontologie des avocats, R.L.R.Q. c. B.-1, r. 3.1.
7 Code de déontologie des dentistes, RLRQ c. D-3, r 4, art. 3.04.01.
8 RLRQ c C-48.1, r 6, art. 21.
9 J. William Dufort, ès qualités de syndic-adjoint du Barreau du Québec c. Chagnon, décision rendue par le Comité de discipline du Barreau du Québec le 8 février 1983, 06-81-00042. Confirmé par le Tribunal des professions le 23 février 1984, C.P.M. 500-02-026152-830.
10 À titre d’exemple, voir Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Williot, 2012 CanLII 101901 (QC CDOIQ).