Peut-il y avoir une garde simultanée d’un terrain contaminé?

En vertu des articles 31.43 et 31.49 de la Loi sur la qualité de l’environnement (« LQE »), le ministre du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs (le « ministre ») peut ordonner la caractérisation et la réhabilitation d’un terrain contaminé à toute personne qui a ou a eu la garde de ce terrain depuis le 1er mars 2003.

L’article 31.43 LQE précise que la garde d’un terrain contaminé peut être « à titre de propriétaire, de locataire ou à quelqu’autre titre que ce soit ». Le gardien pourrait être un créancier. 

La notion de garde d’un terrain contaminé n’est pas définie dans la loi. Or, lorsqu’il s’agit d’interpréter une loi particulière comme la LQE, il existe une présomption selon laquelle la référence à un concept du droit commun doit s’entendre comme une référence au concept défini ou utilisé dans le Code civil du Québec (« C.c.Q. »)1.

Le concept de garde est utilisé à l’article 1465 C.c.Q. qui prévoit que le « gardien d’un bien est tenu de réparer le préjudice causé par le fait autonome de celui-ci, à moins qu’il prouve n’avoir commis aucune faute ». En cette matière, la jurisprudence et la doctrine reconnaissent que la garde d’un bien comporte un pouvoir de contrôle, de direction et de surveillance.

Récemment, dans l’affaire Société d’assurances générales Northbridge c. 9180-2271 Québec inc. (Restaurant Pizzicato)2, le juge Dumas devait déterminer qui exerçait la garde des installations électriques ayant causé un incendie. Dans sa décision, le juge Dumas a souligné que la garde d’un bien est alternative et non cumulative, de sorte que la garde simultanée d’un bien n’existe pas en droit civil québécois :

« [38] L’identité du gardien d’un bien est une question de fait. Pour déterminer qui est gardien d’un bien, il s’agit de savoir qui exerce sur ce bien un pouvoir de contrôle, de direction et de surveillance.

[39] Bien que de façon générale, le propriétaire est celui qui exerce un contrôle de surveillance et de direction sur un bien, il arrive fréquemment que le détenteur d’un bien exerce sur celui-ci un pouvoir de contrôle. 

[40] Comme le mentionne les auteurs Jean-Louis Baudoin et Patrice Deslauriers : 

« 1-900 – Généralités – La garde s’appréciant directement par rapport au pouvoir de contrôle, de surveillance et de direction sur le bien, rien n’empêche le gardien habituel de la transférer momentanément à une autre personne. Ainsi en est-il du propriétaire à l’égard d’un usufruitier ou d’un locataire. Pour déterminer cependant si une véritable transmission a eu lieu, seule une analyse factuelle et détaillée du pouvoir qu’exerce celui dont on veut retenir la responsabilité sur l’objet est révélatrice. »

[41] Un peu plus loin, les auteurs ajoutent que la garde d’un objet est toujours alternative et jamais cumulative. Il ne peut donc jamais y avoir plus qu’un gardien dont la responsabilité serait engagée. »

[Soulignement ajouté] 

Conclusion 

Outre les articles 31.43 et 31.49 LQE portant sur la caractérisation et la réhabilitation des terrains, le législateur réfère à la notion de garde dans les pouvoirs qui sont conférés au ministre en vertu des articles 114.1, 115.0.1 et 115.1 LQE, lesquels permettent d’engager la responsabilité de celui qui a la « garde ou le contrôle » de contaminants3. Il sera donc intéressant de suivre comment les tribunaux appliqueront la notion de garde dégagée en droit civil québécois dans des affaires concernant la LQE.


1 Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2009, no 1287, p. 402.
2 2014 QCCS 1304.
3 À la suite de la tragédie du 6 juillet 2013 à Lac-Mégantic, le ministre a émis les ordonnances nos 628 et 628-A en vertu de l’article 114.1. Dans ces ordonnances, la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, la Montréal, Maine & Atlantique Canada cie et la Montréal, Maine & Atlantic Railway Ltd sont visées sous le volet de la responsabilité découlant de la « garde ou le contrôle » de contaminants. Ces ordonnances sont présentement contestées devant le Tribunal administratif du Québec et ce dernier pourrait devoir se pencher, entre autres, sur la notion de garde simultanée.