Obligation d’accommodement et LATMP : la CSST et la CLP devront dorénavant en tenir compte

Le 15 juin dernier, la Cour d’appel du Québec a rendu une décision historique portant sur l’obligation de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) et de la Commission des lésions professionnelles (CLP) d’évaluer dans un contexte de droit de retour au travail si l’employeur s’est conformé à son obligation d’accommodement raisonnable. Il s’agit de la décision Commission de la santé et de la sécurité au travail c. Caron1

Les faits sont assez simples : un éducateur dans un centre d’accueil est victime d’une lésion professionnelle, soit d’une épicondylite au coude gauche. Éventuellement sa lésion est consolidée avec des limitations fonctionnelles qui l’empêchent de refaire son emploi prélésionnel d’éducateur. Conformément à la procédure prévue à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la LATMP), l’employeur indique qu’aucun autre emploi respectant ses limitations fonctionnelles, soit un « emploi convenable » au sens de la LATMP, n’est disponible pour le travailleur. Il met donc fin à l’emploi du travailleur. Le travailleur bénéficiera des services de réadaptation prévus à la LATMP afin que la CSST puisse déterminer un emploi ailleurs sur le marché du travail. 

Le travailleur croit plutôt que l’employeur dispose de deux emplois qui pourraient lui convenir en faisant certaines adaptations. Il s’adresse donc à la CLP puisqu’il prétend que le processus de détermination d’un emploi convenable à l’interne devrait être repris afin de s’assurer du respect de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne (la Charte) et d’évaluer si l’employeur s’est conformé à son obligation d’accommodement découlant de cette loi. 

La CLP rejette les prétentions du travailleur et confirme une jurisprudence constante selon laquelle les dispositions de la LATMP constituent en elles-mêmes un accommodement raisonnable et l’employeur n’a aucune obligation additionnelle allant au-delà de ce qui est prévu par cette loi2. La CLP conclut que l’employeur n’avait pas l’obligation d’offrir un emploi convenable respectant les limitations du travailleur et que le processus de réadaptation ailleurs sur le marché du travail doit se poursuivre. 

La Cour supérieure intervient en révision judiciaire3. Elle est d’avis que la CLP aurait dû déterminer si le travailleur était victime d’une atteinte illicite à un droit protégé par la Charte et exercer les vastes pouvoirs de réparation qui y sont prévus aux articles 49 et 52, ce qu’elle a omis de faire. Elle annule la décision de la CLP et retourne le dossier à la CLP pour qu’elle tranche la contestation du travailleur en prenant en compte le droit à l’égalité prévu par la Charte. 

La CSST a porté cette décision devant la Cour d’appel. Cette dernière rappelle qu’un travailleur qui conserve des séquelles d’une lésion professionnelle peut être considéré porteur d’un handicap. Conséquemment, le travailleur est protégé par la Charte et peut bénéficier d’un accommodement pour le maintenir en emploi puisque ce devoir d’accommodement de l’employeur transcende la loi, le contrat de travail et même la convention collective. La Cour énonce que « cette obligation d’accommodement incombe au premier chef à l’employeur qui doit prendre l’initiative de la recherche d’une solution acceptable pour tous »4. Bien que la LATMP n’impose aucune obligation à l’employeur d’offrir un emploi convenable au travailleur victime d’une lésion professionnelle, la Cour d’appel est d’avis que le caractère supralégislatif de la Charte impose à l’employeur l’obligation de tenter de trouver une mesure d’accommodement et que la CSST a l’obligation de vérifier si cet exercice a été fait par l’employeur. 

Par conséquent, à moins que l’employeur soit en mesure de faire la preuve qu’un accommodement lui cause une contrainte excessive, il devra : 1) mener une analyse visant à identifier les accommodements possibles et 2) offrir un poste respectant les limitations du travailleur tout comme il le ferait pour un travailleur conservant un handicap personnel. 

Quant au délai prévu à la LATMP permettant l’exercice du droit de retour au travail qui prévoit un délai d’un ou de deux ans, selon le cas, la Cour d’appel conclut que ce délai doit être un des facteurs à considérer, mais n’est pas déterminant. 

L’impact de cette décision est majeur pour les employeurs qui auront vraisemblablement le fardeau de démontrer à la CSST, à la CLP ou aux deux qu’une analyse personnalisée des accommodements possibles pour un travailleur handicapé a été faite. 

Cette décision vient certainement modifier grandement la pratique au sein de la CSST et il sera fort intéressant de suivre les développements jurisprudentiels sur le sujet. Les employeurs devront assurément modifier leurs pratiques et, à cet égard, il pourrait être opportun de mettre en place des politiques sur le sujet et de requérir, si nécessaire, des conseils juridiques sur la conduite de tels dossiers.


1 2015 QCCA 1048 (CanLII)
2 2012 QCCLP 3625 (CanLII)
3 2014 QCCS 2580 (CanLII)
4 par. 65 de la décision précitée, note 1