Nouveau jugement important en matière de réclamation pour délais et coûts d’impact en droit de la construction

Bien souvent, en présence d’une réclamation ou de la possibilité de réclamation en délais et coûts d’impact, les intervenants du monde de la construction posent immédiatement les questions suivantes : que signifie « coût d’impact »? Ce coût d’impact n’est-il pas déjà inclus dans le coût de chaque ordre de changement? Devrais-je ajouter ou refuser toute mention sur les directives et ordres de changement au sujet de délais supplémentaires ou coûts d’impact? Un arrêt du 10 avril 2015 de la Cour d’appel du Québec tente de répondre à ces questions.

Dans l’essentiel, l’arrêt Consortium MR Canada ltée c. Commission scolaire de Laval, 2015 QCCA 598 :

  • Distingue les notions de coûts d’impact, de frais généraux et de frais de siège social;
  • Réaffirme le principe selon lequel l’entrepreneur général doit « scrupuleusement » respecter la procédure permettant une modification du prix;
  • Valide le refus continuel de l’architecte d’accepter que l’entrepreneur ajoute une mention sur les directives et ordres de changement selon laquelle les « frais d’impact » engendrés par ladite modification et les frais relatifs aux délais seront traités séparément et ultérieurement.

Les faits sont les suivants : pour tous les ordres de changement sur le chantier en litige, le processus suivi par les parties était le même. L’architecte transmet à l’entrepreneur général des directives de changement. Celui-ci y répond par des demandes de changement, selon les termes du contrat. Sur chacune d’elles, l’entrepreneur général inscrit systématiquement une mention indiquant que son prix global n’inclut pas les « frais d’impact » engendrés par cette modification et les frais relatifs aux délais, lesquels devant être traités séparément et ultérieurement. En recevant cette demande de changement, l’architecte raye la mention ajoutée par l’entrepreneur général et précise que ces frais sont déjà inclus dans le contrat. L’architecte et l’entrepreneur général négocient par la suite un prix et fixent le nouveau délai pour l’échéance des travaux. Cette étape franchie, l’ordre de changement est préparé et envoyé à l’entrepreneur général. Celui-ci inscrit sur l’ordre de changement une mention analogue à celle figurant sur les demandes de changement et le retourne à l’architecte qui raye une fois de plus la mention et ajoute : non recevable, tous frais inclus. Dans chaque cas, l’entrepreneur général et le propriétaire s’entendent sur le prix des travaux requis par les ordres de changement, à l’exception des frais auxquels renvoie la mention rédigée par l’entrepreneur général. Il s’agit là du débat devant la Cour d’appel. La cause des délais n’est pas en litige en appel, ils ont été causés par le propriétaire.

Sur le plan des principes juridiques, en premier lieu, la Cour d’appel distingue les coûts d’impact, des frais généraux et des frais de siège social, si souvent réclamés en bloc dans ce type de cause, et assez confus dans la réclamation de l’entrepreneur général dans cette affaire. Les coûts d’impact seraient des coûts supplémentaires impossibles à associer à un changement particulier mais plutôt à des répercussions d’un changement ou de plusieurs changements sur le reste du projet, comme par exemple les frais additionnels en hiver. Selon nous, cette expression de coût d’impact crée beaucoup de confusion. Il ne s’agit, ni plus, ni moins, que d’un ensemble de frais indirects associés à un ou des changements. Normalement, l’entrepreneur général devrait être en mesure d’évaluer ces frais indirects au moment de la négociation sur le changement mais il peut arriver que cela ne soit pas possible en présence de circonstances particulières (par exemple, un changement majeur qui bouleverse le chantier ou une multitude invraisemblable de changements dont l’impact devient très difficile à évaluer lors de leur négociation). Quant aux frais généraux, ils ne doivent pas être confondus avec les frais de siège social. Les premiers sont des frais fixes engagés par l’entrepreneur général pour un chantier afin de le maintenir opérationnel. Les seconds ne peuvent être associés à un chantier en particulier, ils sont engagés pour administrer et exploiter l’entreprise dans son ensemble.

En deuxième lieu, la Cour d’appel réaffirme avec vigueur le principe de l’immuabilité des obligations respectives des parties dans un contrat à forfait et, en conséquence, le principe selon lequel l’entrepreneur général doit « scrupuleusement » respecter la procédure permettant une modification du prix. En l’espèce, les coûts réclamés qui s’apparentaient à des frais généraux, étaient connus de l’entrepreneur au moment des négociations de prix et par conséquent devaient être inclus dans les prix des demandes de changement et subséquemment dans les ordres de changement. L’architecte a donc eu raison de rayer à chaque fois les mentions de l’entrepreneur qui visaient à réclamer plus tard ces frais généraux.

En conclusion, comme le concède la Cour, les principes appliqués dans cette affaire ne sont pas transposables automatiquement dans d’autres cas, surtout dans la mesure où les clauses contractuelles concernant les changements peuvent varier grandement. Néanmoins, la Cour en arrive à des conclusions similaires à celles d’une affaire antérieure fort importante en la matière (Développement Tanaka inc. c. Corporation d’hébergement du Québec, 2011 QCCA 1278) alors que les clauses contractuelles étaient bien différentes. Autrement dit, un message semble être lancé par la Cour d’appel : les principes qu’elle établit dans la présente affaire sont parfois transposables à d’autres contrats.

Pour consulter le jugement complet, cliquez ici.