Modification de l’article 2503 C.c.Q. : une révolution dans le domaine de l’assurance au Québec

Introduction

Le domaine de l’assurance québécois s’est toujours distingué des autres provinces canadiennes par son obligation imposée aux assureurs par la loi de prendre fait et cause et d’assumer l’entièreté des frais de défense de leurs assurés, et ce, en sus des limites d’assurance. Rappelons que ces principes prévus aux articles 2500 et 2503 du Code civil du Québec sont d’ordre public et que nul ne peut y déroger1, contrairement aux provinces de common law où l’obligation de défendre est conventionnelle2.

Jusqu’à maintenant, les tribunaux ont donc appliqué très strictement cet article et ont confirmé dans plusieurs jugements l’importance accordée à l’obligation de défendre par le législateur québécois.

Par exemple, en 2015, la Cour supérieure a conclu qu’un assureur avait une obligation de défendre malgré la présence d’une clause stipulant que l’assureur ne faisait qu’avancer les frais de défense, sans obligation de défendre3. En 2013, la Cour d’appel a rappelé que l’obligation de défendre est obligatoire et distincte et a conclu qu’un assureur excédentaire avait une obligation de défendre, même si la police prévoyait seulement le paiement des frais de défense4. Récemment, la Cour d’appel a réitéré ces principes dans l’arrêt SNC-Lavalin inc. (Terratech inc. et SNC-Lavalin Environnement inc.) c. Deguise5.

Or, la donne pourrait être sur le point de changer. En effet, en mai dernier, le ministre des Finances, de l’Économie et de l’Innovation a présenté l’article 86 du Projet de loi 826 qui vise à modifier la portée de l’article 2503, afin d’y ajouter l’alinéa suivant :

L’assureur est tenu de prendre fait et cause pour toute personne qui a droit au bénéfice de l’assurance et d’assumer sa défense dans toute action dirigée contre elle.

Les frais et frais de justice qui résultent des actions contre l’assuré, y compris ceux de la défense, ainsi que les intérêts sur le montant de l’assurance, sont à la charge de l’assureur, en plus du montant d’assurance.

Le gouvernement peut toutefois, par règlement, déterminer des catégories de contrats d’assurance qui peuvent déroger à ces règles et à celle prévue à l’article 2500, de même que des catégories d’assurés qui peuvent être visés par de tels contrats. Il peut également prévoir toute norme applicable à ces contrats.

La loi a été sanctionnée le 2 juin 20217, mais aucun projet de règlement n’a été publié pour le moment.

 

Les objectifs du projet de loi et les changements envisagés

L’impossibilité pour un assureur de sortir du cadre rigide imposé par l’article 2503 C.c.Q. peut générer des difficultés pour certains types d’assurés d’obtenir un produit d’assurance à une prime raisonnable. Les frais liés à la défense de certains types de dossiers, par exemple les actions collectives, peuvent en effet être très élevés. Dans ses commentaires, le ministre a d’ailleurs spécifiquement référé à l’assurance-responsabilité des administrateurs et dirigeants des compagnies publiques. Il a également noté des problématiques d’assurance pour certaines entreprises privées comme les restaurants et les bars. Le ministre a mentionné qu’il ne ciblait pas les particuliers ou les PME par ce projet de loi.

La modification suggérée à l’article 2503 C.c.Q. prévoit seulement, pour le moment, qu’il sera possible de déroger aux règles des articles 2503 et 2500 C.c.Q. pour des catégories d’assurés et de contrats d’assurance, sans préciser dans quelle mesure. Le ministre est allé un peu plus loin dans ses commentaires lors de l’étude détaillée du projet de loi en Commission des finances publiques. Ainsi, il semblerait que le projet de loi vise deux objectifs :

  1. Permettre la possibilité qu’un contrat d’assurance n’ait pas à couvrir ou puisse couvrir partiellement les frais de défense d’un type d’assuré déterminé par règlement, et;
  2. Offrir à ce type d’assuré la possibilité d’avoir le libre-choix de son avocat et le contrôle de sa défense.

Le Bureau d’assurance du Canada (le « BAC ») a par ailleurs montré son appui au projet de loi, indiquant que le contexte économique dans lequel évoluent les entreprises d’aujourd’hui est plus diversifié et complexe8. Ainsi, les entreprises sont davantage exposées aux risques de poursuites et d’actions collectives qui impliquent leur responsabilité civile. Ce faisant, le législateur doit prendre en considération cette évolution et permettre une offre de produits d’assurance plus adaptée au marché.

 

Impacts potentiels des modifications

Cette modification aura vraisemblablement des impacts importants dans l’industrie de l’assurance. Il est difficile pour le moment d’en prévoir la portée, puisque le règlement spécifiant les types d’assurés et de contrats d’assurance visés n’est pas encore adopté. Le projet de loi actuel ne permet pas non plus de savoir jusqu’où iront les dérogations aux articles 2500 et 2503 C.c.Q. actuels.

Nous anticipons toutefois des impacts sur certains éléments au cœur même du contrat d’assurance responsabilité.

  • Sur la relation tripartite assureur/assuré/avocat

    Il est bien établi en jurisprudence que l’avocat mandaté par un assureur pour défendre un assuré est dans une situation unique, puisqu’il doit assurer loyalement la défense de l’assuré tout en se rappelant que la conduite de la défense appartient à l’assureur9. En pratique, il se peut que l’assureur et l’assuré n’aient pas la même vision. Ce faisant, l’avocat doit agir avec prudence, afin de ne pas se placer dans une situation de conflit d’intérêts.

    La modification de l’article 2503 C.c.Q. pourrait éviter de telles situations en permettant à l’assuré de piloter seul son dossier. Sous réserve de ce qui sera prévu par règlement, il se pourrait que l’assuré puisse décider de la stratégie à adopter en défense sans devoir obtenir le consentement de l’assureur. Dans une telle situation, l’avocat responsable du dossier n’aurait pas à gérer le double mandat entre l’assureur et l’assuré, puisque l’assuré serait le « maître » de son dossier.

    Des situations potentielles de conflit entre l’assuré et l’assureur pourraient tout de même subsister malgré les assouplissements.

  • Sur les marchés sous-standards

    Comme indiqué précédemment, le ministre a souligné, lors des débats parlementaires, que la modification vise essentiellement les compagnies publiques et non les individus ou les PME. Questionné sur le type d’entreprise visé, le ministre laisse sous-entendre que les résidences pour aînés pourraient être un bon exemple. Nous soulignons que plusieurs autres entreprises pourraient vouloir bénéficier de cette ouverture, par exemple les grands cabinets de professionnels.

    Dans la mesure où le règlement permettrait à l’assuré de piloter sa défense, cette modification pourrait avoir un impact sur la souscription des risques de type « sous-standard », tels les restaurants et les bars. Par exemple, le dirigeant d’une chaîne de restaurants pourrait vouloir assumer ses frais de défense et choisir ses propres avocats dans le cadre d’une poursuite, autant pour des raisons économiques que personnelles. Il s’agit d’un exemple de gestion de risques. Ainsi, le changement laisse croire qu’il y aura un impact important sur les départements de souscription des assureurs, qui devront également adapter leurs produits et leur tarification.

 

Conclusion

En conclusion, la modification de l’article 2503 C.c.Q. pourrait avoir un impact bénéfique pour les assureurs et les assurés. Toutefois, aucun règlement n’a été adopté à l’heure actuelle et beaucoup de questions demeurent. Il sera certainement intéressant de regarder l’évolution jurisprudentielle de ce changement important. Les cours québécoises s’inspireront peut-être de nos collègues anglo-saxons dans l’interprétation de la loi et de ses règlements. À suivre!

Les auteures aimeraient remercier M. William Bourgault, étudiant en droit, qui a participé à la recherche pour la rédaction de l’article.

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1 Article 2414 du Code civil du Québec.
2 Emmanuelle POUPART, « L’obligation de défendre de l’assureur et l’allocation des frais de défense » dans Commentaires sur le droit des assurances : Textes législatifs et réglementaires, 3e éd., Montréal, LexisNexis, 2017.
3 Boralex inc. c. AIG Insurance Company of Canada, 2015 QCCS 972.
4 Canadian National Railway Company c. Chartis Insurance Company of Canada (Commerce and Industry Insurance Company of Canada, 2013 QCCA 1271.
5 2020 QCCA 495
6 Loi concernant principalement la mise en œuvre de certaines dispositions du discours sur le budget du 10 mars 2020.
7 Le Projet de loi est maintenant disponible. Après sanction, l’article 84 concerne la modification de l’article 2503 du Code civil du Québec.

8 Lettre du BAC transmise dans le cadre de l’appui au projet de loi 82 modifiant les dispositions du Code civil du Québec sur l’obligation des assureurs en matière de frais de défense.
9 Groupe DMR Inc. c. Kansa General International Insurance Co. Ltd., 2003 CanLII 47987 (QCCA), EYB-2003-46291, au paragraphe 56.