L’impact de l’Accord économique et commercial global sur le droit de la propriété intellectuelle au Canada

Le gouvernement canadien décrit l’Accord économique et commercial global (« AECG ») comme un accord d’échange marquant, plus ambitieux que l’ALENA et ayant une portée plus large. Le texte de l’AECG vise notamment à fixer des standards pour les droits de propriété intellectuelle (les « DPI ») et à mettre en place des mesures afin d’atteindre les deux objectifs suivants :

  • faciliter la production et la commercialisation de produits novateurs et créatifs et la prestation de services entre le Canada et l’UE; et
  • assurer un niveau approprié et efficace de protection et d’application des droits de propriété intellectuelle.

Les principaux impacts de l’ACEG sur les DPI au Canada sont les suivants :

1. Brevets et produits pharmaceutiques

1.1. Rétablissement de la durée des brevets

Le rétablissement de la durée des brevets (« RDB ») permet de pallier des cas où les approbations de médicaments sont retardées dans le cadre du processus réglementaire d’approbations de commercialisation de Santé Canada. Par exemple, un retard dans l’approbation d’un médicament peut faire en sorte que le brevet expire au même moment où l’approbation est accordée par Santé Canada. L’ACEG a pour objectif de réduire l’incidence de ce problème en octroyant jusqu’à deux années additionnelles d’exclusivité sur le marché canadien au-delà de la date d’expiration de tout brevet.

Cette protection sui generis conférerait les mêmes droits que ceux conférés par le brevet et serait soumise aux mêmes restrictions et obligations, sous réserve de certaines restrictions :

  • un seul terme de protection additionnelle est disponible par produit pharmaceutique, même si le produit est couvert par plusieurs brevets;
  • la protection additionnelle s’étend uniquement au produit pharmaceutique couvert par l’autorisation de mise en marché et à l’utilisation de ce produit approuvé avant l’expiration de la protection additionnelle; et
  • la protection additionnelle peut être révoquée si le brevet applicable a été invalidé ou s’il ne couvre plus le produit approuvé pour la mise en marché, ou lorsqu’une telle approbation de mise en marché a été révoquée.

1.2. Mécanismes de liaison avec les brevets relatifs aux produits pharmaceutiques et droit d’appel

L’AECG prévoit des « droits équivalents et des recours efficaces » pour tous les justiciables dans des procédures qui reposent sur des mécanismes « de liaison de brevet », en vertu desquels l’octroi des autorisations de mise en marché de produits pharmaceutiques génériques est lié à l’existence d’une protection par brevet.

Le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le « Règlement MB(AC) ») prévoit une procédure sommaire selon laquelle un fabricant de génériques peut viser un brevet appartenant à un fabricant de marque et lié à un médicament de marque en alléguant l’invalidité ou la non-contrefaçon dudit brevet. Une approbation de mise en marché (ou « avis de conformité ») sera émise seulement si les allégations du fabricant de génériques sont retenues.

Le système actuel ne fournit pas aux fabricants de marque un droit d’appel en vertu du Règlement MB(AC). Leur seul recours est de poursuivre les fabricants de génériques pour contrefaçon de brevet dans le système judiciaire ordinaire, créant essentiellement une pratique de « double litige ». Alors que les fabricants de génériques ont un droit d’appel prévu au Règlement MB(AC), leur succès en vertu de la procédure sommaire du Règlement MB(AC) ne garantit pas le même succès dans le cadre d’un litige en contrefaçon de brevet, puisque les décisions rendues en vertu de la procédure du Règlement MB(AC) en matière de contrefaçon ou validité ne sont pas contraignantes sur les litiges ultérieurs concernant le même brevet.

Le texte de l’AECG n’établit pas la façon exacte à savoir comment ces droits d’appel équivalents et efficaces doivent être mis en œuvre par les pays signataires. Toutefois, selon la documentation publiée par le gouvernement canadien, on suggère que le Canada mettrait fin à la pratique du « double litige ».

2. Les marques de commerce

2.1. Respect des traités internationaux

L’AECG requiert que les parties « déploient tous les efforts raisonnables » afin de respecter le Traité de Singapour et d’adhérer au Protocole de Madrid. La Loi sur les marques de commerce a déjà été amendée afin de la rendre conforme au Protocole de Madrid, au Traité de Singapour, ainsi qu’à l’Accord de Nice. Lorsque ces amendements entreront en vigueur, la loi canadienne sera analogue à celles de plus de 90 autres pays, facilitant l’enregistrement de marques dans ces derniers.

2.2. Les indications géographiques

L’AECG prévoit des protections pour un large éventail d’indications géographiques (« IG »). Une IG identifie un produit agricole ou un produit alimentaire comme étant originaire d’un territoire du Canada ou de l’Union européenne, ou d’une région ou localité de ce territoire, dans les cas où une qualité, réputation ou autre caractéristique du produit peut être attribuée essentiellement à cette origine géographique.

En vertu de l’AECG, plus de 170 IG seront protégées en relation avec des produits agricoles ou alimentaires. Alors que la loi canadienne prévoit déjà la protection de certaines IG relatives aux vins et spiritueux, l’AECG élargit considérablement le nombre et les types de produits protégés par IG. La nature et l’étendue de la protection varieront d’une IG à l’autre, mais les droits des détenteurs actuels de marques de commerce ne seront pas affectés.

Le texte de l’AECG prévoit plusieurs exceptions et limitations à la protection accordée à certaines IG énumérées. Par exemple, il y existe des exceptions concernant l’emploi de termes spécifiques en anglais et en français qui sont couramment utilisés au Canada. Ainsi, les producteurs canadiens peuvent utiliser « Jambon Forêt Noire » ou « Black Forest Ham », mais ne peuvent pas utiliser l’équivalent allemand (« Schwarzwälder Schinken »). Le texte de l’AECG prévoit également des exceptions particulières permettant l’emploi de certaines IG qui sont déjà couramment utilisées au Canada (par exemple : Asiago, Feta, Fontina, Gorgonzola, Munster) lorsque l’utilisation de ces termes est accompagnée de qualificatifs tels que « genre », « type », « style », « imitation », etc.

3. Droit d’auteur

Les dispositions de l’AECG concernant les droits d’auteur sont reflétées dans le régime canadien actuel, et ce, depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur. Aucune modification additionnelle n’est attendue à cet égard.

4. Variétés végétales

L’AECG requiert que les pays signataires coopèrent pour promouvoir et renforcer la protection des variétés végétales conformément à la Convention internationale pour la protection des obtentions végétales (« UPOV »).

Le Canada et les pays de l’UE sont déjà membres de l’UPOV, mais le Canada a seulement adhéré à la Convention 1978 de l’UPOV et n’a toujours pas signé la convention de 1991. Au Canada, la Loi sur la croissance dans le secteur agricole, sanctionnée le 25 février 2015, propose des modifications à la Loi sur la protection des obtentions végétales qui rendra ainsi le Canada conforme à la Convention de 1991 de l’UPOV.

Les modifications prévoient notamment le « privilège de l’agriculteur », en vertu duquel un agriculteur peut conserver et replanter les graines d’une variété protégée sur sa propre terre dans le but de propager cette variété.

5. Mesures frontalières

L’AECG requiert que les pays signataires maintiennent ou adoptent des procédures à l’égard de l’importation et l’exportation des cargaisons de marchandises qui permettent la suspension ou la détention de marchandises soupçonnées d’être en violation des DPI, soit à la demande des titulaires de DPI ou par l’intervention des autorités compétentes qui en prennent l’initiative. En particulier, le texte de l’AECG exige :

  • la mise en place de procédures permettant aux titulaires de DPI d’occasionner la suspension ou la détention de marchandises soupçonnées de porter atteinte aux DPI;
  • l’adoption de procédures par lesquelles les autorités compétentes pourront déterminer, dans un délai raisonnable suite au déclenchement de la procédure de suspension/détention, si les marchandises soupçonnées violent les DPI; et
  • des recours, y compris l’application de sanctions administratives et la destruction des marchandises qui portent atteinte aux DPI.

La Loi visant à combattre la contrefaçon des produits (« LCCP »), sanctionnée le 9 décembre 2014, fournit aux titulaires de marques de commerce et de droits d’auteur un cadre clair pour combattre les activités de contrefaçon dans le contexte actuel. La LCCP aidera les entreprises canadiennes à protéger leurs marques de commerce et leurs ouvrages, et vise à faire en sorte qu’elles soient indemnisées équitablement. La LCCP modifie la Loi sur le droit d’auteur et la Loi sur les marques de commerce afin d’y ajouter de nouvelles sanctions civiles et pénales et de nouvelles mesures frontalières dans les deux lois. Entre autres, les dispositions de la LCCP permettraient :

  • aux douaniers de retenir les marchandises qu’ils soupçonnent de contrefaire un droit d’auteur ou une marque de commerce;
  • aux titulaires de DPI de déposer une demande d’assistance des douaniers; et
  • le partage d’information entre les douaniers et les titulaires de DPI, afin de favoriser l’exercice de leurs recours en justice.

La LCCP met à jour les lois frontalières et les lois concernant la contrefaçon afin que le Canada soit conforme en substance aux exigences de l’AECG. Cependant, les modifications proposées dans le cadre de la LCCP ne traitent pas des biens portant une indication géographique contrefaite, ce qui est expressément requis en vertu du texte de l’AECG. D’autres modifications aux lois canadiennes seront donc nécessaires.

Conclusion

Le texte de l’AECG relève suffisamment de nuances pour que l’application de l’ensemble des engagements du Canada en vertu du chapitre relatif aux DPI demeure un sujet à débattre. Cependant, il est évident que le gouvernement canadien a pris les devants en instaurant plusieurs changements dans le paysage de la PI alors que l’AECG se négociait encore. Plusieurs de ces modifications ont déjà été mises en œuvre ou le seront sous peu, mais certaines transformations demeurent toujours essentielles  si le Canada souhaite se conformer à l’ensemble de ses engagements.

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