L’immunité de l’expert du syndic

Saviez-vous que l’expert dont les services sont retenus par le syndic dans le cadre d’une plainte disciplinaire bénéficie de l’immunité du syndic prévue au Code des professions?

L’arrêt Touchette c. Ordre des psychologues 2022 QCCA 1498 rendu par la Cour d’appel en novembre 2022 illustre bien cette situation.

Dans cette affaire, le syndic de l’Ordre des psychologues a retenu les services de Touchette dans le cadre d’une plainte disciplinaire contre la psychologue Houle. La plainte disciplinaire contre Houle a été déposée et débattue devant le Conseil de discipline. Ce dernier a rejeté la plainte en soulignant certains manquements de l’experte Touchette concernant sa compétence, son objectivité et son impartialité en sa qualité d’expert.

Par la suite, Houle a déposé une plainte privée contre Touchette devant le Conseil de discipline de l’Ordre des psychologues. Touchette a tenté de faire rejeter cette plainte disciplinaire en invoquant son immunité en vertu de l’article 116 al. 4 du Code des professions. Le Conseil de discipline a rejeté cette prétention. En révision judiciaire, la Cour supérieure a également rejeté la prétention à l’immunité et n’a pas fait droit à la demande en rejet.

La Cour d’appel a renversé complètement la position des instances inférieures.

La Cour d’appel rappelle l’objectif premier du Code des professions, qui est la protection du public. Elle rappelle que dans la poursuite de cet objectif, le Code des professions a mis en place des mécanismes pour assurer la surveillance de l’exercice de la profession. L’article 116 al. 4 rend irrecevable une plainte formulée contre une personne qui exerce une fonction prévue au Code. Elle limite en conséquence la compétence du Conseil de discipline chargé d’entendre et de sanctionner les plaintes disciplinaires formulées contre un professionnel qui exerce une telle fonction.

Le syndic d’un Ordre professionnel joue le double rôle d’enquêteur et de plaignant dans le processus disciplinaire. Vu son rôle, il jouit d’une indépendance dans l’exercice de ses fonctions. Ainsi, le Conseil de discipline n’a aucun pouvoir de surveillance sur la façon dont le syndic mène son enquête. L’article 121.2 du Code des professions prévoit qu’il peut s’adjoindre toute personne, incluant un expert, pour l’assister dans ses fonctions d’enquête. Ces personnes doivent, bien entendu, prendre connaissance du dossier du professionnel visé par l’enquête et des renseignements qui s’y trouvent. Elles vont devoir prêter le serment de discrétion prévu au Code des professions.

Le rapport de l’expert va ainsi faire partie des données qui vont permettre au syndic de décider s’il y a lieu de porter ou non une plainte disciplinaire.

Selon la Cour d’appel :

« La conclusion du Conseil de discipline voulant qu’un expert mandaté par un syndic dans le cadre de son enquête n’exerce pas une fonction prévue au Code des professions, sauf s’il est expressément investi d’un pouvoir d’enquête aux termes de son mandat, fait donc fi des fonctions d’enquête du syndic et d’assistance de l’expert prévues dans cette loi. Un syndic qui, avant de décider de déposer une plainte contre un professionnel, s’adjoint l’assistance d’un expert en vue de valider son enquête le fait nécessairement en vertu de l’article 121.2 du Code des professions, et ce, même si le mandat ne réfère pas expressément à cet article. Dès lors, l’expert partage, entre autres, les mêmes pouvoirs à l’égard des dossiers professionnels prévu à l’article 192 du Code des professions. Il doit donc pouvoir jouir de la même immunité que le syndic. »

Suivant les principes du Code des professions, cette immunité est fondamentale pour le travail du syndic et la stabilité des décisions qui doivent être prises dans le cadre du processus disciplinaire.

Bien entendu, les limites de l’immunité sont balisées par la bonne foi. Comme le précise la Cour d’appel, il peut être pertinent de prévoir dans le mandat de l’expert un accès assez large à la documentation du syndic pour que l’expert soit en mesure d’effectuer son mandat de façon probante et complète, et de référer à l’article 121.2 du Code des professions qui s’appliquera, en sus du serment de discrétion.