Le statut de travailleur indépendant

Il est courant que des entreprises et des travailleurs désirent aménager ou réaménager leur relation juridique dans le but de bénéficier des avantages qu’amène le statut de travailleur autonome. Cela permet à l’entreprise d’éviter de devoir procéder aux déductions sur le revenu des travailleurs, et à ces derniers de bénéficier des avantages fiscaux découlant de ce statut. Le cas de figure courant est celui par lequel les parties s’entendent pour que le travailleur s’incorpore et qu’il offre ses services à l’entreprise par l’entremise de sa société. L’entreprise lui paiera alors une rémunération sur présentation de factures en fonction des services rendus. Dans un tel contexte, il est important de prendre en considération certains facteurs et de garder en tête qu’il ne suffit pas que le travailleur soit incorporé pour qu’il puisse être considéré comme un travailleur indépendant.

En effet, plusieurs facteurs feront l’objet d’une analyse par les tribunaux lorsque viendra le temps de déterminer quel type de relation juridique entretiennent les parties. Ce sera notamment le cas dans le cadre d’une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante à la Commission des relations du travail ou lors d’une réclamation pour une indemnité de fin d’emploi.

Contrairement au Code civil du Québec, la Loi sur les normes du travail inclut dans sa définition de salarié « l’entrepreneur dépendant ». Cette loi est donc plus inclusive. Dans tous les cas, les tribunaux analyseront l’importance du lien de subordination du travailleur envers le donneur d’ouvrage. Il s’agit d’une analyse globale effectuée en fonction des faits.

Voici des critères et indices, établis par la jurisprudence, qui donnent des balises aux tribunaux lorsqu’ils ont à qualifier la relation entre les parties. En général, les situations suivantes militent en faveur du statut de travailleur autonome :

  • La rémunération est versée en contrepartie d’une prestation de travail;
  • L’existence d’un minimum de lien de subordination entre le donneur d’ouvrage et le travailleur;
  • L’indépendance économique du travailleur envers le donneur d’ouvrage donc le risque de perte qu’il assume ou la chance de profit dont il peut bénéficier;
  • La possibilité ou l’impossibilité pour le travailleur d’entrer en concurrence;
  • Le libre choix des moyens d’exécution du travail, celui-ci ne s’accomplissant pas dans un cadre prédéterminé par le donneur d’ouvrage.

Par contre, les facteurs suivants sont davantage compatibles avec une relation d’emploi :

  • L’exigence de la présence obligatoire à un lieu de travail, l’imposition de règles à suivre ou d’un horaire de travail;
  • L’impossibilité pour le travailleur d’embaucher ou de congédier du personnel, ou encore de se faire remplacer par une autre personne pour l’exécution de son travail ou d’une partie du contrat;
  • L’obligation pour le travailleur d’avertir ou d’obtenir l’autorisation pour s’absenter ou prendre des vacances;
  • L’obligation du travailleur de faire des rapports, journalier, hebdomadaire ou mensuel par rapport à l’exécution de son travail.

Seront également considérés des facteurs comme la conduite adoptée par les parties par rapport à l’assurance-emploi, à la Régie des rentes et en fonction des lois fiscales ou le mode de rémunération du prestataire de service.

Afin que nous puissions bel et bien parler de contrat de service, c’est-à-dire un contrat par lequel l’entreprise retient les services d’un entrepreneur indépendant, il ne doit pas y avoir de lien de subordination entre le travailleur et le donneur d’ouvrage au sens des critères mentionnés ci-dessus. Plus nombreux seront les indices d’une subordination, plus les chances que le contrat soit qualifié de contrat de service sont minces. Un travailleur indépendant a normalement toute la latitude quant à la façon dont il accomplit sa prestation.

Par conséquent, une entreprise doit se garder d’exiger que ses travailleurs se constituent en société pour retenir ses services si le motif guidant cette décision est seulement d’éviter que ces derniers soient considérés comme des salariés au sens de la législation applicable, notamment au sens de la Loi sur les normes du travail et du Code civil du Québec. La volonté d’en faire des travailleurs indépendants devra transparaître tant du contrat que des faits, dans une perspective globale. Dans le cas contraire, les tribunaux appelés à se pencher sur le statut véritable des travailleurs pourront, le cas échéant, soulever le voile corporatif de la société et ainsi faire abstraction de la personnalité morale de la société pour conclure à une relation de travail entre les parties1.


1 Dicom Express inc. c. Paiement, 2009 QCCA 611. En ligne : https://www.canlii.org/fr/qc/qcca/doc/2009/2009qcca611/2009qcca611.html

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