Le secret professionnel de l’avocat : un droit fondamental

Cet article s’adresse au secret professionnel dans un contexte civiliste et non pénal et criminel.

Depuis quelques années, et particulièrement avec le resserrement de certaines normes législatives ou réglementaires, notamment dans le secteur des marchés financiers, les organismes réglementaires tels l’Agence de revenu du Québec, l’Autorité des marchés financiers, et autres organismes, se prévalent de plus en plus fréquemment des dispositions législatives leur permettant d’exercer leurs pouvoirs de saisie, de perquisition et d’enquête.

Puisque le droit au secret professionnel est un droit enchâssé dans les chartes, très souvent la Cour nommera un avocat indépendant ou un « amicus curiæ », pour faire en sorte que ce droit fondamental soit respecté.  Ce mécanisme de protection est également utilisé dans le contexte des ordonnances de type Anton Piller.

Les grands principes

Le secret professionnel est non seulement un devoir déontologique, mais également un droit fondamental protégé par la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte canadienne »), le Code civil du Québec1 et plusieurs autres législations2. Il s’agit d’un « droit substantiel fondamental »3 qui comporte deux composantes, soit l’obligation de confidentialité découlant directement de la relation avocat-client et également l’immunité de divulgation qui protège le client contre une divulgation non autorisée à des tiers dans le cadre d’instances judiciaires4. Rappelons toutefois que cette protection appartient au client et qu’il est le seul à pouvoir y renoncer5.

Les éléments constitutifs

Toutefois, malgré l’importance de ce droit substantiel fondamental, tout ce que le client communique à son avocat n’est pas nécessairement protégé par le secret professionnel. Ce n’est pas la fonction d’« avocat » qui fait en sorte que la communication bénéficie de ce privilège, mais plutôt son contenu, sa portée, son but et le contexte dans lequel cette communication est faite6.

Il existe trois critères permettant d’apprécier le caractère privilégié de la communication :

  1. Il doit s’agir d’une communication licite entre un client et son avocat en sa qualité de professionnel;
  2. Elle doit comporter une consultation ou un avis juridique ou aux fins d’un litige actuel ou appréhendé; et
  3. Il faut que les parties la considèrent de nature confidentielle.

Par conséquent, tous les renseignements que doit fournir une personne en vue d’obtenir un avis juridique, et qui sont donnés en confidence à cette fin sont confidentiels7.

De façon générale, ce qui est couvert 

De façon générale est couvert par le secret professionnel :

  1. toute information sur la nature du mandat et permettant de dévoiler une confidence protégée;
  2. les instructions ou le mandat donné à un avocat;
  3. les pièces remises et versées par le client entre les mains de l’avocat;
  4. la correspondance échangée avec le client en relation avec la consultation recherchée8;
  5. tout avis juridique9;
  6. toute déclaration des témoins et des experts10;
  7. les notes d’entrevues et commentaires de l’avocat;
  8. les notes de recherche;
  9. les communications avec un expert;
  10. les notes ou tout rapport préparé pour le client relativement à la communication avec l’expert11;
  11. les projets, négociations ou tout autre élément ayant conduit à la rédaction d’un document public12.

Les comptes d’honoraires et feuilles de temps

Les montants d’honoraires perçus par l’avocat soulèvent une présomption réfragable selon laquelle les comptes d’honoraires sont prima facie couverts par le secret professionnel13.

Ce principe a été nuancé par la jurisprudence canadienne14, plus particulièrement en ce qui concerne le paiement ou le non-paiement des comptes d’honoraires. Si les notes d’honoraires ne comportent aucun détail sur la nature des services rendus, alors elles ne sont pas protégées par le secret professionnel. Toutefois, lorsque le paiement ou l’absence de paiement des honoraires s’avère pertinent au fond ou que son dévoilement peut être préjudiciable au client, alors l’application du secret professionnel de l’avocat à un compte d’honoraires est de rigueur. Ceci étant dit, l’information contenue aux comptes d’honoraires et relevant du secret professionnel peut parfois être oblitérée afin de préserver les intérêts du client15.

Conclusion

Considérant l’importance de ce droit substantiel fondamental dans notre système judiciaire, la prudence s’impose et en cas de doute, il est préférable de protéger l’information.

Ainsi, lorsque subsiste un doute ou, parfois, vu l’ampleur des dossiers visés, il peut être bien avisé d’avoir recours à des avocats indépendants qui pourront agir à titre d’amicus curiæ de la Cour et ainsi procéder à l’analyse de la documentation faisant l’objet d’une demande de divulgation. Un processus peut alors être établi avec la Cour et les parties afin d’assurer la pleine protection de ce droit.


1 Voir d’ailleurs à cet effet l’article 2858 C.c.Q. qui permet au juge, même d’office, de soulever la question du secret professionnel.
2 Charte canadienne des droits et libertés, RU 1982 c. 11, art. 7; Charte des droits et libertés de la personne, LRQ c. C-12, art. 9; Code de déontologie des avocats, RRQ, c. B-1, r.  3, art 3.06.01.01 à 3.06.01.05, 3.06.01 et 3.06.03; Loi sur le Barreau, LRQ, c B-1, art.131; Chambre des notaires du Québec c Canada (Procureur général), 2010 QCCS 4215, au paragr. 49 (inscription en appel).
3 Foster Wheeler Power Co. c Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (SIGED), [2004] 1 R.C.S. 456 (CSC), paragr. 27.
4 Foster Wheeler Power Co. c Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (SIGED), [2004] 1 R.C.S. 456 (CSC).
5 R. c McClure, [2001] 1 R.C.S. 445 (CSC), au paragr. 3; Lavallée, Rackel & Heintz c Canada (Procureur général), [2002] 3 R.C.S. 209 (CSC), au paragr. 24 et 39.
6 Cinar Corporation c Weinberg, J.E. 2007-1912 (C.S.), paragr. 8; Robinson c. Weinberg, 2005 CanLII 35800 (QC CS), aux paragr. 27 et 28.
7 Descôteaux c Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860 (CSC), à la p. 892-893.
8 Descôteaux c Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860 (CSC); Procureur général du Québec c Dorion, J.E. 92-1284 (C.A.), EYB 1992-55948; Wailer c Canada, [1991] C.F. 617; Vasire Capital Inc. c Lyster Management Ltd., [1988] R.D.J. 672 (C.A.), EYB 1988-62940; Gestion Lib Inc. c Guay, [1985] C.S. 911.
9 Fédération des médecins spécialistes du Québec c Association des médecins hématologistes-oncologistes du Québec, [1988] R.J.Q. 2067 (C.A.), EYB 1988-62928; Repentigny (Ville de) c Carignan, REJB 2002-36020 (C.A.).
10 Ville de Montréal c Cordia Ltd., REJB 2003-48046 (C.A.).
11 Raymond Doray, « Le secret professionnel de l’avocat et ses devoirs de confidentialité et de discrétion » dans Éthique, déontologie et pratique professionnelle, Collection de droit, 2005-2006, volume 1, École du Barreau du Québec, Cowansville, Éd. Yvon Blais, à la p. 131-132.
12 Chambre des notaires du Québec c Canada (Procureur général), 2010 QCCS 4215, au paragr. 38 (inscription en appel) (par analogie).
13 Chambre des notaires du Québec c Canada (Procureur général), 2010 QCCS 4215, au paragr. 54 (inscription en appel); Québec (Commission des services juridiques) c Gagnier, REJB 2004-60463 (C.Q.), au paragr. 44; Maranda c Richer, [2003] 3 R.C.S. 193 (CSC), au paragr. 33.
14  Chambre des notaires du Québec c Canada (Procureur général), 2010 QCCS 4215, au paragr. 54 (inscription en appel); Kruger Inc. c Kruco Inc., [1988] R.J.Q. 2323 (C.A.).
15 Droit de la famille 2436, (1996) J.E. 96-1260 (C.S.), p. 5-6.