Le rôle du Tribunal des professions : véritable appel ou révision judiciaire déguisée?

Une véritable saga judiciaire entre Micheline Parizeau et le Barreau de Québec1  vient de prendre fin le 15 mars dernier avec le refus de la Cour suprême du Canada d’entendre le pourvoi du Barreau à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’appel rendu en août dernier.

Rappel des faits

Accusée, en 1994, de diverses infractions disciplinaires, l’avocate Micheline Parizeau est, le 1er juin 1994, reconnue coupable de six chefs d’accusation : fabrication et production de fausse preuve, incitation au parjure, exagération, destruction de la preuve et multiplication de procédures judiciaires inutiles. En 2000, le Comité de discipline impose à Mme Parizeau une radiation de sept ans au tableau de l’Ordre, une peine que le Tribunal des professions réduira à cinq ans en mai 2001.

En 2005, Mme Parizeau demande sa réinscription au Tableau de l’Ordre. Le Comité des requêtes du Barreau rejette sa demande le 20 février 2007. Insatisfaite, la requérante se pourvoit devant le Tribunal des professions. La décision du Comité des requêtes sera d’abord infirmée par le Tribunal des professions avant d’être restaurée par la Cour supérieure. La Cour d’appel, saisie du pourvoi contre le jugement de la Cour supérieure, rétablit la décision du Tribunal des professions et ordonne la réinscription de Mme Parizeau au Tableau de l’ordre des avocats. Cet arrêt met un terme définitif à cette affaire depuis que la Cour suprême du Canada a rejeté la requête en autorisation de pourvoi du Barreau.

Cette décision de la Cour d’appel est intéressante à plusieurs égards puisqu’elle aborde la norme de contrôle du Tribunal des professions à l’endroit des décisions des conseils de discipline et des comités des requêtes et du rôle de ceux-ci.

Norme de révision de la décision du Comité des requêtes par le Tribunal des professions

Dans un premier temps, la Cour rappelle que le Tribunal des professions, bien que tribunal spécialisé, a essentiellement une compétence d’appel, au sens propre du terme, des décisions disciplinaires et des décisions d’admission ou de réadmission des comités des ordres professionnels (art. 182 et ss. du Code des professions). C’est donc la norme de révision d’appel qu’il doit appliquer et non celle de la révision judiciaire :

«  La Cour suprême et notre cour ont rappelé sans cesse l’enseignement suivant : l’instance d’appel peut en principe corriger toute erreur de droit entachant la décision dont appel ou toute erreur manifeste et dominante dans la détermination des faits ou dans l’application du droit (s’il a été correctement déterminé) aux faits. »

Ainsi, le choix de la norme d’examen est une question maintenant établie et l’on doit éviter de prendre appui sur les jugements qui font appel à la norme de la révision judiciaire.

Dans un deuxième temps, la Cour remet en question une certaine jurisprudence suivant laquelle l’appel au Tribunal des professions d’une décision visant l’inscription ou la réinscription au Tableau de l’Ordre fait l’objet d’une norme d’intervention plus sévère que l’appel d’une décision du Conseil de discipline :

« Y aurait-il lieu cependant de moduler cette norme, en la rendant plus sévère encore, dans le cas où le Tribunal des professions siège en appel d’une décision du Comité des requêtes du Barreau? »

La Cour d’appel rejette cette prétention. Même si elle reconnaît que le Comité des requêtes est une instance surspécialisée, elle fait remarquer que le Tribunal des professions est également une instance spécialisée et que l’application d’une norme d’intervention trop sévère ou trop exigeante aurait pour effet de  stériliser le rôle d’instance d’appel du Tribunal des professions. Aussi, au chapitre du droit, le Tribunal doit appliquer la norme de la décision correcte et n’intervenir sur les faits que si l’on démontre une erreur manifeste et dominante.

Application aux faits

En l’espèce, le Tribunal des professions a jugé que le Comité des requêtes a mené une enquête dont l’objet principal avait été la conduite passée de l’appelante et non sa situation au moment de sa demande de réinscription.

En effet, le comité a longuement fait état de la décision rendue par le Conseil de discipline et analysé des faits antérieurs qui n’ont jamais fait l’objet de plaintes disciplinaires. Notamment, le Conseil des requêtes a relaté les propos de certains juges qui ont réprimandé l’appelante. Il lui a reproché des démêlés avec une cliente ainsi que l’usage de sa formule de mandat, indiquant qu’il pourrait y avoir à cet égard un manquement à la déontologie.

En vertu de l’article 70 paragr. 4 de la Loi sur le Barreau, le comité des requêtes peut enquêter sur les qualités du requérant qui demande sa réinscription au tableau de l’Ordre :

« Cette disposition ne peut avoir pour objet, en tant que tel, de sanctionner derechef la conduite passée de la personne qui sollicite sa réinscription ni de permettre une enquête qui porterait essentiellement sur l’existence d’infractions déontologiques qui n’auraient pas été sanctionnées précédemment et devraient l’être. Le rôle du Comité des requêtes n’est pas disciplinaire et doit être différencié de celui d’un conseil de discipline. (…) Pour cela, il faut que l’enquête sur les mœurs, la conduite, la compétence, les connaissances et les qualités requises pour réintégrer les rangs du Barreau soit essentiellement centrée sur des éléments contemporains à la demande et au processus de réinscription. »

Ceci étant, la Cour d’appel a jugé que le Comité des requêtes a outrepassé les limites de sa mission et usurpé les fonctions d’un conseil de discipline.

En raison de ce qui précède, la Cour est d’avis que le Tribunal des professions a exercé sa fonction d’appel d’une manière raisonnable, qu’il n’a pas simplement substitué son appréciation de la preuve à celle du Comité puisque l’affaire ne relevait pas de la seule divergence d’opinion.

Conclusion

Cet arrêt de la Cour d’appel a une importance majeure dans le domaine du droit professionnel puisqu’il définit la norme de révision applicable par le Tribunal des professions et la Cour supérieure aux décisions des instances inférieures. La rigueur et la transparence du processus sont réitérées comme des valeurs fondamentales du système de justice. Les comités évaluant des demandes d’inscription et de réinscription au Tableau de l’Ordre auront avantage à être prudents dans l’évaluation de la conduite passée du requérant puisque l’enquête doit principalement évaluer les qualités du requérant au moment de sa demande d’inscription ou de réinscription.