Le privilège d’obtenir des contrats publics retiré aux entreprises « délinquantes »

Depuis 2009, le gouvernement du Québec multiplie les efforts afin de renforcer les actions de prévention et de lutte contre la corruption en matière contractuelle dans le secteur public. La Loi visant à prévenir, combattre et sanctionner certaines pratiques frauduleuses dans l’industrie de la construction et apportant d’autres modifications à la Loi sur le bâtiment1 et la Loi concernant la lutte contre la corruption2 en sont les exemples les plus récents.

Par l’adoption de ces lois, le législateur introduisait de nouveaux pouvoirs réglementaires à la Loi sur les contrats des organismes publics3 afin de permettre au gouvernement de restreindre, par règlement, l’accès aux marchés publics pour les entreprises
« délinquantes » qui se sont rendues coupables de certaines infractions.

Le gouvernement a confirmé l’entrée en vigueur et exercé ce nouveau pouvoir en adoptant le Règlement sur le Registre des entreprises non admissibles aux contrats publics et sur les mesures de surveillance et d’accompagnement4 (ci-après « le Règlement »), lequel est entré en vigueur le 1er juin 2012.

Il est donc utile de revoir quelques aspects de ce nouveau règlement.

L’objet du registre (RENA) et ses limites inhérentes

L’objectif du RENA est d’assurer la probité des entreprises faisant affaire avec l’État en écartant celles qui se sont rendues coupables de certaines infractions.

Il s’agit donc d’un objectif fort légitime mais limité par la capacité de l’État de poursuivre et de faire la preuve de la culpabilité des entreprises et de leurs dirigeants en regard des infractions identifiées. De toute évidence, le gouvernement mise également sur l’effet dissuasif que de telles sanctions peuvent avoir sur les entreprises désireuses de participer aux marchés publics.

Les infractions visées

Le Règlement détermine quelles sont, notamment en fonction de leur nature et de leur nombre, les infractions pouvant emporter l’inadmissibilité d’une entreprise à l’obtention de contrats publics. Il précise pour chaque infraction ou groupe d’infractions la durée de l’inadmissibilité.

Ces infractions portent sur divers aspects des pratiques commerciales douteuses dont, notamment, la corruption de fonctionnaires, la fraude, le gangstérisme, etc.

D’autres infractions propres à l’approvisionnement, déjà visées par des mesures anti-collusion antérieures, sont également comprises dans la liste des infractions emportant l’inscription au Registre. Il s’agit du complot ou de l’arrangement entre concurrents et du truquage d’offres, prévus par la Loi sur la concurrence. Aussi, comme il fallait s’y attendre, le règlement n’épargne pas les entreprises négligentes en regard de leurs obligations fiscales.

Outre les infractions aux lois fiscales proprement dites, notre attention fut attirée par celles touchant l’attestation de Revenu Québec, exigée par les règlements d’application de la Loi sur les contrats des organismes publics5. Plus particulièrement, en application de nouvelles dispositions pénales introduites au Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics en 2011, lorsqu’un entrepreneur général a fait l’objet de cinq déclarations de culpabilité pour avoir omis d’obtenir copie de l’attestation de Revenu Québec d’un sous-entrepreneur ou de transmettre la liste des sous-contrats, il se retrouvera inscrit au RENA et, par voie de conséquence, non admissible aux contrats publics. Ces infractions interpellent particulièrement les gestionnaires de contrats publics, étant en quelque sorte ceux qui seront bien placés pour en assurer la dénonciation.

Enfin, mentionnons que, conformément à l’article 21.2 de la Loi sur les contrats des organismes publics, une entreprise pourrait être inscrite au Registre si une personne qui lui est liée a été déclarée coupable des infractions prévues au Règlement. L’expression « personne liée » englobe, suivant la loi, un administrateur et, le cas échéant, un dirigeant de même qu’un actionnaire disposant d’au moins 50 % des droits de vote pouvant être exercés en toutes circonstances rattachés aux actions de la personne morale. S’il s’agit d’une société en nom collectif, en commandite ou en participation, un de ses associés et, le cas échéant, un de ses autres dirigeants sont assimilés à une
« personne liée » au sens de la loi. Cette notion vise de toute évidence à obvier à toute tentative d’évitement au moyen d’une réorganisation de l’entreprise.

L’Association de la construction du Québec a d’ailleurs critiqué cette mesure lors de l’étude du Projet de loi 35. Selon elle, l’article « est tout aussi dangereux qu’inéquitable ». Elle ajoute qu’« en rendant les entreprises coupables par association, le fait d’être le représentant d’une entreprise détentrice d’une licence restreinte et d’œuvrer à titre de représentant au sein d’une autre compagnie contamine cette autre compagnie qui elle-même contamine ses autres administrateurs, qui à leurs tours contaminent leurs propres entreprises. Dans le contexte ou (sic), pour se développer les entreprises doivent de plus en plus se regrouper et travailler en consortium, cette disposition, telle que rédigée peut avoir des effets néfastes. »

L’avenir nous dira si cette prétention est bien fondée.

Et si vous souhaitez faire affaire avec l’entreprise inscrite au RENA

Pour les contrats en cours d’exécution, l’organisme public désirant poursuivre son exécution, malgré que son contractant devienne inadmissible aux contrats publics, doit obtenir l’autorisation du ministre responsable.

Le ministre responsable peut notamment assortir son autorisation de conditions, dont celle demandant que le contractant soit soumis, à ses propres frais, à des mesures de surveillance et d’accompagnement, telles que définies par le Règlement. En outre, ces mesures peuvent viser un meilleur contrôle des coûts et/ou un audit des informations financières du contractant. Leur mise en œuvre est assurée par une personne accréditée conformément aux conditions et selon les modalités prescrites par le Règlement6.

Pour conclure un nouveau contrat avec une entreprise non admissible, un organisme public doit obtenir l’autorisation du ministre responsable. Un tel contrat ne pourra être conclu que lorsque l’organisme public se retrouve dans l’un des cas prévus aux paragraphes 2° à 4° (fournisseur unique, confidentialité, intérêt public) du premier alinéa de l’article 13 de la loi. De plus, le contractant doit accepter d’être soumis, à ses frais, à des mesures de surveillance et d’accompagnement énoncées précédemment.

Si un organisme public se retrouve dans l’un des cas prévus au paragraphe 1° (urgence) du premier alinéa de l’article 13 de la loi, il peut également contracter avec un contractant inadmissible à la condition d’obtenir l’autorisation du dirigeant de l’organisme, qui doit en informer le ministre responsable dans les 30 jours suivant cette autorisation7.

Conclusion

L’efficacité d’un tel système repose non seulement sur la capacité de l’État à poursuivre et à obtenir des condamnations contre les entreprises délinquantes, mais également sur l’utilisation du Registre par les organismes publics et corps publics assujettis.

À cet égard, les articles 21.8 et 21.11 de la loi imposent aux organismes publics l’obligation de consulter le Registre pour s’assurer que les soumissionnaires ou que l’attributaire ne sont pas inscrits au Registre ou que leur période d’inadmissibilité est terminée. À cet égard, il nous apparaît à propos de recommander que cette vérification soit faite dès la réception des soumissions afin d’éviter d’investir temps et énergie à l’analyse de soumissions dont les entreprises auteures ou leurs personnes liées sont inscrites au RENA et à l’intérieur de leur période d’inadmissibilité.

Il nous faut enfin saluer les efforts du Secrétariat du Conseil du trésor pour centraliser et mettre en place le RENA, dès l’entrée en vigueur du Règlement. Cela facilite d’autant la tâche des gestionnaires dans l’application de cette énième mesure réglementaire et législative qui ajoute, à n’en point douter, d’importantes responsabilités en matière de gestion contractuelle.