La Cour suprême infirme unanimement la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Callidus Capital Corporation

En cas de faillite, le créancier garanti n’est pas responsable envers le fisc pour les sommes perçues avant la faillite provenant de la réalisation de biens faisant partie d’une fiducie présumée créée aux termes de la Loi sur la taxe d’accise.

Rappel des faits et contexte

Dans cette affaire, la débitrice Cheese Factory Road Holdings inc. (« Cheese Factory ») n’avait pas remis de la TPS/TVH entre les années 2010 et 2013 aux instances gouvernementales et, en conséquence, les biens de cette dernière étaient donc réputés détenus à titre de fiducie présumée en faveur de Sa Majesté, conformément à l’article 222 de la Loi sur la taxe d’accise1 (« LTA »).

Au mois de décembre 2011, Cheese Factory était en défaut de paiement relativement à une facilité de crédit consentie par la Banque de Montréal (« BMO »).

Le 2 décembre 2011, BMO a cédé sa créance à l’encontre de Cheese Factory à Callidus Capital Corporation (« Callidus »). Suivant cette cession de créances, une entente est intervenue entre Callidus et Cheese Factory à l’effet que cette dernière s’engageait notamment à vendre certains de ses actifs pour rembourser une partie de sa créance en souffrance à Callidus.

Suivant cette entente, Cheese Factory a finalement vendu au cours du mois d’avril 2012 ses actifs pour un montant de 790 000,00 $, le produit net de cette vente (590 956,62 $) ayant été remis à Callidus pour le remboursement partiel des sommes qui lui étaient dues.

Au même moment, la Couronne a transmis une lettre réclamant à Callidus un montant de 98 844,33 $ pour de la TPS/TVH non remise par Cheese Factory en invoquant la fiducie réputée créée par la LTA.

Dans les mois qui ont suivi, Cheese Factory a fait cession de ses biens en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (« LFI »). Suivant le dépôt de cette cession de biens, la Couronne a entrepris des procédures judiciaires contre Callidus fondée sur la fiducie présumée et prévue à l’article 222 LTA.

La principale question soumise d’abord en Cour fédérale puis devant la Cour d’appel fédérale peut être formulée ainsi :

« Est-ce que la faillite d’un débiteur fiscal a pour effet de rendre la fiducie présumée prévue à l’article 222 de la LTA inopposable à un créancier garanti qui a reçu de façon préalable à cette faillite le produit de la vente de biens de ce débiteur fiscal qui était réputé être détenu en fiducie en faveur de la Couronne? »

Décision de la Cour fédérale

En première instance, la Cour fédérale avait répondu par l’affirmative en statuant que la fiducie présumée crée en faveur de la Couronne à l’article 222 LTA était inopposable au créancier garanti pour ce qui concernait la TPS/TVH perçue mais non remise par le débiteur fiscal en cas de faillite de ce dernier. La Cour a conclu qu’il en était ainsi nonobstant le fait que ces sommes aient été obtenues par le créancier préalablement à la faillite de la débitrice au moment où le mécanisme de fiducie présumée s’appliquait.

L’arrêt de la Cour d’appel fédérale

Dans un jugement rendu à deux contre un, la majorité avait infirmé la décision et conclu en faveur de l’application de la fiducie présumée au produit touché par le créancier garanti suite à la vente de biens du débiteur fiscal sur lesquels la fiducie s’appliquait préalablement à sa faillite.

La majorité de la Cour d’appel fédérale écrivait notamment :

« [26] S’il soustrait à la fiducie présumée les actifs détenus par le débiteur fiscal au moment de la faillite, le paragraphe 222(1.1) n’éteint pas la responsabilité personnelle préexistante du créancier garanti qui a reçu un produit de cette fiducie. Cette responsabilité personnelle est entièrement engagée, la créance est exigible et la Couronne peut faire valoir son droit en poursuivant une cause d’action indépendante de toute instance ultérieure relative à la faillite. Le maintien de la cause d’action ne dépend pas des autres actifs du débiteur qui sont détenus ou non en fiducie, puisque cette cause d’action découle du manquement du créancier garanti à l’obligation légale de verser ce produit. Toute autre conclusion aurait pour effet de neutraliser le mécanisme de fiducie présumée pour ce qui concerne la TPS ou la TVH. »

Toutefois, cette décision a fait l’objet d’une dissidence par l’Honorable Juge Pelletier qui était d’avis que, dès la faillite, la fiducie présumée établie par l’article 222 LTA cessait de s’appliquer et ce, même sur le produit de la vente de biens effectuée de façon préalable à la faillite.

La Cour suprême, qui avait autorisé la demande d’appel de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale, a entendu les représentations des procureurs le 8 novembre dernier.

Décision de la Cour suprême

Dans une décision rendue à l’unanimité sur le banc, les juges de la Cour suprême ont accordé l’appel et infirmé la décision de la majorité de la Cour d’appel fédérale, se ralliant au raisonnement rendu par le juge dissident Pelletier de la Cour d’appel fédérale à l’effet que la fiducie créée par le paragraphe 222 de la LTA est inapplicable en cas de faillite de la débitrice, considérant le libellé de l’article 222 (1.1) de cette même loi. En d’autres termes, un créancier garanti, qui a reçu le produit de la vente d’un actif visé par une fiducie présumée, n’est pas responsable de la remise de ces sommes à la Couronne lorsque le débiteur fait ultérieurement faillite.

Conclusion

La décision de la Cour suprême renversant la décision de la majorité de la Cour d’appel fédérale permettra aux créanciers garantis d’éviter les potentiels recours de la part de la Couronne à la suite d’une réalisation sur les actifs d’un débiteur non failli. Cette décision aura un impact évident pour les intervenants en matière d’insolvabilité et pour les créanciers garantis. En effet, il est excessivement difficile pour un créancier garanti de s’assurer que son débiteur en défaut s’était conformé à ses obligations fiscales face à la Couronne. En conséquence, dans le cadre d’une réalisation sur les actifs par ce créancier, celui-ci risquait donc de se voir opposer l’application de la fiducie présumée par la Couronne pour des sommes TPS/TVQ perçues, mais non remises par le débiteur.

Il faut toutefois noter que la Cour suprême dans le cadre de cette décision mentionne expressément qu’elle n’a pas déterminé le cadre applicatif de l’article 222 (3) de la LTA concernant la responsabilité personnelle distincte des créanciers garantis en l’absence de faillite.


1 LRC 1985, c E-15.