Joyeux Noël #MoiAussi

Le mois de décembre étant déjà à nos portes, la saison du party de Noël de bureau peut officiellement être lancée! La recette du party de Noël festif sans débordement n’existant pas, les employeurs doivent dès maintenant faire preuve de prévoyance, d’encadrement et de vigilance.

Les derniers mois d’actualité sont certes la preuve que des situations de harcèlement psychologique – y compris de harcèlement sexuel – peuvent survenir dans tout type de milieu de travail. Les situations pouvant donner lieu à de telles plaintes lors des fêtes de bureau ne font certainement pas exception à ce constat… au contraire!

L’employeur doit donc être particulièrement vigilant, non seulement quant aux situations pouvant être qualifiées de harcèlement psychologique ou sexuel au sens de la loi ou de sa politique d’entreprise, mais également à l’égard de tout comportement qui, sans pouvoir être qualifié de harcèlement psychologique, demeure inapproprié, voire indésirable, dans le contexte d’un milieu de travail.

Le harcèlement psychologique

Depuis maintenant quinze ans, la Loi sur les normes du travail1 prévoit qu’un salarié a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique. Pour qu’il y ait harcèlement psychologique, cinq conditions doivent être présentes :

  1. Une conduite vexatoire, se manifestant par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes;
  2. Le caractère hostile ou non désiré de tels comportements, paroles, actes ou gestes;
  3. Le caractère répétitif de tels comportements, paroles, actes ou gestes;
  4. Une atteinte à l’intégrité psychologique ou physique du salarié;
  5. La conduite vexatoire doit entraîner pour le salarié un milieu de travail néfaste.

Il y a lieu de souligner que dans certains cas, une seule conduite grave ayant notamment un effet nocif continu pour le salarié pourra être qualifiée de harcèlement psychologique.

En matière de harcèlement psychologique, le législateur impose à l’employeur de prendre tout moyen raisonnable pour prévenir la survenance d’une telle situation et la faire cesser dès qu’elle est portée à sa connaissance. Cette double obligation de l’employeur ne se limitant pas aux lieux physiques de l’entreprise, celui-ci doit redoubler de vigilance lors de la tenue d’activités organisées à l’extérieur du travail… et qui parle d’activités en cette période de l’année parle nécessairement de party de Noël! Ainsi, une seule conduite grave survenue dans le contexte d’une fête de Noël peut amener l’employeur à devoir se défendre devant les tribunaux à la suite du dépôt d’une plainte de harcèlement psychologique.

La jurisprudence québécoise offre certains exemples où des plaintes alléguant la survenance de harcèlement psychologique lors de fêtes de Noël organisées par des employeurs.

Tout d’abord, dans l’affaire S… H…2, la Commission des relations du travail (« CRT »)3 a accueilli une plainte de harcèlement psychologique fondée sur une seule conduite grave à connotation sexuelle commise lors du party de Noël de l’entreprise. Le représentant de l’employeur, un propriétaire de pub, placé en relation d’autorité par rapport à la plaignante, soit une serveuse, a touché son sein en glissant un glaçon sous son chandail. Selon le tribunal, l’employeur a clairement failli à ses obligations et la consommation alléguée d’alcool par le propriétaire ne pouvait certainement pas le soustraire de ses obligations. De plus, le tribunal estime qu’un tel attouchement sexuel ne pouvait être synonyme « d’un trouble ou d’un inconfort qui puisse, avec le temps, permettre la reprise d’une relation de type patron/employé »4. Au contraire, cet attouchement a eu un effet nocif continu sur la plaignante, qui a dû quitter ce milieu de travail.

Par ailleurs, dans l’affaire Sécuritas Canada ltée5, la CRT a confirmé le congédiement imposé au plaignant en raison de gestes de harcèlement sexuel posés notamment lors d’une fête de Noël. Le plaignant, directeur des équipes d’agents de sécurité, s’était alors permis de formuler les commentaires et de poser les gestes suivants à l’endroit d’une autre salariée, une agente de sécurité :

  • il lui mentionne qu’elle est jolie et sexy; 
  • il lui demande si elle n’est pas « tentée de redevenir célibataire »; 
  • il lui raconte ses « prouesses sexuelles »; 
  • il lui mentionne considérer « que les gens de son âge étaient bien meilleurs au lit que les jeunes de la vingtaine, parce que « lui » a de l’expérience au lit »; 
  • une fois sur la piste de danse, il se permet de lui prendre la main pour la poser sur son sexe et de soulever sa jupe.

Le pouvoir d’intervention de l’employeur au-delà des situations de harcèlement psychologique

Lorsqu’un salarié accepte de participer à une fête organisée par son employeur à l’extérieur des heures de travail, il accepte, par le fait même, de s’y présenter dans le cadre de son emploi et d’y participer à titre de salarié. Cela étant dit, l’employeur a donc droit de sanctionner tout geste survenu lors d’une fête qu’il organise, même si les comportements reprochés ne se sont pas produits sur les lieux habituels du travail ou durant un quart de travail.

Les exemples en jurisprudence de maladresse voire d’indécence de salariés lors d’une fête de Noël sont nombreux et confirment qu’il appartient à l’employeur de sanctionner de tels comportements en imposant les mesures disciplinaires appropriées. On peut notamment y retrouver les exemples suivants :

  • L’imposition d’une suspension de trois jours pour avoir projeté (et brisé) une chaise sur une distance d’une dizaine de pieds et pour avoir menacé le gérant du restaurant de lui « casser les jambes » s’il ne retrouvait pas son manteau, a été confirmée. L’arbitre retient qu’il s’agit d’une démonstration flagrante d’un cas de manque de civilité6.
  • Un arbitre a considéré qu’une suspension de cinq jours pour avoir soulevé de quelques pouces la robe de la réceptionniste de l’entreprise en affirmant « regarde si elle a de belles jambes » était justifiée, même si le salarié avait alors consommé entre sept et huit bières7.
  • Un arbitre a confirmé une suspension disciplinaire de deux jours imposée au plaignant pour avoir mentionné à la « blague » lors du souper de Noël organisé par l’employeur que les « cadres au ministère des Transports recevaient des bonus au rendement et que c’était de l’argent en moins pour le paiement des bottes d’hiver des syndiqués »8.
  • Le congédiement d’un livreur d’une rôtisserie pour avoir frappé trois fois au visage une collègue lui faisant perdre l’équilibre et ses lunettes, avec laquelle il avait entretenu une relation amoureuse houleuse, a été confirmé9.

Dans cette dernière affaire, Royal Vézina inc., rendue en 2017, l’arbitre Francine Lamy expliquait que la gravité intrinsèque d’un geste posé par un salarié dans un contexte de fête n’est pas moindre que celle d’un geste qui aurait été posé sur les lieux du travail durant un quart de travail. La jurisprudence ancienne à l’effet qu’une faute commise lors d’une activité sociale serait moins grave qu’une faute commise sur les lieux du travail est selon elle dorénavant inapplicable[10].

Quelques conseils

Afin d’éviter toute situation de harcèlement psychologique ou de comportements inappropriés lors de votre fête de Noël, tout employeur devrait notamment :

  • Prévenir :
    • Rappelez à vos employés l’existence (et le contenu!) de votre Politique en matière de harcèlement et de leurs obligations générales de civilité et de respect;
    • Limitez la consommation d’alcool lors de la fête (d’ailleurs, un salarié demeure responsable de son comportement et sa consommation d’alcool ne devrait pas lui servir de passe-droit au harcèlement ou à des comportements inappropriés);
    • Et le cannabis? Interdit! Et même si le gouvernement fédéral veut le légaliser, cela n’est pas en vigueur et votre Politique à l’encontre de la consommation de drogue s’applique pleinement!
  • Être vigilant :
    • Durant la fête, assurez-vous que des représentants de l’employeur sont aux aguets (et sobres!);
  • Encadrer :
    • Si une situation pouvant s’apparenter à du harcèlement ou à tout comportement inapproprié se produit, intervenez sur le champ;
    • Si une situation vous est rapportée suite à la fête, vous devrez faire enquête, même si celle-ci est survenue à l’extérieur des lieux et des heures de travail;
    • Appliquez les mesures disciplinaires appropriées.

En somme, en matière de harcèlement, n’hésitez pas à appliquer une politique de « tolérance 0 », que l’on soit ou non dans le contexte d’une fête. Votre entreprise participera ainsi, à sa façon, au mouvement #MoiAussi.


1 RLRQ, c. N-1. (la « LNT »).
2 S.H. et Compagnie A, D.T.E. 2007T-722 (C.R.T.).
3 Maintenant le Tribunal administratif du travail (« TAT ») depuis le 1er janvier 2016.
4 Voir S.H. et Compagnie A, D.T.E. 2007T-722 (C.R.T.), au par. 85.
5 Pelletier et Sécuritas Canada ltée, D.T.E. 2004T-1149 (C.R.T.).
6 Servisair et Avoa Minassian, D.T.E. 2009T-448 (T.A.), (Nathalie Faucher, arbitre).
7 Union des employés du transport local et industries diverses, section locale 931 c. Imbeau, D.T.E. 2007T-128 (C.S.), (juge Carole Hallée).
8 Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec et Fonds des réseaux de transport terrestre, 2017 QCTA 728, (Pierre St-Arnaud, arbitre).
9 Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 500 et Royal Vézina inc. (St-Hubert), 2017 QCTA 304, (Francine Lamy, arbitre).
10 Id., aux par. 54-55.