Existe-t-il vraiment une obligation pour un employeur d’« accommoder » un travailleur incompétent? Doit-il lui offrir de le replacer ailleurs dans l’entreprise?

Depuis quelques années, une controverse jurisprudentielle a refait surface quant aux obligations d’un employeur lors du congédiement administratif d’un travailleur pour incompétence. Est-il suffisant de se conformer aux cinq critères découlant de la décision phare au Québec en la matière, l’arrêt Costco, ou faut-il en plus qu’un employeur fasse des efforts raisonnables afin de replacer le travailleur incompétent dans un autre poste au sein de son entreprise (ce qu’on appelle le 6e critère)? 

La saga Kativik 

Le 31 mai 2019, la Cour d’appel a rendu un bref jugement très attendu sur cette question. À l’unanimité, les trois juges ont décidé que l’arbitre, initialement saisi du grief d’un travailleur contestant sa fin d’emploi administrative pour incompétence, avait rendu une décision raisonnable en retenant que l’employeur aurait dû entreprendre des démarches pour trouver une solution alternative raisonnable au congédiement. 

Rappelons toutefois que les circonstances de cette affaire étaient très particulières, notamment parce que le suivi administratif en place dans les dernières années a été jugé déficient, et que les interventions avaient été considérées comme brusques de la part de l’employeur. 

La Cour d’appel n’a toutefois pas tranché le fond du débat, se limitant à mentionner que la décision initiale de l’arbitre de grief appartenait aux issues possibles « bien qu’on puisse reconnaître qu’un autre décideur aurait pu en arriver à une autre conclusion ». 

Quoi faire maintenant? 

Une analyse des décisions récemment rendues sur le sujet nous offre une perspective intéressante : en général, lorsqu’un décideur applique ce 6e critère, un ou plusieurs des cinq critères de l’arrêt Costco n’avaient pas été respectés. 

Ainsi, dès le moment où un employeur constate des lacunes au niveau du rendement d’un de ses travailleurs, il doit agir pour redresser la situation. Ensuite, il doit garder à l’esprit les enseignements de l’arrêt Costco dans la conduite du dossier, à savoir : 

  • Le travailleur doit connaître les politiques de l’entreprise et les attentes fixées par l’employeur à son égard;
  • Les lacunes doivent lui avoir été signalées;
  • Il doit avoir obtenu le support nécessaire pour se corriger et atteindre ses objectifs;
  • Il doit bénéficier d’un délai raisonnable pour s’ajuster;
  • Il doit être prévenu du risque de congédiement à défaut d’amélioration de sa part.

En respectant scrupuleusement chacun de ces critères et en documentant bien toutes les démarches effectuées, un employeur aura plus de facilité à démontrer sa bonne foi, sa prise en charge effective du travailleur et sa volonté de trouver une solution au problème de compétence ou de rendement. Il mettra ainsi toutes les chances de son côté si un litige devait se transporter devant un tribunal, et notamment celui d’éviter l’application d’un 6e critère de « repositionnement » dans l’entreprise. 

Pour le reste, les jeux sont ouverts et il y a fort à parier que les courants jurisprudentiels opposés sur la question de la validité du 6e critère continueront à coexister pour les prochaines années.