Employeurs fédéraux – dépôt d’un projet de loi visant à prévenir le harcèlement

Le 7 novembre dernier, la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et du Travail, l’honorable Patty Hajdu, a déposé le projet de loi C-65, afin de renforcer le régime visant à prévenir le harcèlement et la violence dans les lieux de travail. Le projet de loi modifie la partie II du Code canadien du travail1 ainsi que la Loi sur les relations de travail au Parlement2.

Le régime actuel

Présentement, les employés travaillant pour des employeurs de juridiction fédérale, notamment dans le secteur bancaire, du transport international et interprovincial ou de la communication (radiodiffusion, télédiffusion, câblodistribution, services Internet, services téléphoniques) bénéficient de certaines protections énoncées dans le Code et ses règlements ainsi que dans la Loi canadienne sur les droits de la personne3.

Tout d’abord, les articles 247.1 à 247.4 du Code prévoient que tout employé a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement sexuel, ainsi que les modalités applicables.

L’article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne interdit, en matière d’emploi, le harcèlement discriminatoire, soit le harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite. Rappelons que l’article 3 de cette loi indique que les motifs de distinction illicite sont ceux fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’état de personne graciée ou la déficience. Par conséquent, tout harcèlement non fondé sur un tel motif n’est pas visé par cette interdiction.

Finalement, le Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail4 prévoit qu’un employeur doit mettre en place des mécanismes de contrôle afin de prévenir les possibilités de violence et de les réprimer autant que faire se peut. L’article 20.2 de ce Règlement définit la violence comme étant « tout agissement, comportement, menace ou geste d’une personne à l’égard d’un employé à son lieu de travail et qui pourrait vraisemblablement lui causer un dommage, un préjudice ou une maladie ».

Contrairement à un employé travaillant pour un employeur provincial, pour lequel un régime interdisant le harcèlement psychologique a été clairement introduit dans la Loi sur les normes du travail5 en 2002, un tel régime n’est pas spécifiquement prévu pour les employés de juridiction fédérale, et ce, bien que plusieurs situations de harcèlement psychologique puissent être visées soit par l’interdiction visant le harcèlement sexuel prévue au Code, soit par l’interdiction visant le harcèlement prévue à la Loi canadienne des droits de la personne ou encore par le Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail enjoignant à l’employeur de prévenir et réprimer la violence en milieu de travail. 

Le nouveau régime proposé par le projet de loi C-65

Alors que la partie II du Code prévoit actuellement l’objectif de prévenir les accidents et maladies liés à l’occupation d’un emploi, la modification législative proposée vise à élargir la définition : « La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les blessures et maladies, physiques ou psychologiques, liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions. » En plus d’ajouter la notion de blessure, le projet de loi précise ainsi que les accidents et les blessures peuvent être de nature physique ou psychologique.

Dans ce même but de protéger les employés, le projet de loi prévoit de plus certaines obligations pour les employeurs dans ce même but de protéger les employés. En effet, l’employeur sera tenu d’enquêter non seulement sur les accidents ou maladies professionnelles, mais aussi sur tous les incidents de harcèlement ou de violence dont il a connaissance. Il devra aussi prendre les mesures prévues par règlement pour prévenir et réprimer le harcèlement et la violence dans le lieu de travail et donner suite aux incidents de harcèlement et de violence. Le projet de loi prévoit également l’obligation pour l’employeur d’offrir du soutien aux employés touchés par le harcèlement et la violence dans le lieu de travail. Le projet de loi ne définit pas les termes « harcèlement » et « violence » et prévoit que ceux-ci devront être définis par règlement.

En plus d’élargir la portée de la loi, les modifications précisent le cadre d’intervention devant être adopté en cas de harcèlement ou de violence.

En premier lieu, un employé qui croit raisonnablement qu’une situation contrevient aux dispositions du Code traitant de harcèlement ou de violence, ou qu’une situation est susceptible de résulter en un accident, une blessure ou une maladie lié à l’occupation d’un emploi doit porter plainte auprès de son supérieur hiérarchique. Débute alors un processus de règlement interne de cette plainte.

Si les parties n’arrivent pas à régler la plainte, celle-ci devra être renvoyée par l’une des parties à l’un des présidents du comité local ou au représentant6, sauf si elle a trait à un incident de harcèlement ou de violence. Dans ce cas, la plainte devra plutôt être renvoyée au ministre qui fera enquête, sauf s’il est d’avis que l’affaire est futile, frivole ou vexatoire, ou que la plainte a été traitée comme il se doit dans le cadre d’une procédure prévue par le Code, une autre loi fédérale ou par une convention collective. Dans ces situations, le ministre informera l’employeur et l’employé qu’il ne fera pas enquête. Si le projet de loi est ainsi adopté, il sera très important pour un employeur d’inclure à la convention collective le mécanisme de traitement des plaintes de harcèlement et de violence.

Il est intéressant de noter que ce projet de loi prévoit un mécanisme de traitement confidentiel des plaintes de harcèlement et de violence. Tout d’abord, contrairement aux autres plaintes, le comité local ne peut être impliqué dans de telles situations. Le projet de loi prévoit également que ni le ministre ni l’employeur ne peuvent transmettre à un comité local des renseignements qui sont susceptibles de révéler l’identité d’une personne concernée par un incident de harcèlement ou de violence dans le lieu de travail, sauf avec le consentement de celle-ci.

L’application aux employés du Parlement

La deuxième partie du projet de loi modifie la Loi sur les relations de travail au Parlement concernant l’application de la partie II du Code aux employeurs et aux employés du Parlement. Il est intéressant de noter que les articles 87 et 88 de cette loi prévoient déjà une telle application de la partie II du Code, mais qu’à ce jour, ils ne sont toujours pas en vigueur.

Finalement, notons que le projet de loi ne restreint d’aucune façon les pouvoirs, privilèges et immunités du Sénat, de la Chambre des communes, des sénateurs et des députés.

Commentaires

Comme mentionné, le projet de loi ne définit pas les termes « harcèlement » et « violence » et prévoit que ceux-ci devront être définis par règlement. De plus, alors que le Code définissait le harcèlement sexuel et prévoyait des obligations spécifiques à ce sujet, le projet de loi propose d’abroger cette section du Code. Devons-nous en déduire que la définition de harcèlement qui sera édictée par règlement inclura une notion de harcèlement sexuel? Nous sommes d’avis que la définition d’un concept aussi important que le harcèlement devrait se trouver dans le Code et non pas dans un texte réglementaire. De plus, dans l’éventualité où le règlement n’était pas adopté de façon concomitante au projet de loi C-65, il pourrait en résulter un vide juridique concernant, notamment, les situations de harcèlement sexuel.

Il s’agit définitivement d’un projet de loi dont il faudra suivre l’évolution de près compte tenu de l’importance et de la sensibilité du sujet.


1 L.R.C. (1985), ch. L-2 (le « Code »).
2 L.R.C. (1985), ch. 33 (2e suppl.).
3 L.R.C. (1985), ch. H-6.
4 DORS/86-304.
5 L.R.Q., ch. N-1.1.
6 Les articles 135 et 136 du Code prévoient que l’employeur doit constituer, pour chaque lieu de travail placé sous son entière autorité et occupant habituellement au moins vingt employés, un comité local chargé d’examiner les questions qui concernent le lieu de travail en matière de santé et de sécurité. L’employeur doit plutôt nommer un représentant pour chaque lieu de travail placé sous son entière autorité et occupant habituellement moins de vingt employés ou pour lequel il n’est pas tenu de constituer un comité local.