Emploi convenable et obligation d’accommodement : la Cour supérieure bouleverse l’ordre établi

Publié par notre équipe de droit du travail et de l’emploi.

Le 5 juin 2014, la Cour supérieure, siégeant en révision judiciaire1, a créé une commotion dans l’interprétation de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) en concluant que l’employeur, malgré sa contribution au financement d’un régime complet permettant la réparation des conséquences d’une lésion professionnelle, doit aussi remplir son obligation d’accommodement en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne (Charte).

Par conséquent, si la Cour d’appel n’infirme pas la décision rendue, l’employeur ne peut plus simplement conclure à l’absence d’emploi convenable au sein de son établissement : afin de respecter les limitations fonctionnelles du travailleur, il doit aussi analyser les possibilités raisonnables de l’accommoder en adaptant son poste actuel ou même un autre poste.

Dans l’affaire Caron, l’employeur avait informé le travailleur et la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) qu’aucun emploi convenable respectant ses limitations fonctionnelles n’était disponible. La CSST avait donc convenu d’élaborer un programme de réadaptation individualisé afin de lui permettre de trouver un nouvel emploi ailleurs sur le marché du travail.

Le travailleur a contesté cette décision jusqu’à la Commission des lésions professionnelles (CLP), arguant que l’employeur devait remplir son obligation d’accommodement imposée par la Charte. Plus spécifiquement, le travailleur prétendait que l’employeur pouvait adapter un poste afin que ses limitations fonctionnelles soient respectées.

La CLP a rejeté la contestation du travailleur2. Elle a retenu que la CSST et la CLP ne pouvaient pas ordonner des mesures de réparation autres que celles prévues par la LATMP. Conformément à la jurisprudence antérieure fortement majoritaire, la CLP a réitéré que le processus de réadaptation prévu par la LATMP constitue en soi un accommodement raisonnable, tel qu’exigé par la Charte.

Le travailleur a porté cette décision en Cour supérieure par une requête en révision judiciaire, prétendant que la décision de la CLP était déraisonnable.

Décision de la Cour supérieure

La Cour supérieure a conclu que la CLP avait erré en refusant d’imposer à l’employeur un devoir d’accommodement raisonnable en vertu de la Charte.

Plus spécifiquement, la Cour a estimé que la CLP aurait dû déterminer si l’employeur faisait preuve de discrimination à l’égard du travailleur en prétendant qu’il n’avait pas d’emploi convenable à lui offrir. Si oui, la CLP aurait dû appliquer l’article 49 de la Charte et ordonner à l’employeur d’accommoder le travailleur. Par conséquent, la Cour supérieure a renvoyé le dossier à la CLP, lui demandant de se prononcer sur la contestation du travailleur en tenant compte des exigences de la Charte en matière d’accommodement raisonnable.

Encore plus étonnant, la Cour supérieure a ouvert la porte à une contestation sur la constitutionnalité du délai d’exercice du droit de retour au travail prévu à l’article 240 de la LATMP (1 an ou 2 ans, selon le nombre de salariés de l’établissement), suggérant qu’il puisse éventuellement être déclaré inopérant.

Conclusion

Si la décision de la Cour supérieure devait être confirmée par la Cour d’appel, la CSST ainsi que la CLP devrait dorénavant analyser, dans ce type de dossier, la faisabilité pour l’employeur de modifier les tâches du poste pré-lésionnel afin de le rendre convenable, tant que cela n’impose pas à l’employeur une contrainte excessive. Les employeurs devront ainsi se soumettre à un exercice complet d’analyse des possibilités d’accommoder un travailleur, sans quoi il devra démontrer une contrainte excessive pour justifier son impossibilité de l’accommoder.


1 Alain Caron c. Centre Miriam, 2012 QCCLP 3625.
2 Caron c. Commission des lésions professionnelles, 2014 QCCS 2580.