Dunkin Donuts

Personne-ressource : Antoine Hamel Rancourt

L’arrêt du 15 avril dernier dans Dunkin’ Brands Canada Ltd. c. Bertico et al.1 est d’une grande importance en ce qu’il fait un examen approfondi et fouillé des obligations et des droits des parties liées par un contrat de franchise. 

Ce jugement est l’aboutissement d’un long débat qui s’est étiré sur une décennie que Langlois Kronström Desjardins et Fasken Martineau ont conduit ensemble pour le compte de 32 franchisés de Dunkin Donuts. 

En effet, les franchisés demandeurs ont subi, au cours des années 1990, une dégradation continue et progressive de leur entreprise au point où, sans une intervention énergique, leurs établissements étaient voués à la disparition. Ils se sont donc naturellement tournés vers leur franchiseur pour aide et soutien. Malgré de nombreuses discussions, ils n’ont pas trouvé chez lui l’assistance et le soutien auxquels ils croyaient avoir droit. Ils en ont donc conclu que Dunkin Donuts les avait abandonnés et, du coup, inexécuté ses obligations contractuelles, d’où l’assignation en justice de leur franchiseur en 2003. 

Au terme d’un procès de 71 jours, le juge de la Cour supérieure accueillait le recours et condamnait le franchiseur à payer une indemnité de plus de 16 millions $.2 

Porté en appel, le jugement est confirmé sur l’interprétation du contrat et la responsabilité de Dunkin Donuts, mais partiellement réformé sur les dommages réduits à un peu plus de 10 millions $ pour corriger des erreurs de calcul, tenir en compte certains aléas et ordonner le remboursement des redevances impayées. 

Bien que l’arrêt aborde plusieurs questions importantes, cette analyse se limitera au seul contenu obligationnel du contrat de franchise. En d’autres termes, comment doit-on envisager la situation des contractants, franchiseur et franchisés? 

Le franchiseur a soutenu en appel que le juge du procès avait interprété l’obligation incluse au contrat de protéger et accroître la marque Dunkin Donuts (to protect and enhance the brand) comme signifiant le devoir de surpasser la concurrence (to outperform the competition), en l’occurrence celle de Tim Horton. En somme, l’on a soutenu que le jugement de la Cour supérieure lui imposait une obligation de résultat. 

La Cour a rejeté cette prétention. Elle a fait remarquer que le franchiseur s’attaquait à l’interprétation du contrat par le premier juge, une question de fait ou de fait et de droit sur laquelle la Cour d’appel n’intervient que si une erreur manifeste et dominante est démontrée. 

Or, le juge Kasirer, rédacteur de l’opinion unanime de la Cour d’appel, estime, d’une part, que cette démonstration n’a pas été faite et que, d’autre part, l’appelante a incorrectement interprété la décision du juge Tingley de la Cour supérieure. Il a exprimé l’avis que le franchiseur avait, outre les obligations expresses du contrat, des devoirs implicites découlant de la nature même du contrat de franchise dont l’une des caractéristiques est de s’étaler dans le temps. Dans ce contexte, le franchiseur et les franchisés ont, en quelque sorte, établi entre eux un rapport de collaboration faite de droits et d’obligations qui s’échelonne sur toute la durée de leur relation contractuelle, malgré le fait que leurs intérêts peuvent parfois être divergents. 

Le juge Kasirer fait remarquer que la protection de l’enseigne, de la marque Dunkin Donuts, est trop importante pour le franchiseur pour que celui-ci ne prenne pas une part active dans la conduite des affaires. Le succès et la prospérité de la chaîne de restauration nécessitent une constante interaction entre le franchiseur et le franchisé et le rôle du franchiseur se manifeste, entre autres : 

  • à l’occasion du choix du nouveau franchisé, qu’il démarre un nouvel établissement ou qu’il acquiert celui déjà en exploitation;
  • en dispensant au nouveau franchisé, assistance, appui et une formation adéquate; et,
  • en maintenant son soutien technique et commercial tout au long de la durée des relations contractuelles et en assurant le respect des normes sur lesquelles est fondée la réputation du groupe, ce qui peut, en certains cas, exiger que soit sanctionné le franchisé fautif. 

Et le juge Kasirer de conclure sur cet aspect : « This would continue over the life of the agreement. In this sense, the agreement was a “relational” one which, as is often the case in such long-term arrangements, did not spell out all of its terms. »3

La Cour souligne ensuite l’obligation de bonne foi propre à toutes les relations contractuelles et dont elle avait déjà fait état en matière de franchise dans l’arrêt Provigo4

Enfin, la Cour aborde l’obligation implicite du franchiseur à l’endroit de l’ensemble de son réseau de franchisés. La Cour d’appel reconnaît que le « réseau » n’est pas à proprement parler une partie contractante. Toutefois, elle estime que le devoir du franchiseur de s’assurer de la bonne santé et du développement de son réseau est associé, voire compris au contrat de chaque franchisé. La prospérité et le rayonnement d’une chaîne d’établissements commerciaux grâce à des normes reconnues et strictes sont à l’avantage de tous, franchiseur et franchisés. 

Cela signifie, selon la Cour, l’obligation de concevoir et d’adopter des mesures raisonnables pour appuyer les franchisés comme groupe à faire face et résister à la concurrence. 

En réalité, dit la Cour, la relation de confiance est fondamentale dans toute relation contractuelle. Or, en l’espèce, le franchiseur affirme que son réseau et sa marque sont des actifs pour le franchisé. Plus encore, le préambule du contrat de franchise, écrit le juge Kasirer, insiste sur la bonne réputation de sa marque et sur l’estime que le public lui porte; il souligne enfin sa longue expérience à titre de franchiseur dans le commerce de la restauration rapide. De l’avis de la Cour, cette représentation explicite du contrat constitue, en réalité, une incitation à joindre Dunkin Donuts et son réseau. 

Ainsi, les franchisés étaient naturellement enclins à vouloir profiter de ces avantages qu’on leur présentait et surtout avaient raison de croire que Dunkin Donuts maintiendrait ces obligations de qualité pendant toute la durée du contrat : 

« The franchisee, naturally, relied on this in deciding to join the network. The franchisee signs the franchise agreement in order to profit from the established renown of the network, and he or she both understands and expects that this established track record will be maintained through a rigorous programme of imposed standards of quality and cleanliness, of training, of assistance and support. The opportunity to join the Dunkin’ Donuts network, with its promised reputation for quality and uniform experience and the sense that the Franchisor would be present over the life of the agreement to ensure that quality, induces them to invest in the franchise. »

En somme, la Cour reconnaît au contrat de franchise la caractéristique d’une relation continue entre franchiseur et franchisés qui, malgré des intérêts qui peuvent parfois être discordants, voire opposés, requière coordination et collaboration dans la conduite des affaires et l’obligation constante du franchiseur à maintenir et améliorer sa marque et son réseau. Cette obligation de soutien et d’aide peut même signifier que le franchiseur sanctionne le franchisé indiscipliné; le maintien de la qualité peut l’exiger. Parallèlement, le franchisé est engagé, lui aussi, dans un système continu d’exploitation et doit, à ce titre, respecter ses obligations qui sont l’inévitable contrepartie de ses droits vis-à-vis son franchiseur. Cette situation juridique particulière n’est pas nouvelle. C’est ce que la Cour d’appel nous rappelle et met à jour par sa récente décision. Nul doute que par sa facture et ses enseignements, l’arrêt Dunkin Donuts deviendra une décision phare en matière de droit des franchises. 

Ce litige a connu une ampleur peu commune et présenté des difficultés importantes. La Cour supérieure l’a reconnu en octroyant un montant de 240 000 $ à titre d’honoraires spéciaux additionnels aux deux cabinets d’avocats Langlois Kronström Desjardins et Fasken Martineau. Contestée, cette décision a été confirmée par la Cour d’appel.

__________

1 2015 QCCA 624.
2 2012 QCCS 2809.
3 Soulignements ajoutés.
4 Provigo Distribution c. Supermarché ARG, 1998 RJQ 47 (CA).