Droit des médecins participants et non participants de s’associer

Dans un arrêt unanime du 1er juin 2017, la Cour d’appel rejette le pourvoi de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (« FMSQ ») à l’encontre de la décision de la Cour supérieure du 16 juin 2015, qui avait rejeté la demande de la FMSQ visant à faire déclarer nuls et invalides l’article 333.3 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (« LSSSS ») et certaines dispositions liées, lesquels empêchent les médecins participants et les médecins non participants au régime d’assurance maladie d’exercer leur profession ensemble dans un même centre médical spécialisé (« CMS »)1.

La FMSQ invoquait que ces dispositions violaient la liberté d’association garantie à l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne (« Charte québécoise ») et à l’article 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés (« Charte canadienne »).

Les articles de la LSSSS en cause avaient été adoptés suite à l’arrêt Chaoulli2, dans lequel la Cour suprême invalidait certaines dispositions de la Loi sur l’assurance maladie prohibant la souscription à une assurance privée pour certains soins médicaux, au motif que ces dispositions portaient atteinte aux droits à la vie et à l’intégrité de la personne garantis par l’article 1 de la Charte québécoise puisqu’elles visaient des soins que le régime public ne pouvait offrir aux usagers dans un délai raisonnable.

En conséquence, le législateur a souhaité rendre possible la souscription à l’assurance privée pour certains traitements médicaux spécialisés, tout en s’assurant qu’il n’y ait pas de mixité entre les financements privé et public pour l’ensemble des services nécessaires à ces traitements pour lesquels l’assurance privée est autorisée. D’où l’adoption de l’article 333.3 de la LSSSS, qui prévoit ce qui suit :

333.3. Un centre médical spécialisé ne peut être exploité que suivant l’une ou l’autre des formes suivantes : 

1° Un centre médical spécialisé où exercent exclusivement des médecins soumis à l’application d’une entente conclue en vertu de l’article 19 de la Loi sur l’assurance maladie (chapitre A-29); 

2° Un centre médical spécialisé où exercent exclusivement des médecins non participants au sens de cette dernière loi. 

L’exploitant d’un centre médical spécialisé doit, selon la forme sous laquelle le centre est exploité, s’assurer du respect des exigences prévues au paragraphe 1° ou 2° du premier alinéa. 

Cette disposition a donc pour effet concret d’empêcher les médecins participants d’offrir leurs services dans un CMS où exercent des médecins non participants et vice versa.

Les tribunaux devaient déterminer si l’association pour l’exercice de certaines activités médicales spécifiques sans aucune contrainte est protégée par le droit à l’association garanti par les Chartes.

En première instance, examinant la question selon les trois approches du droit à l’association retenues par la Cour suprême dans l’arrêt Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général)3, soit les approches constitutive, déductive et téléologique, la Cour supérieure a conclu que les dispositions en question ne violaient pas le droit à l’association. Les motifs du juge de première instance se résument comme suit :

  1. L’approche constitutive couvre le droit de s’unir à d’autres et de constituer des associations. La Cour considère qu’en l’espèce, les dispositions contestées n’ont pas pour objet ni pour effet d’interdire ou d’empêcher la formation d’une association et n’ont pas pour but d’empêcher une activité en raison de sa nature associative ni de décourager la poursuite de buts communs. Le législateur a le pouvoir de réglementer certaines activités, dont le fonctionnement des CMS.
  2. L’approche déductive, quant à elle, vise le droit de s’unir à d’autres pour exercer d’autres droits constitutionnels. La Cour indique à ce sujet que la liberté d’exercer une profession sans aucune contrainte n’est pas un droit protégé par les Chartes, lesquelles ne confèrent pas le droit aux médecins d’exercer leur profession à l’endroit et selon les modalités qu’ils souhaitent, citant à ce propos l’arrêt Atalla4 de la Cour d’appel.
  3. L’approche téléologique de la liberté d’association couvre le droit de s’unir à d’autres pour faire face, à armes égales, à la puissance et à la force d’autres groupes ou entités. Or, selon la Cour, l’association entre des médecins participants et non participants au sein d’un CMS n’est pas essentielle pour permettre à ces médecins de faire face, à armes plus égales, à la puissance de l’État.

La Cour d’appel confirme en tous points les motifs énoncés par la juge de première instance, tout en ajoutant ce qui suit :

[33] En l’espèce, les appelants s’attaquent à la réglementation du fonctionnement des CMS et du type de services médicaux que les médecins peuvent y dispenser en fonction de leur statut de participants ou non-participants. Or, cette réglementation vise un certain type d’activités (les services médicaux spécialisés offerts en CMS), sans pour autant empêcher ces mêmes médecins d’exercer ensemble dans un cabinet privé pour offrir d’autres services que ceux dispensés dans les CMS. 

[34] Ce n’est pas la nature associative des activités qui est visée par la réglementation et on ne peut conclure que les dispositions contestées ont pour but de décourager la poursuite de buts communs. 

[35] Les appelants ne peuvent, sous le couvert de la liberté d’association, prétendre à une liberté absolue et inconditionnelle de s’associer comme ils l’entendent et de pratiquer la médecine selon les conditions d’exercice qui leur conviennent, au motif qu’ils veulent exercer la médecine avec d’autres. La cohabitation entre médecins participants et non participants dans un CMS ne constitue pas davantage une association essentielle pour permettre à ces professionnels de faire face à armes plus égales à la puissance de l’État. 

Conclusion

Cet arrêt discute de la portée et des limites de la liberté d’association.

Dans cette affaire, la FMSQ invoquait le droit d’association à l’encontre de dispositions empêchant qu’un CMS soit exploité à la fois par des médecins participants et des médecins non participants au régime public d’assurance maladie.

La Cour d’appel confirme que selon les trois approches du droit à l’association retenues par la Cour suprême dans l’arrêt Police montée, soit les approches constitutive, déductive et téléologique, les dispositions contestées ne violent pas le droit à l’association des médecins spécialistes.

On retient que pour qu’il y ait contravention au droit à l’association garanti par les Chartes, une disposition législative ou réglementaire doit :

  • avoir pour objet ou pour effet d’empêcher la formation d’une association en raison de sa nature associative;
  • empêcher de s’unir à d’autres pour exercer d’autres droits garantis par la Constitution; ou
  • empêcher de s’unir à d’autres pour faire face, à armes égales, à la puissance et à la force d’autres groupes ou entités, tel l’État.

1 Fédération des médecins spécialistes du Québec c. Bolduc, 2017 QCCA 860
2 Chaoulli c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 35
3 [2015] 1 RCS 3 (« Police montée »)
4 Atalla c. Québec (Procureur général), J.E. 97-1679 (C.A.)