Démission sans préavis : la Cour d’appel donne son avis!

Dans la décision Pharmacie Jean-Sébastien Blais inc. c. Pharmacie Éric Bergeron et André Vincent inc., 2018 QCCA 1895, la Cour d’appel du Québec confirme le droit unilatéral qu’a un employé de démissionner et refuse d’indemniser un employeur en raison de la perte de sa clientèle suite à la démission sans préavis d’un employé clé.

Le contexte factuel

En 2012, monsieur Blais devient propriétaire d’une pharmacie dans laquelle travaille depuis près de 30 ans un technicien de laboratoire, monsieur Lacombe. Ce dernier a occupé, au cours des trois (3) décennies précédentes, différents postes : il est très connu et apprécié de la clientèle. Suite à l’acquisition de la pharmacie par monsieur Blais, plusieurs irritants majeurs sont soulevés par monsieur Lacombe tels que la gestion des inventaires, le déménagement de la pharmacie ainsi que l’obligation lui étant imposée de suivre diverses formations, ce qu’il considère être une insulte à son égard.

C’est dans ce contexte que monsieur Lacombe annonce sa démission, effective le jour même, et demeure muet sur ses projets futurs malgré les questions de son employeur à ce sujet. Pourtant, moins d’une semaine après avoir démissionné, il débute un nouvel emploi pour une autre pharmacie en compétition directe avec son ancien employeur. Affectés par le départ de monsieur Lacombe que plusieurs connaissent et apprécient depuis longtemps, plus de 200 clients demandent, dans les semaines suivant son départ, le transfert de leur dossier afin de suivre ce dernier dans son nouveau lieu de travail.

Historique des procédures judiciaire

Une demande en justice est déposée par la pharmacie et monsieur Blais contre monsieur Lacombe et son nouvel employeur, leur réclamant divers dommages pour perte de clientèle suite à ce qu’ils considèrent être des actes de sollicitation et de concurrence déloyale. On leur reproche également l’utilisation de renseignements confidentiels obtenus en cours d’emploi. L’ancien employeur soutien également avoir droit à des dommages en raison de la démission de monsieur Lacombe et être en droit de recevoir de celui-ci un préavis raisonnable de cessation d’emploi, conformément à l’article 2091 du Code civil du Québec (C.c.Q.) qui prévoit que chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l’autre un délai de congé.

Rejetant les diverses réclamations formulées par les demandeurs, la Cour supérieure fait tout de même droit à leur réclamation quant au versement d’un délai de congé raisonnable. Considérant le poste clé que monsieur Lacombe occupait chez son ancien employeur depuis plus de 30 ans ainsi que les circonstances de la démission (qualifiée d’intempestive), la Cour reconnaît les bouleversements que cette démission a entraînés pour son ancien employeur et questionne même la bonne foi de monsieur Lacombe dans le cadre du processus.

Ainsi, la Cour supérieure conclut que monsieur Lacombe aurait dû donner à son ancien employeur un délai de congé de deux (2) mois avant que sa démission ne soit en vigueur, ce qui aurait potentiellement laissé le temps de recruter un remplaçant, ou mieux, se préparer au départ de cet employé. La Cour condamne donc monsieur Lacombe personnellement au versement d’un montant équivalent à deux (2) mois de son salaire, soit 12 000 $.

Non satisfait de cette demi-victoire, l’ancien employeur porte l’affaire en appel. 

La décision de la Cour d’appel du Québec

En appel, le plus haut tribunal de la province confirme la décision de première instance en concluant que tout employé a le droit de mettre fin à sa relation d’emploi sans préavis, et ce, même pour aller travailler chez un concurrent.

Pour la Cour d’appel, en agissant ainsi, un employé ne contrevient pas à son devoir de loyauté prévu à l’article 2088 C.c.Q. Cette conclusion ne signifie toutefois pas qu’il n’y a pas de conséquence à une telle démission sans préavis. En effet, dans un tel contexte, l’employé démissionnaire demeure tenu de réparer le préjudice causé par son défaut d’accorder à son ancien employeur un préavis raisonnable avant que sa démission ne soit effective. Dans la présente affaire, la cour juge que le préavis de deux (2) mois octroyé par la Cour supérieure était raisonnable.

La Cour d’appel confirme également que la rupture soudaine et immédiate d’un contrat de travail sans préavis ne représente pas en soi un abus de droit, à moins qu’une autre faute distincte n’ait été commise par celui qui met fin au contrat (pensons par exemple à de la diffamation).

De plus, et bien que cela puisse sembler surprenant dans ce dossier, la Cour détermine que la preuve ne démontre pas qu’un plus long préavis aurait permis la mise en place de mesures qui auraient été d’une quelconque efficacité pour retenir la clientèle. Déterminant que l’ancien employeur cherchait en fait à être indemnisé pour sa perte de chance d’avoir eu le temps de mettre en place des mesures qui auraient permis de retenir la clientèle, la Cour conclut que ceci n’est pas indemnisable à défaut de preuve de dommages sur l’impact réel qu’auraient pu avoir de telles mesures.

Que retenir de cette décision?

La Cour d’appel nous précise clairement que la résiliation soudaine et immédiate d’un contrat de travail n’est pas en soi un geste abusif. On peut se demander si ce principe tient aussi la route lorsque la rupture de la relation d’emploi a été initiée par l’employeur et non par l’employé. Normalement, le principe devrait être le même et la Cour ne précise pas que le principe ne serait pas applicable en situation inverse. Ainsi certains espoirs sont-ils permis pour les employeurs? L’avenir nous le dira. 

Par ailleurs, ceci ne signifie pas pour autant que la rupture des relations d’emploi sans avis ni délai sera sans conséquence, car la Cour ouvre la porte à ce que l’initiateur de cette fin d’emploi doive dédommager l’autre des conséquences qu’aura l’absence d’avis. Dans le cas d’un employé, l’absence de revenu s’évalue facilement, mais pour une entreprise, la perte de clientèle ou d’opportunité d’affaires demeure difficile à quantifier et à prouver. En effet, dans la présente cause, malgré le départ d’environ 220 clients chez un compétiteur direct, la Cour d’appel n’a pas conclu être en présence de dommages indemnisables.