Décisions charnières pour l’industrie du gaz naturel en 2014-2015

Pas de droit à la résiliation anticipée pour les clients 
ET
Validité des dispositions types en matière de rééquilibrage volumétrique

En refusant plus tôt cet été1 l’autorisation d’interjeter appel dans l’affaire Victoria2, la Cour suprême du Canada a confirmé l’une des deux décisions importantes rendues par la Cour d’appel du Québec (« CAQ ») dans les affaires Victoria et Peyrow3. Prononcés en faveur d’une cliente de notre étude, Athena Energy Marketing Inc. (« Athena »)4, ces jugements cernent plusieurs enjeux pertinents pour l’industrie du gaz naturel et ils revêtent également une importance particulière, puisqu’ils affectent la manière dont les fournisseurs transigent au Québec. 

En bref, l’affaire Victoria confirme que le contrat d’approvisionnement en gaz naturel d’Athena devrait être qualifié de contrat de vente et non pas de contrat de service. Il ne peut donc pas être résilié avant terme par le client. 

Dans l’affaire Peyrow, la CAQ a conclu qu’à titre de fournisseur de gaz naturel, Athena ne possédait pas l’expertise précise pour établir et prévoir les besoins de consommation d’énergie de son client et qu’elle n’avait fait aucune représentation à son client à cet égard. La CAQ a également statué qu’Athena avait appliqué validement la disposition sur le rééquilibrage volumétrique qui se retrouve généralement dans toutes les ententes d’approvisionnement en gaz naturel, infirmant ainsi le jugement de première instance selon lequel Athena n’aurait pas dû appliquer cette disposition contractuelle pour minimiser ses dommages adéquatement. 

En général, un client commercial achètera son gaz d’un fournisseur de gaz naturel privé plutôt que d’une entreprise de distribution locale (par ex. Société en commandite Gaz Métro, s.r.l. (« Gaz Métro ») au Québec), afin de tirer avantage des offres de prix plus diversifiées. Tandis que Gaz Métro offre aux consommateurs un prix qui fluctue sur une base mensuelle, le fournisseur de gaz naturel peut offrir une variété de différents schèmes de prix à ses clients. À titre d’exemple, le fournisseur privé peut conclure des ententes à long terme selon lesquelles le client conviendra d’acheter une quantité quotidienne et déterminée de gaz à un prix fixe pour un terme de plusieurs années. Cela permet au client de connaître et de budgéter à l’avance ses dépenses de consommation de gaz naturel, lesquelles comptent, dans certains cas, parmi les dépenses les plus élevées de son entreprise. 

Mais qu’arrive-t-il lorsque la consommation de gaz d’un client s’avère passablement plus faible que prévue, après qu’il ait conclu une entente à prix fixe sur plusieurs années? Le client peut-il, unilatéralement, mettre fin à l’entente sur son approvisionnement en gaz naturel avec le fournisseur privé, et ce, en tout temps (comme ce serait le cas s’il s’agissait d’une entente d’approvisionnement conclue avec Gaz Métro)? Le client peut-il blâmer le fournisseur d’avoir fait des prévisions erronées et d’avoir mal établi ses besoins en fourniture de gaz pour une période déterminée? Ces questions ont été posées et des réponses leur ont été apportées dans le contexte particulier des affaires Victoria et Peyrow

Dans l’affaire Victoria, la CAQ a confirmé que l’entente d’approvisionnement en gaz naturel intervenue entre les parties visait une vente plutôt qu’une prestation de services5. La Cour a conclu qu’Athena n’agissait pas à titre de « distributeur » ou d’« intermédiaire » en gaz naturel, mais bien comme vendeur qui était devenu propriétaire du gaz avant de le revendre à ses clients. Victoria ne pouvait donc pas résilier à n’importe quel moment son entente d’approvisionnement en gaz naturel, ce qui aurait pu être fait dans le cas d’un contrat de service, après avoir rempli certaines conditions. Victoria restait liée par ses obligations contractuelles et devait les respecter malgré la baisse importante de sa consommation de gaz naturel suite à la vente de quatre de ses immeubles. 

Dans l’affaire Peyrow, le client s’était engagé par contrat à prendre livraison et à acheter une quantité fixe de gaz naturel par jour, pour un terme de cinq ans et à un prix fixe. La consommation annuelle de gaz de Peyrow s’est avérée de beaucoup inférieure à la quantité fixe dont il s’était engagé à prendre livraison par contrat. Peyrow blâmait Athena de n’avoir pas adéquatement évalué sa consommation à venir de gaz naturel et refusait de payer les factures d’Athena pour du gaz naturel qu’il n’avait pas consommé. La CAQ n’a trouvé aucune erreur manifeste dans la conclusion du juge de première instance, selon laquelle Athena ne possédait pas l’expertise ni la connaissance factuelle requise pour fournir une prévision et établir la consommation future de gaz naturel de son client6

Il convient aussi de noter que la CAQ a infirmé le jugement de première instance dans l’affaire Peyrow et a conclu qu’en l’absence de toute autre entente avec son client, Athena était tenue d’appliquer la disposition contractuelle type en matière de rééquilibrage volumétrique qui l’obligeait à revendre le gaz naturel non consommé de Peyrow, sur une base mensuelle et au prix du marché7. La Cour d’appel a également statué que le juge de première instance avait commis une erreur en concluant qu’Athena n’avait fait aucun effort pour joindre Peyrow afin de lui permettre de liquider son gaz naturel non consommé d’une manière autre que celle stipulée dans le contrat8. Athena a agi de bonne foi et était tenue d’appliquer la clause contractuelle de revente9, après avoir proposé d’autres solutions à Peyrow pour la revente de son gaz non consommé. 

Pour l’industrie, le résultat est important : nonobstant les baisses de prix du marché ou de sa consommation individuelle, un client ne peut échapper à son contrat de consommation à prix fixe intervenu avec un fournisseur privé. Nos tribunaux ont reconnu qu’une telle disposition s’explique du fait que le client ne peut bénéficier d’un prix fixe que lorsqu’il s’est engagé à acheter une quantité établie de gaz pour une période de temps définie10.


1 Vous reporter à la décision de la Cour suprême du Canada prononcée le 2 juillet 2015 dans l’affaire 9080-9211 Québec Inc. c. Athena Energy Marketing Inc. et al., CSC, dossier no 36279 (juges McLachlin, Wagner et Gascon).
2 9080-9211 Québec Inc. (Les Propriétés Victoria) c. Athena Energy Marketing Inc. (Services de gaz naturel RBC inc.), 2014 CAQ 2255 (décision datée du 2 décembre 2014). Vous reporter aussi au jugement de première instance : Athena Energy Marketing Inc. c. 9080-9211 Québec Inc. et al., 500-17-057617-105, 500-17-054978-096 (juge Emery), 19 juin 2003.
3 Athena Energy Marketing Inc. (Services de gaz naturel RBC Inc.) c. Peyrow, 2014 CAQ 2230 (décision datée du 4 décembre 2014). Vous reporter aussi au jugement de première instance : Athena Energy Marketing Inc. c. Mehrzad Peyrow, 500-17-061186-105 (juge Lalonde), 23 novembre 2012.
4 Athena poursuit désormais ses activités sous le nom « Services de gaz naturel RBC Inc. ».
5 9080-9211 Québec Inc. (Les Propriétés Victoria) c. Athena Energy Marketing Inc. (Services de gaz naturel RBC Inc.), 2014 CAQ 2255, paragraphe 4.
6 Supra note 2, paragraphes 3 – 10. Vous reporter aussi au jugement de première instance : Athena Energy Marketing Inc. c. Mehrzad Peyrow, 500-17-061186-105 (juge Lalonde), 23 novembre 2012, paragraphes 28 – 43.
7 Idem, paragraphes 16 à 20. Le juge de première instance avait décidé qu’Athena ne pouvait appliquer la clause contractuelle de revente dans les circonstances de ce dossier.
8 Idem, paragraphes 21 à 31.

9 Idem, paragraphe 31.
10 Vous reporter à Athena Energy Marketing Inc. c. Mehrzad Peyrow, 500-17-061186-105 (J. Lalonde), 23 novembre 2012, paragraphes 49 – 50. Confirmé par la CAQ, supra note 2.