La Cour d’appel limite la communication de documents préalablement à l’autorisation d’une action collective intentée sous la Loi sur les valeurs mobilières

Le 29 janvier dernier, dans le contexte des procédures interlocutoires entourant l’action collective introduite contre Amaya pour représentations fausses ou trompeuses sur les marchés secondaires en vertu du régime de la Loi sur les valeurs mobilières du Québec (la « Loi »)1, la Cour d’appel s’est prononcée quant à la demande de communication de documents préalablement à l’autorisation de l’action collective2

La Cour d’appel a accueilli la demande de permission d’en appeler présentée par Amaya et confirmé la décision de la Cour supérieure uniquement en ce qui concerne l’ordonnance de communiquer les polices d’assurance, rejetant ainsi toutes les autres demandes de communication de documents préalables à l’autorisation formulées par les requérants.

Retour sur la décision de la Cour supérieure3 

En février 2017, dans le contexte de l’action collective notamment introduite contre Amaya, la Cour supérieure accueillait la demande des requérants pour l’obtention de documents tels que la « Politique sur la divulgation, la protection de la vie privée et le commerce » ainsi que les polices d’assurance responsabilité des administrateurs et des dirigeants d’Amaya, et ce, avant même la tenue de l’audition sur l’autorisation de l’action collective. 

Dans cette décision, la Cour supérieure avait élaboré un test en trois étapes permettant la divulgation de la preuve au stade préalable à l’autorisation. Ce test avait pour but d’encadrer la divulgation préautorisation afin d’éviter une recherche à l’aveuglette et ainsi limiter la portée de la divulgation à ce qui est véritablement nécessaire. À l’aune de ce test, la Cour avait alors conclu que la demande des requérants respectait non seulement les exigences de coopération et d’ouverture prévues à l’article 20 du Code de procédure civile (le « CPC »), mais aussi celles de l’administration adéquate, efficace et économique de la justice. 

Cette décision de la Cour supérieure venait changer la règle jusque-là bien établie en jurisprudence quant à la divulgation de la preuve préalablement à l’autorisation d’une action collective. En effet, il n’y avait jusqu’alors aucune divulgation de la preuve à ce stade des procédures. Il revenait ainsi aux requérants de procéder à une enquête leur permettant d’assembler les informations et les faits leur permettant de satisfaire les critères d’autorisation. 

À la suite de cette décision de la Cour supérieure, les requérants à une action collective disposaient désormais de moyens procéduraux additionnels pour étoffer leur dossier à l’aide de renseignements et de documents émanant des défendeurs et qu’ils ne pouvaient obtenir que par le biais d’une ordonnance de divulgation. 

La décision de la Cour d’appel : retour à la règle établie 

Qu’à cela ne tienne, le 29 août 2017, Amaya a présenté une demande de permission d’en appeler du jugement rendu par la Cour supérieure quant à la communication de documents préalablement à l’autorisation de l’action collective introduite contre elle. La décision de la Cour d’appel, rendue le 29 janvier, tranche essentiellement trois questions : 

1) La demande de permission d’en appeler;

2) La demande de communication de documents préalable à l’autorisation de l’action collective; et

3) La demande de communication des polices d’assurance responsabilité des administrateurs et des dirigeants d’Amaya. 

Dans un premier temps, en ce qui concerne la permission d’en appeler du jugement de la Cour supérieure, il est intéressant de noter que la Cour d’appel est d’avis que le jugement dont appel est couvert par l’article 31 para. 2 du CPC, puisqu’il s’agit d’un jugement qui décide en partie du litige ou cause un préjudice irrémédiable à une partie. En effet, la Cour d’appel retient qu’il ne s’agit pas là d’une simple décision portant sur des mesures de gestion relatives au déroulement de l’instance au sens de l’article 32 CPC. À la lumière des principes énoncés dans l’affaire Theratechnologies4 et du potentiel préjudice irrémédiable causé à Amaya en raison de la décision de la Cour supérieure, la Cour d’appel accorde la permission d’en appeler du jugement de la Cour supérieure. 

Dans un second temps, la Cour d’appel analyse s’il est approprié de permettre la communication de documents préalablement à l’autorisation d’une action collective. En l’espèce, le pourvoi porte sur la communication de documents préalablement à l’autorisation prévue à l’article 225.4 de la Loi : 

225.4. L’action en dommages-intérêts intentée en vertu de la présente section doit être préalablement autorisée par le tribunal. 

La demande d’autorisation énonce les faits qui y donnent ouverture. Elle doit être accompagnée du projet de demande introductive d’instance et être signifiée par huissier aux parties visées, avec un avis d’au moins 10 jours de la date de sa présentation. 

Le tribunal accorde l’autorisation s’il estime que l’action est intentée de bonne foi et qu’il existe une possibilité raisonnable que le demandeur ait gain de cause.

225.4. No action for damages may be brought under this division without the prior authorization of the court.  

The request for authorization must state the facts giving rise to the action. It must be filed together with the projected statement of claim and be served by bailiff to the parties concerned, with a notice of at least 10 days of the date of presentation. 

The court grants authorization if it deems that the action is in good faith and there is a reasonable possibility that it will be resolved in favour of the plaintiff.

À la suite d’une analyse étoffée des dispositions du CPC et de la jurisprudence pertinente, notamment des principes énoncés dans l’affaire Theratechnologies précitée, la Cour d’appel conclut que l’article 225.4 de la Loi ne donne pas ouverture à une communication de documents préalablement à l’autorisation de l’action collective. En effet, cette disposition vise d’abord et avant tout à protéger les émetteurs ainsi que les actionnaires non-plaignants face à des poursuites frivoles plutôt qu’à permettre aux requérants d’étoffer leur dossier avant même que leur action collective n’ait été autorisée. 

Certains commentaires de la Cour d’appel sont particulièrement intéressants à ce sujet : 

[84] The screening mechanism in section 225.4 is indeed designed, above all things, to protect public issuers against frivolous lawsuits brought by investors who have no meaningful evidence to show that they have been the victims of misconduct in the secondary market. It also serves to protect long-term shareholders of the issuer who, not party to the unmeritorious action, would bear the cost of any settlement paid to opportunistic plaintiffs. The screening mechanism thus contributes to protect the public confidence in the capital markets by ensuring that investors will not be held hostage to frivolous litigation. Finally, section 225.4 of the Act helps courts avoid costs and wasted time of frivolous or unmeritorious litigation. In that sense, it shares some of the policy foundation of rules that allow actions to be dismissed summarily as improper proceedings. 

[…] 

[105] None of the provisions cited, alone or grouped with the others, justifies allowing discovery in a manner that would amount to a change in the policy underlying section 225.4 of the Act. Importantly, it is not “unfair” to require a plaintiff-shareholder to show, according to the terms of the screening mechanism, that his or her proposed action is not a strike suit given the policy behind that rule to protect issuers, innocent shareholders, the markets and the courts. On the other hand, it would potentially be unfair to the issuer and to innocent shareholders, as well as to the justice system, to subject the parties to a “mini-trial” that might result if discovery was allowed. When section 225.4, paragraph 3, refers to the requirement that the putative plaintiff show “a reasonable possibility that it [i.e. the proposed action in the annexed projected statement of claim] will be resolved in favour of the plaintiff”, the legislature refers to a reasonable possibility of that outcome at a trial down the road, one at which, where appropriate, discovery can be sought. At this stage, however, the evidentiary bar is lower than at trial – just some credible evidence to support the view that the suit is not destined to fail.  

[Nos soulignements] 

Enfin, quant à la demande de divulgation des polices d’assurance responsabilité des administrateurs et des dirigeants d’Amaya, la Cour d’appel maintient la décision de la Cour supérieure malgré ce qui précède, vu le libellé de l’article 20 CPC, mais surtout en raison de l’article 2501 du Code civil du Québec (le « CCQ ») : 

2501.  Le tiers lésé peut faire valoir son droit d’action contre l’assuré ou l’assureur ou contre l’un et l’autre.

Le choix fait par le tiers lésé à cet égard n’emporte pas renonciation à ses autres recours. 

2501. An injured third person may bring an action directly against the insured or against the insurer, or against both. 

The option chosen in that regard by the injured third person does not deprive him of his other recourses.

Selon la Cour d’appel, l’article 2501 CCQ permet à un tiers de poursuivre tant un assuré que son assureur. Par conséquent, il serait illogique de permettre un recours d’un tiers contre un assuré, mais de lui refuser l’accès à sa police d’assurance, celle-ci étant pertinente au débat. Au surplus, la Cour d’appel est d’avis que l’article 225.4 de la Loi ne trouve pas application en ce qui concerne les politiques d’assurance d’Amaya, considérant les principes énoncés à l’article 2501 CCQ. 

Cette décision récente de la Cour d’appel vient rétablir l’équilibre entre les parties dans le contexte d’une demande d’autorisation en vue d’introduire une action collective dans le domaine des valeurs mobilières et plus particulièrement sous l’article 225.4 de la Loi. Les principes énoncés dans cette décision serviront à fournir des explications fort utiles quant au régime de protection des émetteurs et actionnaires non-plaignants établi par cette disposition. Enfin, notons aussi que cet arrêt reconnaît la distinction qui existe entre la demande d’autorisation d’une action collective et le test établi antérieurement par la jurisprudence dans l’affaire Theratechnologies, conférant ainsi une protection supplémentaire aux émetteurs assujettis.


1 Loi sur les valeurs mobilières, RLRQ c V-1.1.
2 Amaya inc. c. Derome, 2018 QCCA 120.
3 Derome c. Amaya inc., 2017 QCCS 44. Pour plus de détails au sujet de la décision de la Cour supérieure, cliquez ici.
4 Theratechnologies inc. v. 121851 Canada inc., 2013 QCCA 1256.