Charte de la langue française et affichage commercial de vos marques de commerce : changements majeurs à venir

Le 1er juin 2022, le gouvernement du Québec a formellement adopté le projet de loi intitulé Loi sur la langue officielle commune du Québec, le français (le « PL 96 ») qui vient modifier la Charte de la langue française (la « Charte »), communément appelée la loi 101. Cette réforme couvre de nombreuses sphères de la société, et le domaine des marques de commerce n’y échappe pas. En effet, des changements importants à l’exception de l’affichage commercial dans une autre langue que le français sont à venir pour toute entreprise qui exerce ses activités au Québec.

Ces changements relativement à l’exception de l’affichage pour les marques de commerce entreront en vigueur le 1er juin 2025. Une entreprise qui voudra continuer de se prévaloir de cette exception pour l’emballage de ses produits vendus aux consommateurs québécois et pour sa publicité commerciale au Québec devra s’assurer d’avoir enregistré au registre des marques de commerce d’ici cette date.

La mouture présentement en vigueur du Règlement sur la langue du commerce et des affaires1 (le « Règlement ») prévoit qu’une marque définie comme étant une « marque de commerce reconnue au sens de la Loi sur les marques de commerce » (la « LMC ») peut apparaître uniquement dans une autre langue que le français 1) sur un produit et 2) dans l’affichage public et dans la publicité commerciale des entreprises œuvrant au Québec, « sauf si une version française a été déposée »2.

Dans les dernières années, les tribunaux avaient d’ailleurs été appelés à statuer sur la portée de l’exception relative aux marques de commerce dans l’affichage commercial sans générique français3. Devant l’insistance de l’Office québécois de la langue française par rapport à la présence de ce type de génériques, des géants du commerce de détail avaient en effet saisi les tribunaux de la question de la portée de l’article 25(4) du Règlement, qui prévoit l’exception pour l’affichage commercial. En 2015, la Cour d’appel a confirmé l’exception dévolue à une marque de commerce « reconnue » au sens de la LMC et a confirmé que l’affichage commercial des Best Buy, Costco, Toys « R » Us et autres détaillants sans générique français ne contrevenait pas à la Charte. La Cour d’appel n’avait toutefois pas eu à analyser ce que le Règlement entendait par marque « reconnue », puisque toutes les marques alléguées par les demanderesses en l’espèce étaient dûment enregistrées au registre des marques de commerce.

L’expression « reconnue » laisse en effet entendre qu’une marque utilisée, mais non enregistrée bénéficie de la protection de l’article 25 du Règlement. L’article 2 de la LMC définit le terme « marque de commerce » comme « signe ou combinaison de signes qui est employé (…) », alors qu’une marque dont le statut est enregistré est définie au même article comme étant une « marque de commerce déposée ».

À la suite de cette décision de la Cour d’appel, le Règlement fut amendé par le législateur pour introduire l’obligation d’assurer une présence suffisante du français dans l’affichage extérieur d’un immeuble sur lequel une marque de commerce est affichée dans une autre langue. Ainsi, l’article 25.1 du Règlement exige dorénavant d’accompagner la marque de commerce affichée dans une autre langue d’un générique ou d’un descriptif des produits et services visés, slogan ou autre terme et mention en français.

Le PL 96 vient modifier l’équilibre actuel du Règlement quant aux marques de commerce. La mention « reconnue au sens de la LMC » est dorénavant remplacée par « une marque de commerce déposée au sens de la LMC », et ce, tant pour les inscriptions figurant sur les produits vendus aux consommateurs que pour l’affichage commercial. Les modifications introduites par le PL 96 viendront donc imposer aux entreprises voulant bénéficier de l’exception à l’affichage en français un fardeau qui n’existe pas sous le Règlement en vigueur, soit de détenir une marque enregistrée en bonne et due forme au registre des marques de commerce.

Il s’agit d’une situation particulièrement problématique pour les détenteurs de marques déjà utilisées, mais qui n’ont pas fait l’objet d’une demande au registre. Il semble clair qu’une société affichant une marque non enregistrée dans une autre langue que le français sur sa devanture de magasin ne pourrait plus se prévaloir de l’exception à partir du 1er juin 2025. Cette situation est également problématique pour les marques que l’on projette d’utiliser dans un avenir rapproché. En effet, actuellement les délais administratifs au registraire des marques de commerce font qu’il faut compter plusieurs années entre le moment où la demande pour la marque est produite et l’obtention du statut d’enregistrement, dans l’optique où aucun obstacle n’est rencontré en cours de route. Il appert donc que dans l’intervalle, un détaillant ne pourrait pas afficher une telle marque dans une autre langue tant que l’enregistrement n’est pas obtenu.

Le PL 96 vient également élargir la portée de la condition actuelle du Règlement quant à l’existence d’une version française de la marque. La version présentement en vigueur du Règlement utilise le mot déposé, ce qui laisse entendre qu’on ne peut se prévaloir de l’exception pour une marque de commerce si une version française de la marque a été enregistrée. Le PL 96 viendra changer le vocabulaire pour exiger « qu’aucune version correspondante en français ne se trouve au registre tenu selon cette loi ». L’expression « se trouver au registre » est vague et laisse entendre que le simple fait d’avoir produit une demande d’enregistrement pour la version française de sa marque à n’importe quelle époque, peu importe le statut actuel de la demande, viendrait disqualifier le propriétaire quant à l’exception d’affichage dans une autre langue que le français.

Dans ce contexte, les détaillants faisant affaire au Québec auraient manifestement tout intérêt à effectuer une mise à jour et un audit de leur portefeuille de marques de commerce utilisées sur leurs produits, dans l’affichage public ou dans la publicité commerciale avant le 1er juin 2025.

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1 Chapitre C-11, r.9.
2 Règlement sur la langue du commerce et des affaires, C-11, r.9, art.7(4) et 25(4).
3 2015 QCCA 747.