Versement de la preuve d’un dossier de lésion professionnelle dans un dossier de plainte d’harcèlement psychologique : où en sommes-nous?

École secondaire Marcellin-Champagnat et Dalpé Claes, 2016 QCTAT 2396

Faits

Le 24 octobre 2012, la plaignante déposait une réclamation devant la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la « CSST ») concernant une lésion professionnelle à caractère psychologique. Sa réclamation avait été refusée, tant devant la CSST que devant la Commission des lésions professionnelles [la « CLP », maintenant le Tribunal administratif du travail (le « TAT »)]. Le 15 janvier 2013, la plaignante soumettait une plainte de harcèlement psychologique à la Commission des normes du travail (maintenant la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail) laquelle fut référée à la Commission des relations du travail (la « CRT », maintenant le TAT).

Décision rendue oralement lors de la conférence préparatoire

Lors de la conférence préparatoire tenue le 22 janvier 2016 devant le TAT1, la requérante (École secondaire Marcellin-Champagnat) a demandé la permission de verser au dossier la preuve administrée devant la CLP. La requérante prétendait que la preuve testimoniale entendue devant la CLP était basée sur les mêmes faits et/ou événements pertinents pour cette nouvelle demande, lesquels permettaient ainsi de disposer de la plainte de harcèlement psychologique. Elle suggérait que seuls les faits postérieurs à la réclamation devant la CLP soient administrés. La requérante plaidait notamment que cela permettrait de réduire les frais, d’éviter de convoquer à nouveau les mêmes témoins et de traiter la cause avec célérité, tout en favorisant le principe de la proportionnalité et la saine gestion de l’instance.

La plaignante s’est objectée à cette demande. Elle mentionne notamment que les deux recours sont fondés sur des dispositions législatives différentes.

Le juge administratif Gérard Notebaert du TAT a rejeté la demande de la requérante, considérant devoir entendre toute la preuve afin de pouvoir évaluer la crédibilité des témoins. Il mentionne toutefois que lorsque les témoins seront à nouveau entendus, les avocats pourront leur opposer la version de leur témoignage rendue lors de la première audience devant la CLP. Par ailleurs, le TAT prendra en considération les procédures ayant été produites devant la CLP. Selon le TAT, une telle demande ne peut être accordée que dans des cas exceptionnels, lesquels ne sont manifestement pas rencontrés en l’espèce.

Requête en révision administrative présentée devant le TAT (juge administrative Karine Blouin) (« TAT 2 »)

La requérante demande au TAT 2 de réviser sa décision pour vice de fond ou de procédure en vertu de l’article 49 (3) de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail2 (la « LITAT »). Elle plaide notamment que la CLP et la CRT font maintenant partie du même tribunal et qu’éventuellement, les deux types de recours pourraient être joints.

Selon le TAT 2, la décision du premier juge administratif de réentendre les témoignages ne peut être qualifiée comme étant manifestement illégale et fait partie des issues possibles dans les circonstances. En effet, le TAT étant maître de la preuve et de la procédure, il peut admettre en preuve tout élément qu’il juge pertinent sans être lié par les règles établies par le Code de procédure civile3. Au surplus, une telle décision ne contrevient pas aux enseignements de l’arrêt Durocher c. Commission des relations du travail4 rendu par la Cour d’appel en 2015.

Pour le TAT 2, la possibilité de joindre certains recours en vertu de l’article 19 de la LITAT n’a pas d’incidence sur la présente décision rendue par le TAT lors de la conférence préparatoire.

Qui plus est, le TAT 2 ajoute qu’il appartiendra aux parties de procéder à certaines admissions ou bien de présenter de nouvelles demandes qui permettront de raccourcir le présent litige.

Quelques commentaires en conclusion

Dans l’arrêt Durocher, la Cour d’appel n’a nullement interdit le versement de la preuve présentée lors d’un recours pour lésion professionnelle au dossier d’une plainte de harcèlement psychologique connexe. Bien au contraire, la Cour d’appel invite à prendre en considération la question du gaspillage des ressources du système judiciaire en évitant la reprise intégrale des témoignages entendus lors du premier recours. Or, malgré cela, force est de constater que le TAT a préféré faire preuve de prudence plutôt que d’exercer de façon large ses pouvoirs de gestion de la preuve en minimisant les ressources.

Bien que les conclusions de cette décision puissent nous amener à conclure à l’étanchéité de la cloison entre le recours pour lésion professionnelle à caractère psychologique et celui pour harcèlement psychologique, il s’agit là, selon nous, d’une conclusion hâtive. En effet, le TAT 2 précise bien dans sa décision que dans le cas présenté devant lui, la preuve administrée devant la CLP ne l’avait été qu’en regard des dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles5 et non de la Loi sur les normes du travail6. Cela étant dit, une preuve additionnelle devait être présentée lors de l’instruction de la plainte pour harcèlement psychologique. Le TAT 2 n’élimine donc pas la possibilité de joindre ces deux types de recours en début de dossier.

Il appartiendra aux parties qui se retrouveront dans une telle situation, d’étudier l’utilité de demander la jonction de ces deux recours.

Écrit en collaboration avec Jonathan Poulin, étudiant en droit


1 Le TAT remplace la CRT depuis le 1er janvier 2016.
2 RLRQ, c. T-15.1.
3 RLRQ, c. C-25.01.
4 2015 QCCA 1384 (« Durocher »).
5 RLRQ, c. A-3.001.
6 RLRQ, c. N-1.1.

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