Une loi protégeant les renseignements personnels est déclarée invalide par la Cour suprême du Canada

Dans un arrêt signé par les juges Abella et Cromwell, la Cour est amenée à déterminer si la Personal Information Protection Act1 (ci-après appelée « PIPA ») de l’Alberta porte atteinte au droit à la liberté d’expression d’un syndicat. Pour ce faire, elle doit déterminer si la PIPA respecte l’équilibre entre le droit des personnes d’avoir un contrôle sur la diffusion de renseignements personnels les concernant et la liberté d’expression du syndicat conférée par l’article 2 b) de la Charte canadienne des droits et libertés (ci‑après appelée « Charte »). 

Faits 

Lors d’une grève légale ayant duré 305 jours, impliquant les employés du Palace Casino du West Edmonton Mall, le syndicat et une agence de sécurité engagée par l’employeur ont filmé et pris des photos de la ligne de piquetage et des personnes tentant de la franchir. Pour mettre en garde les personnes traversant la ligne de piquetage, le syndicat avait installé des affiches les avisant que leur photo pourrait se retrouver sur leur site Web. 

Trois plaintes ont été déposées auprès du Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Alberta (ci-après appelé « commissaire »), suite à la publication de photographies et de vidéos. Tout d’abord, le vice-président du casino s’est plaint que sa photo ait été affichée sur plusieurs affiches où on pouvait y lire : « Photos signalétiques de la police de [x] » et sur des tracts où étaient reproduits des slogans humoristiques. Puis, un citoyen a déposé une plainte, car il avait été filmé alors qu’il rencontrait régulièrement des amis près de la ligne de piquetage. Enfin, une autre plaignante critiquait le fait d’avoir été filmée alors qu’elle travaillait tout près de l’entrée du casino. 

Décisions antérieures 

Le commissaire recevant les plaintes les a confiées à un arbitre pour qu’il décide si le syndicat avait contrevenu à la PIPA en recueillant, utilisant et distribuant les renseignements personnels de tiers sans avoir obtenu préalablement leur consentement. L’arbitre conclut par l’affirmative et somme le syndicat de détruire tout renseignement personnel en sa possession parce qu’il les détenait en contravention à la loi. 

La première instance ayant effectué la révision judiciaire de la décision de l’arbitre et la Cour d’appel arrivent sensiblement à la même conclusion et tranchent que la PIPA porte atteinte à la liberté d’expression du syndicat, droit garanti à l’article 2 b) de la Charte. Concrètement, puisque les activités du syndicat comportent un contenu expressif, la PIPA, en contrôlant et en privant le syndicat de cette liberté d’expression, contrevient donc à ce droit garanti par la Charte. De surcroît, ces deux instances considèrent que cette violation ne peut être justifiée au sens de l’article premier de la Charte. 

Analyse et discussion de la Cour suprême

La Cour détermine que deux principales questions sont en litige. 

D’une part, elle se demande si la PIPA et son règlement portent atteinte aux droits garantis à l’article 2 b) de la Charte en limitant le droit pour un syndicat de recueillir, d’utiliser ou de communiquer des renseignements personnels sans consentement lors d’une grève légale? 

D’autre part, advenant que ce soit le cas, elle devra déterminer si cette violation constitue une limite raisonnable pouvant se justifier dans une société libre et démocratique au sens de l’article premier de la Charte.

La PIPA et son règlement portent-ils atteinte à la Charte? 

D’emblée, la Cour écrit que le fait de recueillir, de communiquer et d’utiliser les renseignements personnels des personnes approchant une ligne de piquetage, lors d’une grève légale, constitue un moyen d’expression du syndicat. En d’autres termes, les activités et les moyens employés par le syndicat dans ce contexte font partie de sa liberté d’expression, c’est-à-dire d’un droit protégé par la Charte. 

Le Tribunal considère également que le but même de la diffusion des images était d’arriver à dissuader quiconque de traverser la ligne de piquetage et, incidemment, d’informer le public pour le convaincre de soutenir le syndicat dans ses moyens de pression. 

Dans les circonstances, puisque les activités syndicales ne constituent pas une exception prévue à la PIPA, la Cour considère que les effets pratiques de la PIPA ont privé le syndicat de son droit de collecter, d’utiliser et de communiquer les renseignements personnels des personnes approchant la ligne de piquetage. 

Par conséquent, la Cour est d’avis que l’effet direct de la PIPA a été de porter atteinte au droit à la liberté d’expression du syndicat et, donc, de contrevenir à la Charte. 

Ayant répondu par l’affirmative à la première question, elle doit donc répondre à la deuxième question. 

L’atteinte est-elle justifiée au sens de l’article premier de la Charte? 

Cette question comporte deux grands volets sur lesquels la Cour se penche. D’une part, elle se demande si la PIPA poursuit un objectif urgent et réel. Et dans l’affirmative, d’autre part, elle doit déterminer « si ses dispositions sont rationnellement liées à cet l’objectif, si cet objectif porte atteinte au droit à la liberté d’expression au-delà de ce qui nécessaire et si ses effets sont proportionnels à l’objectif du gouvernement ».2 

Concernant le premier volet, la Cour n’hésite pas à conclure que la PIPA poursuit un objectif urgent et réel, puisque le droit de regard des personnes sur la diffusion de renseignements personnels les concernant est en lien direct avec leur autonomie, leur dignité et, donc, avec leur droit à la vie privée. L’importance de cet objectif ne peut donc pas être remise en question en raison de celle que notre société confère à ces droits. 

Toutefois, concernant le deuxième volet, la Cour considère que les restrictions apportées par la PIPA sont disproportionnées par rapport à ses bienfaits. Ainsi, bien qu’elle protège de façon individuelle le droit à la vie privée, elle ne prévoit aucune exception assurant la liberté d’expression du syndicat ou subsidiairement un équilibre entre ces deux droits. La Cour souligne également le fait que la loi ne tienne pas compte du contexte dans lequel les renseignements personnels ont été recueillis, utilisés ou communiqués. 

La Cour insiste également sur le contexte dans lequel l’atteinte a été portée. Elle décrit la ligne de piquetage comme étant un lieu public où les personnes devaient raisonnablement s’attendre à être photographiées, par exemple par des journalistes. 

De plus, la Cour suprême est convaincue que l’histoire a démontré l’importance véritable de la liberté d’expression en tant que moyen stratégique dans un contexte de relations de travail difficiles. La Cour ajoute que cette liberté d’expression permet de rééquilibrer les pouvoirs employeur-salariés. 

En somme, cette violation de la Charte ne peut être justifiée en vertu de l’article premier, car la PIPA restreint de manière trop substantielle le droit du syndicat de communiquer avec le public ou de préparer une stratégie durant une période de grève légale. 

Conclusion 

La PIPA, en plus de violer le droit à la liberté d’expression du syndicat, reconnu comme étant vital, et par le fait même la Charte, porte atteinte et provoque des répercussions dans le monde du travail d’une façon qui ne peut être justifiée en vertu de l’article premier. 

Repoussant la limite de la liberté d’expression du syndicat, la Cour suprême laisse entrevoir une petite ouverture, voire une limite à cette liberté, lorsqu’elle affirme : « cette conclusion ne nous oblige pas à cautionner toutes les activités du syndicat ».3 

Il restera à voir comment la jurisprudence interprétera et traitera les limites inhérentes à la liberté d’expression syndicale au détriment du droit à la vie privée des personnes.


1 La PIPA s’inspire de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques et les deux reconnaissent que les individus doivent pouvoir jouir d’un grand droit de regard sur la diffusion de renseignements personnels les concernant et qu’ils doivent donc donner leur consentement pour qu’une telle utilisation soit permise.
2 Au paragraphe 18 de la décision.
3 Au paragraphe 38 de la décision.

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