Une injonction provisoire accordée contre un syndicat pour atteinte à la réputation d’un cadre

On assiste souvent à des débordements en matière de conflit de travail. Les acteurs syndicaux se réfugient derrière la liberté d’expression. La Charte canadienne1 et la Charte québécoise2 reconnaissent d’ailleurs le droit à la liberté d’expression.

Comment gérer un différend qui survient entre les parties alors qu’une convention collective est toujours en vigueur? Lorsque les parties sont régies par une convention collective, la solution à tout conflit doit passer par la procédure de grief et d’arbitrage.

Qu’en est-il si les acteurs syndicaux décident de se comporter comme s’ils étaient en plein milieu d’un conflit de travail pour le renouvellement d’une convention collective? Qui plus est, qu’en est-il si les acteurs syndicaux décident de s’attaquer personnellement par leurs paroles et leurs écrits à un représentant de l’employeur?

Cette problématique a été abordée dans une récente décision rendue par la Cour supérieure, impliquant l’Association des employeurs maritimes (l’« AEM ») et le Syndicat des débardeurs, section locale 375, S.C.F.P. (le « Syndicat »)3, et plaidée par des professionnels de l’équipe de Langlois Kronström Desjardins.

Les faits

Dans cette affaire, un différend survient entre l’AEM et le Syndicat alors qu’ils sont liés par une convention collective.

À l’automne 2014, à l’occasion de moyens de pressions, le Syndicat et ses membres s’en prennent tout particulièrement au vice-président de l’AEM en faisant circuler de virulents propos à son égard sur des pancartes, tracts, publications. Au lieu de viser l’AEM à titre d’employeur, le Syndicat s’attaque personnellement à un dirigeant de l’AEM en ternissant sa réputation aux yeux de ses collègues, ses employés, ses partenaires d’affaires et du grand public.

À titre d’exemple, des membres du Syndicat brandissent des pancartes sur lesquelles il est inscrit « Ton bateau coule » en référant au vice-président ou encore sur lesquelles il est inscrit que le vice-président « met en péril l’économie du Port de Montréal ». Un camion avec une affiche rotative sur laquelle il est inscrit que le vice-président « par aspiration personnelle met en péril la paix industrielle au Port de Montréal » circule dans les rues de Montréal, parfois à proximité du lieu de travail du vice-président. De plus, dans les communications avec leurs membres, le Syndicat fait circuler des propos semblables visant le vice-président personnellement.

C’est ainsi que le vice-président et son employeur font appel aux tribunaux dans le but de faire cesser cette situation. Ils intentent une action en dommages-intérêts pour atteinte à sa réputation appuyée d’une demande d’injonction provisoire, interlocutoire et permanente.

La décision

Le 29 octobre 2014, la Cour supérieure entend et accueille l’injonction provisoire afin de mettre un terme à l’atteinte à la réputation du vice-président. Le Tribunal s’est attardé à chacun des critères d’émission d’une injonction provisoire, soit l’urgence, l’apparence de droit, le préjudice irréparable et la prépondérance des inconvénients avant de rendre jugement.

Dans son analyse, le Tribunal a d’abord pris en considération les circonstances particulières du dossier pour décider que le critère de l’urgence était satisfait. En effet, le Syndicat visait de manière isolée un seul dirigeant de l’AEM en lui faisant porter tout le blâme pour le conflit. Il a également tenu compte de la pression vécue par cet individu tant dans son milieu de travail qu’à la maison et des répercussions graves que pourrait avoir l’atteinte à sa réputation.

Le Tribunal conclut ensuite que le critère de l’apparence de droit est satisfait, car les droits fondamentaux à l’intégrité et à la sécurité du vice-président de l’AEM sont menacés, laissant toutefois au juge du fond le soin de déterminer le caractère diffamatoire des propos véhiculés par le Syndicat et ses représentants.

Quant au critère du préjudice irréparable, celui-ci favorise également le vice-président de l’AEM puisque le Syndicat ne peut expliquer pourquoi ce dernier est personnellement ciblé.

Enfin, la balance des inconvénients penche aussi en faveur du vice-président de l’AEM. Le Tribunal considère donc approprié de limiter la liberté d’expression du Syndicat en accordant l’injonction provisoire et en interdisant au Syndicat, par le fait même, de véhiculer des propos diffamatoires visant personnellement le vice-président.

Conclusion

Cette décision démontre que la liberté d’expression des syndicats n’est pas absolue et ne permet pas de s’attaquer personnellement aux représentants de l’employeur.

À cet égard, le Tribunal rappelle qu’il « ne s’agit pas encore une fois de brimer la liberté d’expression du syndicat, mais d’empêcher qu’au titre d’une telle liberté, on blesse inutilement ou injustement la personne vers qui on a choisi de canaliser des attaques dans le but évident de lui causer un préjudice personnel »4.


1 Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11, art. 2(b).
2 Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12, art. 3.
3 Morency et al. c. Syndicat des débardeurs, section locale 375, S.C.F.P. et al., 2014 QCCS 5199.
4 Morency et al. c. Syndicat des débardeurs, section locale 375, S.C.F.P. et al., 2014 QCCS 5199, au paragr. 17.

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