Toxicomanie et alcoolisme – Affaire Irving

En appel de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick : Syndicat canadien des communications de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving ltée, 2013 CSC34

« La vie privée et la sécurité sont des intérêts liés au milieu de travail, à la fois très importants et très délicats. Ils entrent aussi parfois en conflit, tout particulièrement lorsque le lieu de travail est dangereux. » (La Juge Abella)

Un employeur qui choisit de mettre en place des mesures de sécurité sans préalablement les négocier et que ces mesures emportent des sanctions disciplinaires pour les employés, doit s’assurer qu’elles relèvent de la clause de la convention collective portant sur les droits de direction.

Dans cette affaire, la question juridique est celle de savoir si l’adoption d’une politique prévoyant des tests aléatoires de dépistage d’alcool constituait un exercice valide des droits de direction que la convention collective confère à l’employeur.

Le contexte

Le Syndicat a déposé un grief pour contester le volet sur les tests obligatoires aléatoires de dépistage d’alcool d’une politique sur la consommation d’alcool et de drogue que l’employeur, Irving, avait mise en œuvre unilatéralement à son usine de papier. Selon cette politique, 10 % des employés occupant un poste à risque allaient, au cours d’une année, être choisis au hasard et sans préavis pour subir l’épreuve de l’éthylomètre. Un résultat positif allait emporter des sanctions disciplinaires graves, dont un éventuel congédiement.

Les décisions antérieures

Le Conseil d’arbitrage a accueilli le grief. Après avoir mis en balance l’intérêt de l’employeur à mener des tests aléatoires de dépistage d’alcool comme mesure de sécurité en milieu de travail, d’une part, et l’atteinte à la vie privée des employés, d’autre part, une majorité du Conseil a conclu que la politique des tests aléatoires n’était pas justifiée vu l’absence d’éléments de preuve révélant l’existence d’un problème de consommation d’alcool en milieu de travail.

En conclusion du contrôle judiciaire, la sentence arbitrale a été annulée après avoir été jugée déraisonnable vu la dangerosité du lieu de travail.

La Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a rejeté l’appel.

Le pourvoi est accueilli en Cour suprême par une majorité de six (6) juges alors que trois (3) sont dissidents.

Analyse de la majorité

L’employeur ne peut imposer une règle comportant des sanctions disciplinaires que si la nécessité d’adopter une telle règle l’emporte sur l’incidence négative de cette dernière sur le droit à la vie privée des employés.

Les juges majoritaires statuent que le Conseil d’arbitrage est arrivé à la conclusion que les avantages attendus par l’employeur sur le plan de la sécurité se situaient dans la fourchette entre incertains et minimes, tandis que l’atteinte à la vie privée des employés était bien plus grave.

La Cour mentionne, que selon le Conseil d’arbitrage, huit (8) incidents liés à la consommation d’alcool survenus à l’usine Irving sur une période de quinze (15) ans ne révélaient pas le degré jugé suffisant de problème de consommation d’alcool en milieu de travail. Par conséquent, l’employeur n’avait pas démontré, comme il le devait, l’existence de préoccupations relatives à la sécurité qui justifieraient l’application universelle de tests aléatoires. Conséquemment, l’employeur a outrepassé les droits de direction que lui confère la convention collective.  

Dissidence

Il y a accord avec les juges majoritaires pour dire que la norme de contrôle applicable est celle du caractère raisonnable. Mais les juges dissidents sont en désaccord avec l’application qui est faite de cette norme.

La jurisprudence arbitrale ne reconnaît aucun droit absolu aux employeurs d’imposer unilatéralement à leurs employés des règles en milieu de travail en dehors du processus de négociation collective. Il incombe plutôt à l’employeur de justifier de telles règles sur le fondement du respect des normes établies par cette jurisprudence.

Les juges dissidents sont d’avis que le Conseil a dérogé au critère juridique s’étant dégagé du consensus arbitral en élevant le seuil de preuve qu’Irving était tenue de présenter pour justifier sa politique de tests aléatoires de dépistage d’alcool. Le Conseil a exigé la preuve d’un « problème important » ou d’un « problème grave » à l’usine Irving. La norme qui se dégage du consensus arbitral est plutôt celle de la preuve de l’existence d’un « problème ». Le Conseil a ensuite exigé que l’élément de preuve démontrant l’existence d’un problème d’alcool soit lié aux accidents et blessures réels ou évités de justesse survenus à l’usine ou ait un lien de causalité avec ceux-ci. 

En l’absence d’une quelconque explication, il est impossible de comprendre pourquoi le Conseil pensait qu’il était raisonnable d’agir comme il l’a fait. Dans les circonstances, sa décision n’appartenait donc pas aux issues possibles raisonnables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

Conclusion

Dans cette décision, la Cour a rappelé que la dangerosité d’un lieu de travail est manifestement pertinente, mais que les tribunaux n’ont jamais jugé qu’elle justifie automatiquement l’imposition unilatérale d’un régime illimité de tests aléatoires susceptibles d’emporter des sanctions disciplinaires.

Flèche vers le haut Montez