Revisiter l’arrêt Dunkin’ Brands à la lumière de l’augmentation du salaire minimum en Ontario

Dans la foulée de l’augmentation du salaire minimum de 11,60 $ à 14,00 $ l’heure en Ontario, la décision d’un franchisé Tim Hortons de diminuer les avantages sociaux de ses employés pour contrer cette hausse a suscité l’indignation et a fait le tour du monde. 

Bien qu’une telle augmentation ne soit pas présentement applicable au Québec, le débat demeure d’actualité et est susceptible d’influencer tout franchisé qui emploie une main-d’œuvre touchée par une telle mesure. 

En 2015, la Cour d’appel du Québec a rendu une décision importante au sujet du devoir des franchiseurs à l’égard de leurs franchisés dans l’affaire Dunkin’ Brands Canada Ltd. c. Bertico1 (« l’Affaire Dunkin »). 

À la lumière des premiers accrochages entre les franchiseurs, les franchisés, le gouvernement et les plus petits entrepreneurs de l’Ontario au sujet de cette augmentation de 21 % des charges attribuables aux employés, nous proposons un retour sur l’Affaire Dunkin afin d’en dégager les enseignements de la Cour pouvant affecter les franchises dans le cadre d’une éventuelle augmentation du salaire minimum au Québec. 

Rappelons les faits : l’Affaire Dunkin est un recours intenté à la fin des années 1990 par des franchisés Dunkin Donuts du Québec contre leur franchiseur. Les franchisés reprochaient notamment à leur franchiseur de ne pas avoir mis en place les moyens de rehausser l’image de la marque et d’offrir une réponse à la percée des Tim Hortons, qui s’étaient accaparés une grande part du marché. 

L’Affaire Dunkin rappelle que bien qu’il n’existe pas de loi spécifique aux contrats de franchise au Québec, des obligations implicites incombent aux parties à un tel contrat, et ce, en sus des obligations qui y sont spécifiquement stipulées. 

Les franchisés doivent respecter les standards et normes de la bannière dont ils font partie et participer à la préservation de sa réputation. Quant aux franchiseurs, ils sont tenus à certains devoirs non seulement envers chacun des franchisés, mais aussi vis-à-vis le réseau de franchises dans son ensemble. S’y retrouvent notamment le devoir de protéger et de mettre en valeur la réputation de la marque franchisée, le devoir d’assistance et de support aux franchisés dans l’évolution du marché et le devoir de maintenir son réseau en santé. 

Devoir vis-à-vis des franchisés 

Malgré les aléas du marché, le franchisé doit opérer son entreprise dans le respect du contrat de franchise qu’il a signé. Il est cependant possible, dans certaines circonstances, que la nature des changements déclenche le devoir implicite d’assistance du franchiseur. Ce devoir d’assistance, ou « duty to assist », lui impose l’obligation de déployer des efforts et poser des actions concrètes dans le but d’aider un franchisé qui éprouve de la difficulté à s’adapter aux changements de son marché. 

Le franchiseur a par ailleurs l’obligation de maintenir la pertinence d’un contrat de franchise tout au long de sa durée. En pratique, le franchiseur doit s’assurer que le contrat de franchise s’adapte à travers le temps, de sorte qu’il conserve sa pertinence au fil des changements qui affectent le marché d’une franchise. 

Ainsi, il appartient au franchiseur d’appuyer et de supporter ses franchisés dans leur adaptation aux nouvelles conditions imposées par le marché. Les franchisés doivent quant à eux collaborer avec le franchiseur dans l’élaboration de solutions et opérer leur commerce en fonction des modifications législatives en respectant les standards imposés par la marque. 

Ces obligations corrélatives demeurent pertinentes dans la foulée d’une augmentation du salaire minimum qui se répercute de façon considérable sur les charges salariales nécessaires au bon roulement d’une franchise. Ce constat est d’autant plus implacable dans l’éventualité où les décisions prises par un franchisé en vue de respecter son obligation de s’adapter à la nouvelle réalité pourraient avoir un impact sur l’entièreté du réseau. 

Devoirs vis-à-vis du réseau 

À ce sujet, le jugement rendu dans l’Affaire Dunkin réitère le postulat qu’un franchiseur possède non seulement des devoirs et obligations face à chacun de ses franchisés, mais aussi envers le réseau, ce que la Cour qualifie d’obligations collectives. En pratique, ce devoir se traduit notamment par l’obligation du franchiseur de s’assurer qu’aucune « pomme pourrie » n’évolue au sein du réseau de franchises. La Cour rappelle l’obligation du franchiseur de préserver la réputation, la valeur et l’image de la marque auprès du public, ce qui constitue la pierre angulaire d’un contrat de franchise. 

Étant donné que les franchisés ont l’obligation de répondre aux modulations du marché, les décisions qu’ils pourraient être portés à prendre afin de diminuer l’effet de l’augmentation du salaire minimum sur leur rentabilité risqueraient d’affecter l’uniformité de la marque et le réseau du franchiseur. Par exemple, un franchisé qui décide d’emblée d’adapter sa franchise en réponse à cette augmentation, et ce, au détriment de l’image de la marque, peut contaminer le réseau et ainsi nuire à l’image des autres franchisés, ce qui pourrait éventuellement engager la responsabilité contractuelle du franchiseur. 

En somme, le franchiseur se doit de demeurer à l’affût et proactif afin de s’assurer que les standards de sa marque sont respectés par tous ses franchisés, notamment au regard d’une hausse du salaire minimum. De leur côté, les franchisés devront faire preuve de diligence dans les actes qu’ils poseront dans le but de s’adapter à de tels changements, sans perdre de vue leur part de responsabilité au sein du réseau dont ils font partie. 

Les décisions prises et les modifications mises en place en réponse à une hausse du salaire minimum représentent un facteur non négligeable dans l’étude des obligations implicites que les tribunaux du Québec imposent à un franchiseur afin d’assurer que cette transition se fasse dans le respect de l’image de la marque et de la pertinence du contrat de franchise.


1 2015 QCCA 625

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