Rapports d’experts en sinistre et ceux d’une agence d’investigation protégés par le privilège relatif au litige

Le 6 mars dernier, la Cour d’appel du Québec1 a rendu un arrêt important en ce qui concerne la communication à l’assuré des rapports d’experts en sinistre ou ceux d’une agence d’investigation.

Les intimés, producteurs agricoles, ont poursuivi l’assureur L’Union Canadienne, compagnie d’assurances (« L’Union ») pour un montant de 2 254 000 $ à la suite du refus d’indemniser les dommages découlant d’un incendie. L’Union a notamment invoqué la nullité ab initio de la police et a refusé de les indemniser.

Lors des interrogatoires préalables, les assurés ont exigé la communication des rapports d’experts en sinistre et du rapport d’enquête d’une agence d’investigation dont L’Union avait requis la confection. Cette dernière s’y est opposée en invoquant le caractère confidentiel et privilégié de ces rapports, de même que le fait que les rapports bénéficiaient de la protection du secret professionnel.

Le juge de première instance, appelé à statuer sur ces objections, a décidé qu’il y avait lieu d’écarter la jurisprudence relative au caractère privilégié des rapports et a ordonné la communication des documents.

Il a notamment conclu qu’il devait permettre la communication des rapports considérant, entre autres, l’allégation suivant laquelle l’assureur avait tardé à faire connaître sa décision quant à la validité de la police d’assurance. Selon le tribunal, en raison de ce reproche, les assurés avaient le droit de connaître le moment où l’assureur avait reçu les informations relatives au sinistre et, dans ce contexte, obtenir copie des rapports.

L’appel logé par L’Union portait principalement sur la question de savoir si ce premier juge avait eu tort d’ordonner la communication des rapports. L’appel a été accueilli et la Cour a maintenu les objections à la preuve formulées par L’Union.

La Cour a analysé les deux principes fondamentaux qui limitent le droit à la communication ou à la production de documents dans le cadre d’un litige, soit le secret professionnel et le privilège relatif au litige. Elle a d’ailleurs rappelé que ceux-ci ont été bien distingués par la Cour suprême en 2006, dans l’arrêt Blank2.

Le secret professionnel

L’Union fondait sa prétention sur de nombreuses décisions de tribunaux de première instance reconnaissant que les rapports concernés étaient protégé par le secret professionnel3.  La Cour d’appel n’a toutefois pas retenu l’argumentation présentée à ce sujet.

La Cour a d’abord précisé les deux conditions essentielles à l’application du secret professionnel, soit :

  1. qu’une loi impose à une personne une obligation à la confidentialité ;
  2. que l’information ayant un caractère confidentiel, ait été obtenue dans le cadre d’une relation d’aide et dans l’intérêt exclusif de celui qui l’a communiquée.

La Cour souligne que la Cour suprême du Canada, dans l’affaire Globe and Mail c. Canada (Procureur général)4 conclut que le secret professionnel se limite aux 45 ordres professionnels régis par le Code des professions5.

La juge conclut que l’expert en sinistre et le titulaire d’un permis d’agence d’investigation ne font pas partie de ces professionnels régis par le Code des professions et que les renseignements qu’ils recueillent pour confectionner leurs rapports ne sont pas obtenus à l’occasion d’une « relation d’aide ».

Selon la Cour, leur travail ne vise pas à aider leur confident, mais bien à éclairer leur commettant, soit l’assureur en l’occurrence. La Cour d’appel a donc conclu que l’expert en sinistre et le titulaire d’un permis d’agence d’investigation ne sont pas tenus au secret professionnel.

L’objection ne pouvait, par conséquent, se fonder sur le concept du secret professionnel.

Le privilège relatif au litige

L’objet de ce privilège est de créer une « zone de confidentialité » à l’occasion ou en prévision d’un litige.

À cet égard, la Cour a jugé que les conditions du privilège relatif au litige sont réunies en l’espèce, tant en application des règles du droit civil que sur la base des enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Blank :

  • ce privilège vise à assurer l’efficacité du processus contradictoire du litige civil et, pour ce faire, à permettre aux parties de préparer leurs arguments en privé, sans ingérence de la partie adverse et sans crainte d’une communication prématurée.
  • les documents réclamés ont été commandés par l’assureur et préparés
    « exclusivement » ou « principalement » en prévision du litige, en vue de servir d’outil dans la conduite de sa défense. • le fait que ces rapports aient vraisemblablement été préparés avant la décision d’annuler la police ou de refuser la réclamation n’est pas déterminant. La Cour écrit à ce sujet :

[41] […] Le litige dont il est question n’a pas à exister au stade de la préparation du rapport pour que le privilège s’applique. Sa prévisibilité suffit comme le précise la Cour suprême dans l’arrêt Blank précité. Il serait déraisonnable d’exiger d’un assureur qu’il refuse d’emblée la réclamation de son assuré – et ainsi de « créer » un litige – avant de faire l’enquête. Ici, les rapports ont été obtenus et communiqués aux avocats de l’appelante dans le seul but de les aider dans la conduite du litige avec les intimés. Par conséquent, je suis d’avis que les rapports d’investigation et des experts en sinistre sont couverts par le privilège relatif au litige.

Les rapports en question sont donc couverts par le privilège relatif au litige et, conséquemment, ils n’ont pas à être communiqués à la partie adverse.

Ainsi, la Cour réitère les principes établis par un courant jurisprudentiel antérieur6, tout en les précisant.

La renonciation au privilège relatif au litige et la conduite de l’assureur

Une fois le privilège confirmé, la Cour se penche sur les arguments subsidiaires des assurés à l’effet que L’Union aurait renoncé au bénéfice du privilège, notamment en raison du caractère vague de certaines allégations de la défense et des témoignages de ses préposés à l’occasion des interrogatoires au préalable.

La Cour a conclu en faveur des arguments de l’assureur, à savoir que :

  • le caractère vague de certaines allégations d’une procédure ne permet pas d’inférer que son auteur a, de ce fait, renoncé au caractère privilégié des rapports de l’agence d’investigation et de l’expert en sinistre. La Cour écrit :

[48] […] Les intimés ont certes le droit strict de connaître les faits qui ont mené à la décision de l’appelante et ainsi de faire valoir leurs droits, mais ils n’ont pas droit d’obtenir la communication de rapports confidentiels et privilégiés, à moins de renonciation.

  • le seul fait que des témoins de l’assureur aient reconnu l’existence des rapports lors des interrogatoires préalables n’est pas suffisant pour valoir renonciation. La Cour rappelle qu’une renonciation au bénéfice du privilège peut être tacite mais qu’elle doit alors être volontaire, claire et évidente.
  • lorsqu’un document bénéficie d’une immunité de divulgation, tel que le privilège relatif au litige, il ne peut pas être communiqué en vertu de l’article 398 du Code de procédure civile, car il ne fait pas preuve par lui-même des faits qui y sont relatés.

Enfin, la Cour d’appel a rejeté l’argument des intimés suivant lequel les allégations relatives à la conduite apparemment répréhensible de l’assureur et leur demande de dommages punitifs justifiaient la communication des rapports convoités, considérant que cette proposition « ne repose sur aucun fondement juridique ». La Cour s’exprime comme suit :

[54] Selon les intimés, la conduite répréhensible de l’appelante dans le traitement de leur réclamation justifie la communication des rapports convoités. Cette proposition ne repose sur aucun fondement juridique. Une conduite répréhensible est susceptible d’être compensée par des dommages, mais elle ne peut justifier que des éléments de preuve autrement confidentiels soient dévoilés à l’autre partie à titre de « sanction ».

(…)

[56] Avec les plus grands égards, le juge d‘instance a commis une erreur en ordonnant que les rapports soient communiqués pour cette raison. Une fois l’existence du privilège établi, celui-ci doit être sanctionné, même si la divulgation de l’information qu’il contient peut être utile à une partie. Conclure autrement aurait comme effet de nier la portée du privilège.

(Notre soulignement)

En résumé, l’arrêt de la Cour présente un intérêt considérable pour l’industrie. Il réitère que les rapports obtenus par un assureur en cours d’enquête sont confidentiels et n’ont pas à être communiqués à l’assuré dans le cadre du litige les opposant.


1 Union Canadienne (L’), compagnie d’assurances c. St-Pierre, 2012 QCCA 433.
2 Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39, [2006] 2 R.C.S. 319.
Notamment voir, 2752-9585 Québec inc. c. Promutuel Haut St-Laurent, 200-17-003756-038, 04-04-2005 (C.S.); Service anti-crime des assureurs c. Ménard AZ-50270370, (C.Q.); La Sécurité assurances générales c. Gravel AZ-00031263 (C.Q.); Général Accident compagnie d’assurance du Canada c. Ferland, REJB 1997-03700 (C.Q.); A.H. c. L’Alpha, compagnie d’assurance inc., 2008 QCCAI 18; Maisonneuve c. Bureau d’assurance du Canada AZ- 50367538 (C.A.I.).
4 [2010] 2 R.C.S. 592.
5 L.R.Q., c. C-26.
6 Fortier Auto (Montréal) ltée c. Brizard, J.E. 2000-177, paragr. 20 (C.A.). Voir également Axa Assurances inc. c. Pageau, 2009 QCCA 1494; Guerling Global, Cie d’assurance générale c. Sanguinet Express Inc., [1989] R.D.J. 93 (C.A.); Prévoyance (La) Cie d’assurance c. Construction du fleuve Ltée, [1982] C.A. 532.

 

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