Quels sont les enjeux entourant la légalisation du cannabis récréatif pour le secteur de l’assurance de dommages des particuliers?

Le gouvernement du Canada a récemment annoncé que le projet de loi C-451 sur la légalisation du cannabis récréatif (« Loi fédérale sur le cannabis ») et ses règlements entreront officiellement en vigueur le 17 octobre 2018. Dans ce contexte, le secteur de l’assurance dispose seulement de quelques mois pour s’adapter à ce nouvel encadrement législatif. 

Cet article dresse un survol des principaux risques et enjeux de couverture relatifs à la légalisation du cannabis qui devront être évalués par les assureurs de dommages des particuliers. 

Assurance habitation 

La version finale de la Loi fédérale sur le cannabis permet à tout individu âgé de dix-huit ans ou plus de cultiver un maximum de quatre plants de cannabis à son domicile2. Toutefois, dans les provinces du Québec, du Manitoba et du Nunavut, la législation adoptée interdit de cultiver du cannabis à des fins personnelles dans une maison d’habitation. 

L’assuré qui réside dans une province où la culture de cannabis dans les résidences privées est permise devra probablement déclarer s’il se livre à de telles activités lors de la souscription ou du renouvellement de sa police d’assurance habitation. Dans le cas contraire, cela pourrait constituer une fausse déclaration importante. 

En effet, la culture personnelle de cannabis dans les résidences privées représente clairement un facteur d’aggravation de risque pour les assureurs. Principalement, ce type d’activités engendre des risques élevés d’incendie, des risques de pannes électriques liées à une surcharge des circuits, particulièrement dans les habitations multi unités, ou encore des risques de réclamations liées au vol ou au vandalisme des plants. Une mauvaise ventilation pourrait également causer de la moisissure sur les murs de l’habitation. 

Afin d’évaluer adéquatement les risques, de nouvelles données seront à examiner dans le cadre d’une souscription à une police d’assurance habitation. Par exemple, le nombre total de plants cultivés au sein d’une habitation multi unités, ou encore la proximité de la maison d’habitation avec une borne d’incendie, pourraient constituer des considérations majeures pour déterminer le coût de la couverture du souscripteur. 

Le libellé de la couverture et ses exclusions devra également être révisé. En effet, dans les provinces où la culture personnelle de cannabis dans les résidences privées est permise, ce type d’activité ne peut plus être visé par l’exclusion de couverture concernant les « activités criminelles ». De plus, les assureurs devront déterminer les contours de l’exception de l’« assuré innocent », qui permet de couvrir la réclamation de l’assuré qui fait une demande alors qu’il ignorait que sa maison d’habitation abritait des installations de culture de cannabis3

Enfin, le contrat d’assurance devrait comporter une clause prévoyant précisément la nature du contrôle exercé par les assureurs relativement aux déclarations de leurs clients à l’égard de leur culture personnelle de cannabis (ex. : vérification par téléphone ou au moyen d’une inspection en personne). Les assureurs pourraient également vouloir ajouter une clause imposant à l’assuré une obligation d’implanter et de respecter certaines mesures de sécurité pour ses installations, et prévoyant la possibilité de nier couverture dans le cas contraire.  

Assurance automobile 

Une hausse des primes d’assurance pour les automobilistes est prévisible. En effet, comme pour l’alcool, le THC présent dans le cannabis peut augmenter le risque d’accident, car il affecte la capacité de conduire (somnolence et vision floue, ralentissement du temps de réaction et des réflexes, diminution de la concentration et de l’aptitude à prendre des décisions, diminution de la capacité d’évaluer les distances). 

Cette hausse des primes d’assurances variera selon le nombre d’accidents et d’arrestations en lien avec la consommation de cannabis au volant. À titre d’illustration, au Québec, un total de 791 affaires pour conduite avec les facultés affaiblies par la drogue a été enregistré en 20164

Au Québec, la Loi constituant la Société québécoise du cannabis, édictant la Loi encadrant le cannabis et modifiant diverses dispositions en matière de sécurité routière, adoptée le 12 juin 2018, interdit à toute personne de conduire un véhicule routier s’il y a quelque présence détectable de cannabis dans sa salive5. Ce principe de tolérance zéro en matière de cannabis au volant prévaut également aux États-Unis, dans les états du Massachusetts et de Washington DC. Cependant, le régime québécois d’assurance sans égard à la faute permettra ultimement d’indemniser les victimes d’un accident de la route, sans tenir compte de la responsabilité des conducteurs. Toutefois, ces derniers demeureront responsables des dommages matériels qu’ils causent à leur propre véhicule alors qu’ils conduisaient avec les facultés affaiblies par le cannabis. 

Dans le cas particulier des assurés exploitant des entreprises de transport de véhicules à usage commercial, les assureurs devraient effectuer un examen attentif des politiques relatives aux drogues et des mécanismes de dépistage mis en place par ces entreprises pour contrôler la consommation des employés, afin de limiter les risques de réclamations indépendantes de négligence adressées contre l’employeur6. 

Assurance maladie 

La consommation de cannabis pendant les heures de travail peut augmenter le risque d’accident et d’absentéisme. Ainsi, les demandes d’indemnisation en invalidité représentent les plus grands risques pour les assureurs. À cet égard, au Québec, le Projet de loi n°157 prévoit que l’employeur peut encadrer, y compris interdire, toute forme d’usage du cannabis par ses employés sur les lieux de travail7. Ce droit accordé à l’employeur en vertu de son droit de gérance permettrait donc d’atténuer ces risques. 

Par ailleurs, certaines grandes entreprises ont annoncé que les avantages sociaux des employés devraient inclure le remboursement des dépenses de cannabis médical. Par exemple, depuis le 1er mars 2018, les répondants des régimes d’assurance collective Sun Life peuvent ajouter la couverture de cannabis médicinal à leurs plans. 

Les assureurs devront veiller à ce que le remboursement du cannabis thérapeutique couvert dans un régime collectif s’opère de manière sélective, sous certaines restrictions. À cet égard, chaque régime d’assurance collective doit prévoir des conditions de qualification strictes et conformes à la réglementation sur l’accès au cannabis à des fins médicales, et délimiter l’étendue de la couverture. 

À titre d’illustration, le régime d’assurance collective Sun Life prévoit que l’employé doit se qualifier pour la couverture selon les critères prédéfinis de la Sun Life, en remplissant un formulaire d’approbation. De plus, il doit être enregistré avec Santé Canada, en vertu du Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales. La couverture est disponible uniquement pour certaines maladies (ex. : le cancer) et certains symptômes précis, et elle est sujet à révision annuelle. 

Assurance vie 

L’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) a récemment affirmé que les Canadiens qui fument deux joints ou moins de cannabis par semaine ne devraient pas faire face à des primes d’assurance vie plus élevées après l’entrée en vigueur de la Loi fédérale sur le cannabis8. 

Cette déclaration n’est pas surprenante. En effet, la plupart des grandes compagnies d’assurance n’attribuent plus à la consommation occasionnelle de cannabis le même facteur de risque que pour le tabagisme. De plus, les compagnies d’assurance doivent limiter le montant des primes d’assurance vie pour attirer les jeunes, qui leur seront fidèles à long terme. Rien qu’en 2017, on recensait 594 500 Canadiens âgés de 25 à 44 ans consommant du cannabis chaque semaine9. 

Si le montant des primes d’assurance vie ne devrait pas être affecté par la légalisation du cannabis récréatif, des changements importants devront être opérés relativement au processus de souscription. Tout d’abord, les assureurs doivent effectuer une reclassification des fumeurs de cannabis sous la catégorie des « non-fumeurs », la consommation de cannabis n’étant plus traitée comme le tabagisme. De plus, afin d’évaluer adéquatement les risques, une nouvelle question au sujet de la fréquence de consommation de cannabis pourrait être posée (une fois, moins d’une fois par mois, une ou trois fois par mois, chaque semaine mais pas tous les jours, chaque jour). D’ailleurs, aux États-Unis, selon un récent sondage adressé lors de la conférence annuelle de l’Association of Home Office Underwriters (AHOU), 43 % des répondants ont déclaré que la fréquence de consommation constitue le facteur le plus important lorsqu’une personne fumant du cannabis souscrit à une assurance10. De manière générale, les assureurs devront définir à quoi correspond une consommation occasionnelle de cannabis, et la tarification qui lui est applicable. 

Enfin, la détection de cannabis pour déterminer les causes d’un accident soulève de véritables enjeux pour l’octroi des montants d’assurance vie. En effet, bien que les tests permettent de détecter la présence de THC plusieurs jours après sa consommation, il n’est toujours pas possible de déterminer si une personne était effectivement sous l’influence de cannabis au moment précis où elle a été impliquée dans un accident mortel. Cette question vient d’être soulevée aux États-Unis, dans l’État du Colorado, où un assureur a nié la moitié de la compensation due à l’épouse d’un travailleur mort dans un accident de travail. L’assureur justifie son refus par le fait que les rapports toxicologiques ont révélé que le travailleur avait un niveau élevé de THC dans le système au moment de sa mort11. 

Conclusion : recommandations pratiques aux assureurs 

À l’aube de l’entrée en vigueur de la Loi fédérale sur le cannabis le 17 octobre 2018, les assureurs de dommages des particuliers doivent évaluer une variété de risques. Pour remplir cette tâche, ils peuvent notamment s’appuyer sur l’évaluation de réclamations antérieures aux États-Unis. 

Par ailleurs, le libellé et les exclusions des contrats d’assurance doivent être révisés afin que les produits d’assurances couvrent adéquatement les risques et les réclamations. 

Enfin, il ne faut pas négliger le nouveau rôle des conseillers et courtiers en assurance, qui auront le devoir d’informer adéquatement leurs clients quant à l’usage et la tarification du cannabis, et s’assurer que ces derniers se conforment à la législation en vigueur au Canada et dans la province où ils résident. 

Certains assureurs canadiens se sont déjà préparés à la légalisation du cannabis en lançant de nouveaux produits sur le marché. C’est le cas par exemple de la compagnie Markers Financial, qui a lancé son premier produit d’assurance à émission garantie au Canada, qui couvrira les prescriptions de cannabis médical de ses clients, ou encore de la compagnie Indemnipro, qui a créé un nouveau service de règlement des sinistres relatifs au cannabis, incluant entre autres les vols résidentiels et commerciaux12.


1 Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois (ci-après : « Loi fédérale sur le cannabis »), Loi du Canada (2018), Chapitre 16, sanctionnée le 21 juin 2018.
2 Loi fédérale sur le cannabis, art. 12.
3 « Une approche pratique pour les assureurs relativement à la légalisation du cannabis destiné à un usage récréatif », Norton Rose Fulbright, février 2018.
4 Statistiques Canada, Centre de statistiques sur le cannabis.
5 Projet de loi n° 157 (Loi constituant la Société québécoise du cannabis, édictant la Loi encadrant le cannabis et modifiant diverses dispositions en matière de sécurité routière), arts 20 à 73. 
6 « Une approche pratique pour les assureurs relativement à la légalisation du cannabis destiné à un usage récréatif », Norton Rose Fulbright, février 2018.
7 Projet de loi n° 157 (Loi constituant la Société québécoise du cannabis, édictant la Loi encadrant le cannabis et modifiant diverses dispositions en matière de sécurité routière), Loi encadrant le cannabis (« LEC »), art. 21.
8 « Fumer parfois du pot ne fera pas bondir vos primes d’assurance vie », Radio-Canada, 2 juillet 2018, consulté le 23 juillet 2018.
9 Statistiques Canada, Centre de statistiques sur le cannabis.
10 « Insurance Companies Start Noticing The Legal Cannabis Industry », Forbes, 5 juillet 2015, consulté le 23 juillet 2018.
11 « Late Colorado worker’s wife denied full compensation because he was a cannabis user », CannabizDaily, 18 juillet 2018, consulté le 23 juillet 2018.
12 « Légalisation du cannabis au Canada : des entreprises explorent le marché », Le Journal de l’assurance, 20 juin 2018, consulté le 23 juillet 2018.