Qu’advient-il de la réforme du Code de procédure civile?

Le ministre de la Justice, M. Jean-Marc Fournier, déposait le 29 septembre 2011 l’Avant-projet de loi instituant le nouveau Code de procédure civile (« Nouveau C.p.c. »), proposant ainsi une réforme majeure en cette matière. Le projet de loi final devrait être soumis pour approbation cet automne; entre-temps, les intéressés peuvent intervenir, afin de partager leurs réflexions et commentaires.

De nouveaux principes mis de l’avant

L’objectif principal de cette réforme est de moderniser les règles et faciliter l’accès à la justice en passant, pour ce faire, par une simplification du processus judiciaire et une réduction des coûts. Pour y arriver, plusieurs avenues sont proposées :

  • alléger cette législation en utilisant moins d’articles et en adoptant un langage moins juridique et une approche plus simple pour le citoyen;
  • inciter les parties à recourir aux modes alternatifs de règlement des différends, notamment la médiation. Cette vision est codifiée au premier article du Nouveau C.p.c., où l’on crée l’obligation pour les parties de « considérer » l’utilisation des modes alternatifs avant de se tourner vers les tribunaux1;
  • accentuer le principe de la proportionnalité en requérant des parties et leurs avocats qu’ils recherchent un meilleur équilibre entre les démarches judiciaires entreprises et les coûts afférents par rapport à la nature, la complexité et la finalité de la demande2;
  • permettre une plus grande accessibilité à la justice en passant par la Division des petites créances;
  • modifier la répartition des frais de justice. Désormais, la partie perdante n’aura plus à assumer seule les dépends, chacune des parties devant assumer ses propres frais3;
  • encourager l’utilisation de l’oralité4, rendant la défense orale obligatoire dans « tous les cas où l’affaire ne présente pas un degré élevé de complexité ou encore s’il y a intérêt à ce qu’elle soit décidée rapidement5  » ;
  • restreindre la durée des interrogatoires au préalable selon la nature du dossier ou les montants en jeu6;
  • encadrer le recours aux experts et favoriser l’expertise commune7;
  • réaffirmer le rôle de conciliateur et de gestionnaire d’instance du tribunal en accordant au juge une place plus active8;
  • autoriser l’utilisation de tout moyen technologique utile, afin d’arriver à une meilleure gestion de l’instance9.

Les modifications marquantes

Voyons plus en détail, certaines modifications envisagées qui auront un effet certain sur la pratique actuelle.

L’accessibilité à la justice

La valeur maximale des créances pouvant être présentées à la Division des petites créances, présentement fixée à 7 000 $, serait augmentée à 10 000 $, puis à 15 000 $, trois ans suivant l’entrée en vigueur du Nouveau C.p.c.

Cette proposition est intéressante en matière d’accès à la justice et aura très certainement un impact favorable sur les honoraires et frais d’avocats des entreprises ou des particuliers qui auront ainsi moins souvent à recourir aux services de procureurs ou à des procureurs externes.

Restrictions quant aux interrogatoires préalables

Les interrogatoires préalables sont actuellement permis en tout temps dans les causes où la valeur en litige est supérieure à
25 000 $10.

Avec le Nouveau C.p.c., le recours à ces interrogatoires se veut plus restreint, selon la nature du litige et les montants en jeu. On propose ainsi, dans le cadre de la gestion d’instance, d’en fixer la durée maximale, de requérir des parties qu’elles en justifient la nécessité, d’en empêcher l’interruption pour trancher des objections et, finalement, qu’il soit maintenant permis à chacune des parties de les introduire en preuve.

Les limites imposées sont en grande partie souhaitables dans une perspective d’efficacité judiciaire puisque ce sont souvent le nombre, la durée et la portée de ces interrogatoires ainsi que les débats sur les objections soulevées lors des interrogatoires qui ralentissent la progression de l’instance. Cependant, nous sommes préoccupés par la mesure visant à conférer le droit à toutes les parties de produire les interrogatoires préalables tenus, cela risquant de compromettre l’objectif exploratoire de ces interrogatoires et ainsi d’en affecter l’utilité.

Encadrement des expertises

Par l’adoption du Nouveau C.p.c., on espère également encadrer le recours à l’expert favorisant par le fait même l’application du principe de proportionnalité.

On envisage à cet effet de définir spécifiquement le rôle de l’expert comme étant celui qui doit « éclairer le tribunal » sur une affaire de façon indépendante. Les parties ne pourraient retenir qu’un seul expert par discipline ou matière11 et seront fortement encourager à recourir à un expert commun.

Aussi, le Nouveau C.p.c. prévoit qu’à tout moment dans l’instance, le juge peut, même d’office, ordonner une expertise commune s’il juge que « le respect du principe de proportionnalité l’impose »12.

Aussi, nous considérons que l’imposition de l’expertise commune confère à l’expert un statut de quasi-décideur, pouvant entraîner une déjudiciarisation partielle du dossier. En effet, une partie en désaccord avec les conclusions d’un Tribunal peut porter la décision en appel, alors qu’une partie en désaccord avec la position de l’expert commun ne dispose d’aucun recours.

Le Nouveau C.p.c. prévoit, par ailleurs, que le rapport de l’expert puisse remplacer son témoignage au cours du procès13.

Cette mesure est fortement critiquée par certaines personnes concernées par la réforme en ce que cette initiative risque de miner le test de crédibilité des experts en empêchant que ceux-ci puissent être contre-interrogés sur le contenu de leur rapport.

Gestion du dossier

Alors que le Code actuel prévoit que les parties sont maîtres de leur dossier, le Nouveau C.p.c. prévoit qu’elles le demeurent « sous réserve du devoir des tribunaux d’assurer la saine gestion des instances et de veiller à leur bon déroulement » 14.

Par ce changement important, le Nouveau C.p.c. accorde un rôle beaucoup plus actif au juge.

Pour permettre une meilleure gestion des dossiers, on exigerait maintenant la mise en place d’un « protocole de l’instance »15 allant bien au-delà d’un simple échéancier. Les parties devront notamment y présenter une évaluation de l’opportunité de recourir à une conférence de règlement à l’amiable (« CRA »), une évaluation de la nécessité de procéder à une expertise, à un interrogatoire et à une défense écrite.

Ce protocole de l’instance devra être soumis à l’approbation d’un juge, lequel pourra, sur demande ou même d’office, le modifier ou prendre toute autre décision, notamment ordonner l’expertise commune, déterminer les conditions des interrogatoires et ordonner que la défense soit orale16.

Mentionnons, à cet égard, que certaines juridictions ont mené des projets pilotes dont les conclusions ont servi à l’élaboration de ces nouvelles règles. Ces projets pilotes ont semble-t-il été appréciés des participants et ont mené à des résultats favorables en matière d’efficacité judiciaire.

Conclusion

Il est certain que l’Avant-projet de loi instituant le nouveau Code de procédure civile peut être modifié avant son entrée en vigueur, mais quoi qu’il en soit, à notre avis, le ton est donné.

La simplification des procédures et la réduction des coûts demeureront au cœur des objectifs de cette réforme. L’exercice est, à notre avis, louable et nécessaire, dans la mesure évidemment où la qualité de notre système de justice n’en est pas compromise.

Nous suivrons évidemment ce dossier de près pour vous informer de tout fait nouveau.

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