Loi canadienne anti-pourriel : beaucoup plus de mordant dès le 1er juillet 2017

MISE À JOUR : Le 7 juin dernier, en réponse à des préoccupations générales soulevées par certaines parties prenantes, l’entrée en vigueur des articles 47 à 51 et 55 de la LCAP, prévoyant le droit de poursuite privée, a été suspendue afin de permettre à un comité parlementaire d’examiner plus en détail les effets de ces dispositions. Le but de ce comité sera de développer une approche plus équilibrée protégeant les intérêts des consommateurs tout en éliminant les conséquences involontaires pour les organisations qui ont de bonnes raisons d’envoyer des MEC. Il est toutefois à noter que la disposition transitoire prévue à l’article 66 (concernant les durées de validité du consentement implicite découlant d’une relation d’affaires ou privée en cours) cessera néanmoins d’être effective à partir du 1er juillet 2017, ce qui nécessitera une plus grande vigilance de la part des entreprises.

L’entrée en vigueur des dispositions de la Loi canadienne anti-pourriel1 (la « LCAP ») s’est faite par étapes depuis son adoption. D’abord, les dispositions relatives à la transmission de messages électroniques commerciaux, une expression définie de manière très large englobant notamment les courriels, les messages SMS et certains messages sur les plateformes des réseaux sociaux visant à promouvoir des activités commerciales (« MEC »), sont entrées en vigueur le 1er juillet 2014. Le 1er janvier 2015 marqua ensuite l’entrée en vigueur des règles relatives à l’installation de programmes d’ordinateur sur les appareils de tiers. La troisième étape aura lieu le 1er juillet prochain alors que les droits privés d’action prendront effet et que certaines mesures transitoires relatives au consentement cesseront d’être applicables.

Après un sommaire de l’objet de la LCAP, nous résumerons, dans le présent article, les changements imminents et fournirons une analyse de leurs impacts pour l’industrie.

1) Objet de la LCAP

La LCAP vise à interdire certaines pratiques en matière de communications électroniques commerciales. Elle prohibe notamment la transmission de MEC à des personnes qui n’ont pas consenti expressément ou tacitement à les recevoir ou la transmission de MEC qui ne respectent pas certaines exigences de contenu, dont un processus de désabonnement correspondant aux exigences de la LCAP.2

Sont aussi prohibées, sauf exceptions, la modification des données de transmission d’un MEC afin qu’il soit acheminé à une autre destination et l’installation d’un programme dans l’ordinateur d’une autre personne sans avoir obtenu le consentement de son propriétaire ou de son utilisateur autorisé, et ce, conformément aux dispositions de la LCAP.

2) Entrée en vigueur des dispositions concernant le droit de poursuite privée

Comme mentionné dans l’encadré ci-dessus, l’entrée en vigueur des dispositions prévoyant le droit de poursuite privée a été suspendue le 7 juin 2017 pour une période indéfinie afin de permettre à un comité parlementaire d’examiner plus en détail les effets de ces dispositions.

À partir du 1er juillet 2017, toute personne touchée par une des infractions prévues à la LCAP3 pourra s’adresser au tribunal compétent pour obtenir une ordonnance afin que le défendeur l’indemnise pour les dommages subis et lui verse un montant pouvant atteindre 1 000 000 $ par jour où a eu lieu la contravention ou par contravention, selon la nature de l’infraction (la « Pénalité »)4. Lors de l’établissement du montant de la Pénalité, le tribunal devra favoriser le respect de la LCAP et non la punition des contrevenants.

Il est à noter qu’une personne qui a préalablement convenu d’un engagement avec le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le « CRTC ») ou reçu un procès-verbal de violation relatif aux faits qui seraient reprochés dans la poursuite sera généralement exemptée du paiement de la Pénalité, mais pourrait tout de même être tenue d’indemniser le demandeur pour les pertes subies. À partir du moment où le tribunal compétent accepte d’entendre la poursuite privée, le contrevenant ne pourra conclure un engagement afin d’éviter l’imposition d’une Pénalité supérieure et le CRTC ne pourra lui signifier de procès-verbal de violation relatif à cette infraction.

3) Expiration de certaines mesures transitoires

Le 1er juillet 2017 marquera également la fin des mesures transitoires prévues à l’article 66 de la LCAP. Ces mesures transitoires avaient pour effet de permettre à une personne ayant eu une relation d’affaires en cours5 ou une relation privée en cours6 avec une autre personne de poursuivre les communications électroniques avec celle-ci, un consentement tacite à recevoir les communications étant présumé. À partir du 1er juillet 2017, la relation d’affaires ou privée en cours devra avoir eu lieu au cours des deux années précédentes, à défaut de quoi l’expéditeur d’un MEC ne pourra se fonder sur l’exception du consentement tacite pour transmettre son message.

Par conséquent, les systèmes de gestion de la conformité à la LCAP devraient être vérifiés afin de s’assurer que les destinataires n’ayant pas expressément consenti à recevoir les MEC et avec lesquels l’expéditeur n’a pas eu de relation au courant des deux dernières années seront retirés de la liste de diffusion. Les entreprises s’étant uniquement fondées sur la relation d’affaires passée avec leurs clients devraient également s’assurer d’obtenir le consentement exprès de la part de ceux avec qui ils n’ont pas maintenu de relation admissible depuis plus de deux ans avant le 1er juillet 2017, à défaut de quoi ils devront cesser de communiquer avec ces clients par l’entremise de MEC.

4) Application de la LCAP et impact des nouvelles dispositions

Depuis l’entrée en vigueur de la LCAP, le CRTC a reçu plus de 900 000 signalements relatifs à des contraventions à cette loi. Malgré ce nombre important de signalements, seulement six entreprises et un individu ont pris un engagement volontaire et payé une pénalité ou se sont fait imposer une amende :

  • 3510395 Canada inc. (Compu.Finder) s’est fait imposer une amende de 1 100 000 $ le 5 mars 2015 pour avoir transmis des courriels sans consentement et ne pas avoir mis en place un mécanisme de désabonnement approprié;
  • Plentyoffish Media inc. a pris l’engagement de payer 48 000 $ le 25 mars 2015 pour ne pas avoir mis en place un mécanisme de désabonnement approprié;
  • Porter Airlines inc. a pris l’engagement de payer 200 000 $ le 29 juin 2015 pour ne pas avoir mis en place un mécanisme de désabonnement approprié ou avoir fourni des informations d’identification insuffisantes;
  • Rogers Media inc. a pris l’engagement de payer 200 000 $ le 20 novembre 2015 pour avoir envoyé des MEC qui ne comprenaient pas de mécanisme de désabonnement approprié ou une adresse de correspondance valable pour un minimum de 60 jours après la transmission du message;
  • Kellogg’s Canada inc. a pris l’engagement de payer 60 000 $ le 1er septembre 2016 pour avoir transmis des MEC à des destinataires qui n’y avaient pas consenti;
  • Blackstone Learning Corp s’est fait imposer une sanction de 50 000 $ le 26 octobre 2016 pour avoir transmis des MEC à des destinataires qui n’y avaient pas consenti;
  • William Rapanos s’est fait imposer une sanction de 15 000 $ pour avoir transmis des MEC à des destinataires qui n’y avaient pas consenti et avoir fait défaut d’inclure un mécanisme de désabonnement approprié.

Bien qu’un nombre important des 900 000 signalements soit lié aux entreprises ci-dessus et plus particulièrement à Compu.Finder, les ressources limitées du CRTC n’ont pas donné lieu à la poursuite de chacun des contrevenants ayant été signalés, que ce soit parce que le CRTC jugeait que la contravention n’était pas significative et ne justifiait pas le déploiement de ressources pour imposer une pénalité ou simplement par manque d’effectifs.

Avec l’entrée en vigueur des droits privés d’action, les contrevenants s’exposent à des poursuites non pas d’une seule source, mais bien de la part de chacun des destinataires d’un MEC non-conforme. Ainsi, il est fort probable que des groupes intentent des recours collectifs afin de pouvoir bénéficier des Pénalités qui pourraient être octroyées. Il sera intéressant de suivre les premières décisions en la matière, lesquelles, selon les sommes octroyées, auront un effet certain sur la popularité de ce type de recours.

En vue d’éviter de devoir se défendre contre de tels recours, nous suggérons aux entreprises de réviser et d’améliorer leur programme de conformité à la LCAP et de renouveler la formation de leurs employés. Les entreprises qui utilisent des représentants ou des intermédiaires de marché devraient par ailleurs s’assurer de sensibiliser leurs partenaires aux obligations qui leur incombent en vertu de la LCAP et d’encadrer de façon précise toute communication qui pourrait être interprétée comme étant effectuée pour leur compte ou en leur nom. La LCAP édicte en effet la responsabilité d’une organisation ayant le statut d’employeur ou de mandant d’une personne contrevenant à la LCAP.

Cela pourrait notamment permettre de présenter une défense de diligence raisonnable en cas de poursuite, tout en limitant l’exposition de l’entreprise aux poursuites. De plus, si ce n’est pas déjà le cas, le programme de conformité de l’entreprise devrait notamment s’assurer de conserver un registre documentant les activités de conformité en lien avec la LCAP, incluant les consentements reçus. Un plan d’actions à prendre en cas de plainte ou de réclamation pourrait également être mis en place afin de réagir adéquatement dans ces circonstances et minimiser les conséquences pour l’entreprise.

Les auteurs souhaitent souligner la collaboration d’Émilie Leblanc, stagiaire, dans le cadre de la rédaction de cet article.


1 Le nom officiel de la Loi canadienne anti-pourriel est la Loi concernant l’efficacité et la capacité d’adaptation de l’économie canadienne par la réglementation de certaines pratiques qui découragent l’exercice des activités commerciales par voie électronique et modifiant la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, la Loi sur la concurrence, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques et la Loi sur les télécommunications. (LC 2010, ch. 23)
2 Pour plus de détail à ce sujet, nous vous invitons à lire notre article La loi anti-pourriel vous inquiète?
3 Il est à noter que ces dispositions sont aussi applicables à des contraventions en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LC 2000, ch. 5) et de la Loi sur la concurrence (LRC (1985), ch. C-34), mais nous avons choisi de limiter la portée de cet article aux infractions à la LCAP.
4 Art. 47 à 51 et 55 de la LCAP.
5 Au sens de l’article 10(10) LCAP. Ceci comprend notamment l’achat ou la location par le destinataire du MEC d’un bien ou d’un service auprès de l’expéditeur, l’acceptation par le destinataire d’une possibilité d’affaires, d’investissement ou de jeu auprès de l’expéditeur du MEC ou l’existence d’un contrat toujours en vigueur entre le destinataire et l’expéditeur.
6 Au sens de l’article 10(13) LCAP. Ceci comprend notamment, lorsque l’expéditeur est un organisme de bienfaisance, un don ou un cadeau offert par le destinataire à l’expéditeur, du travail bénévole effectué par le destinataire auprès de l’expéditeur ou une adhésion du destinataire auprès de l’expéditeur.