L’obligation d’agir de bonne foi dans le contexte d’un recours en oppression institué en vertu de la Loi sur les Sociétés par actions du Québec

Dans la décision Quigley c. Placements Banque Nationale inc. et al. rendue le 15 janvier 2018, la Cour d’appel confirme le jugement rendu par l’honorable Louis Gouin de la Cour supérieure du Québec qui avait rejeté l’action des demandeurs, anciens employés de Gestion de portefeuille Natcan inc. (« Natcan »), intentée en vertu des articles 450 à 453 de la Loi sur les Sociétés par actions du Québec (« LSAQ »). 

Mise en contexte 

Au moment des faits en litige, Natcan œuvrait dans le domaine de la gestion de portefeuille et de placements, notamment pour le compte de la Banque Nationale du Canada (« BNC ») et ses filiales. Placements Banque Nationale inc. est une société par actions qui œuvre notamment dans le domaine de l’épargne collective et de la planification financière (« PBN »).  

Les Demandeurs étaient des employés de Natcan et s’étaient vus offrir la possibilité de participer à un programme de bonification qui leur permettait de devenir actionnaire d’une compagnie, en l’occurrence 9130-1564 Québec inc. (« 9130 »)1

La participation à titre d’actionnaire de 9130 permettait aux Demandeurs, par le biais de dividendes annuels, de bénéficier des profits générés par les opérations de Natcan, lesquels profits dépendaient, notamment, des efforts et de la performance des Demandeurs. 

La convention unanime des actionnaires de 9130 (la « Convention ») était au cœur du litige. Celle-ci incluait une clause indiquant que les actions des actionnaires pouvaient être achetées en tout temps par PBN ou la BNC, et ce, à la seule discrétion des administrateurs de 9130. Dans un tel cas, la convention prévoyait que les actions seraient transigées à la valeur aux livres, telle que déterminée en fonction des états financiers mensuels de 9130 du mois précédant la levée de l’option d’achat. 

Alors qu’une importante transaction était sur le point de se conclure entre Natcan et Fiera Sceptre inc. pour un montant de 309 millions de dollars (la « Transaction »), les administrateurs de 9130 ont adopté une résolution afin de permettre à PBN d’acquérir les actions détenues par les Demandeurs, et ce, en tenant compte de leur valeur aux livres durant le mois précédant la levée de l’option d’achat. 

Selon les Demandeurs, les administrateurs de 9130 auraient abusé des droits prévus à la Convention, puisque la Transaction était imminente, et donc, la levée de l’option d’achat par PBN avait pour effet de brimer le droit des Demandeurs de pouvoir bénéficier de la valeur des actions une fois la Transaction intervenue. 

Décision 

Le juge de première instance avait rejeté la prétention des Demandeurs considérant que ceux-ci ne pouvaient avoir eu comme « attente raisonnable » d’obtenir la valeur marchande des actions au moment de la signature de la Convention. Les clauses du programme de bonification et de la Convention ne contenaient aucune ambiguïté quant à l’intention des parties. L’objectif du programme de bonification était de permettre aux employés de bénéficier des profits générés durant l’année en cours, et donc, en fonction de leur performance au cours de l’année, et non de profiter de la valeur de Natcan dans le cas où celle-ci faisait l’objet d’une acquisition. 

En appel, les Demandeurs ont soutenu que le juge Gouin n’avait pas tenu compte de leur argument voulant qu’en fonction de l’obligation de bonne foi, PBN se devait d’acheter les actions de 9130 à leur valeur marchande une fois la Transaction intervenue. 

La Cour d’appel a rejeté cet argument, les Demandeurs ne pouvant utiliser le recours prévu aux articles 450 à 453 LSAQ pour contrecarrer les termes d’une entente contractuelle à laquelle ils ont donné un consentement libre et éclairé. La Cour a confirmé la décision de première instance en indiquant que c’est en conformité avec les dispositions contractuelles que le rachat des actions de 9130 a été effectué par PBN. 

Commentaire de l’auteur 

En vertu du droit québécois, et avant l’introduction des articles 450 à 453 LSAQ, un recours en oppression pouvait être intenté en vertu des articles 33 et 46 de l’ancien Code de procédure civile (C.p.c.). Dans un tel contexte, la partie demanderesse devait faire la preuve d’un abus de droit, d’un manquement aux exigences de la bonne foi ou d’un comportement fautif. Ainsi, dans le contexte de recours intentés en vertu de ces derniers articles, les tribunaux ont eu à se pencher sur l’obligation de bonne foi dans le cadre d’un recours en oppression. 

En l’espèce, alors que l’action était instituée en vertu de la LSAQ, les Demandeurs ont tenté de faire un argument distinct de celui des attentes raisonnables en indiquant que même s’ils n’avaient pas une telle attente raisonnable d’obtenir le rachat de leurs actions à leur valeur marchande, ils auraient dû y avoir droit considérant l’obligation des administrateurs d’agir de bonne foi2

La présente décision vient donc confirmer que l’obligation de bonne foi ne peut faire l’objet d’un examen distinct de celui relatif aux attentes raisonnables et du contenu du contrat conclu de consentement entre les parties. 

Le 16 mars 2018, les Demandeurs ont déposé une Demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada. Il sera intéressant de voir si la Cour suprême acceptera d’entendre l’appel de la présente décision.


1 9130 était une société dont la seule activité consistait à détenir des actions de Natcan.
2 Paragraphes 44 et 45 de la décision.

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