L’irrecevabilité au stade interlocutoire : une fenêtre qui reste petite

Dans l’arrêt 9324-0422 Québec inc. c. Gestion Paul Daigle inc.1, la Cour d’appel vient rappeler le principe de prudence qui s’impose en matière d’irrecevabilité au stade interlocutoire, même lorsqu’un précédent semble s’appliquer et déterminer l’issue du litige. 

Dans cette affaire, il est question d’une promesse de vente que le demandeur, le promettant acheteur, cherche à faire exécuter au moyen d’un recours en passation de titre. Or, la promesse prévoit le dépôt d’un acompte et dans les faits, ce dépôt a été fait le lendemain de la date prévue à la promesse. Le demandeur invoque dans sa demande l’absence de collaboration d’un courtier qui devait recevoir et transmettre l’acompte pour justifier son défaut comme explication du retard. 

Le défendeur a fondé son moyen d’irrecevabilité sur l’arrêt Penterman c. Ferme brune des Alpes2. Dans cette affaire, la Cour d’appel avait conclu qu’en l’absence du dépôt par le promettant acheteur de l’acompte prévu au précontrat dans le délai imparti, le recours en passation de titre devait échouer, même si le promettant acheteur invoquait, pour expliquer son retard ou son défaut, les conseils reçus d’un professionnel selon quoi le dépôt n’était plus nécessaire. Selon la Cour d’appel, le dépôt de l’acompte étant une condition essentielle de validité du précontrat, l’omission entraînait la caducité de la promesse et ne permettait plus de recours pour en forcer l’exécution. 

Se considérant lié par l’arrêt Penterman, le premier juge a accepté les arguments du défendeur et a conclu que même en tenant pour avérées les allégations de la demande, le recours au fond devait échouer. Il a donc accueilli le moyen d’irrecevabilité. 

La Cour d’appel infirme la décision du premier juge. La Cour rappelle qu’un moyen d’irrecevabilité au stade interlocutoire commande une grande prudence et qu’en cas de doute, on doit laisser au juge du fond le soin de trancher les questions litigieuses avec le bénéfice d’une preuve complète. La Cour rappelle également que ce n’est que lorsqu’un précédent apporte une solution certaine, complète et définitive qu’il peut justifier d’accueillir un moyen d’irrecevabilité. Or, l’arrêt Penterman avait été rendu par la Cour d’appel dans le cadre d’un pourvoi sur le fond de l’affaire, avec le bénéfice d’une preuve complète entendue en première instance. C’est en se fondant, à tout le moins en partie, sur des déterminations factuelles tirées de la preuve au dossier que la Cour d’appel avait conclu au caractère fatal du défaut d’avoir versé l’acompte dans le délai imparti dans l’arrêt Penterman

La Cour d’appel mentionne finalement que les allégations de la demande font état de circonstances qui pourraient démontrer que le retard dans la transmission de l’acompte ne devrait pas être fatal, notamment en ce que le caractère du retard était involontaire, contrairement à l’arrêt Penterman où, bien que mal conseillé par un professionnel, le promettant acheteur avait omis de déposer l’acompte volontairement et consciemment. 

Cette affaire nous rappelle que si les précédents ont une importante valeur dans notre système judiciaire et doivent être étudiés lorsque des dossiers soulèvent des questions juridiques similaires, les circonstances de chaque affaire restent déterminantes. Il sera rare qu’un précédent faisant autorité ait le niveau suffisant de similarité juridique et factuelle pour lier les tribunaux civils dans un autre dossier au stade préliminaire et sans le bénéfice d’une preuve complète.


1 2017 QCCA 242.
2 2006 QCCA 1318.

Flèche vers le haut Montez