L’employeur face au délai de congé d’un salarié démissionnaire; la Cour suprême tranche!

Dans l’affaire Asphalte Desjardins inc. c. Commission des normes du travail, de 2013, la Cour d’appel concluait qu’un employeur avait la prérogative de renoncer au bénéfice du délai de congé donné par un salarié démissionnaire. 

Rappelons qu’il était question dans cette affaire de la démission du directeur de projet de l’entreprise Asphalte Desjardins, qui avait décidé de se joindre à l’un de ses concurrents. L’employeur avait décidé de renoncer au bénéfice du délai de congé donné par le salarié et lui avait demandé de quitter son emploi quelques jours suivant sa démission. La Commission des normes du travail (« CNT ») avait donc réclamé pour le compte du salarié trois semaines de préavis, délai prévu dans sa lettre de démission. 

Décision de la Cour du Québec 

En première instance, la Cour du Québec avait tranché en faveur de la CNT en concluant que l’employeur devait respecter le moment effectif de fin d’emploi choisi par le salarié et que, par conséquent, il ne pouvait légalement renoncer à ce délai sans verser une indemnité compensatrice au salarié en question. 

Décision de la Cour d’appel 

Ce jugement a été renversé par la Cour d’appel, dont les motifs majoritaires ont été rédigés par l’honorable juge Marie-France Bich, et qui dispose d’une dissidence de l’honorable juge François Pelletier. 

La Cour d’appel avait en effet conclu que la protection émanant de l’article 2091 du Code civil du Québec, qui prévoit l’obligation des deux parties à un contrat de travail de donner à l’autre un délai de congé raisonnable pour mettre fin à la relation, ne bénéficiait uniquement qu’à la partie qui recevait ce délai de congé, lui permettant par le fait même « de pallier les inconvénients découlant d’une rupture [du contrat de travail] qu’elle ne peut ni contrer ni empêcher »1. Selon ce raisonnement, il n’existerait donc pas d’obligation synallagmatique, c’est-à-dire réciproque, entre les parties, de maintenir la relation contractuelle durant le délai de congé et l’employeur était donc en droit de renoncer au préavis donné par le salarié, sans avoir à verser une indemnité compensatrice. 

Décision de la Cour suprême du Canada 

Cependant, le plus haut tribunal du pays a dernièrement renversé ce jugement. En effet, la Cour suprême du Canada a finalement penché en faveur des arguments avancés par la CNT, en déterminant qu’un employeur ne peut mettre fin à l’emploi de son salarié avant l’expiration du délai de congé donné par le salarié, à moins toutefois d’en assumer les conséquences économiques sous forme de versement d’une indemnité compensatrice. 

Contrairement à la Cour d’appel, la Cour suprême établit que le contrat de travail est de nature synallagmatique et, ainsi, que les parties à un tel type de contrat disposent d’obligations réciproques.

L’honorable juge Richard Wagner, rédigeant les motifs de l’arrêt, expose que l’obligation de fournir un délai de congé, prescrite par l’article 2091 du Code civil du Québec, existe tant pour le bénéfice de l’employeur que pour celui du salarié. Il établit, au surplus, que l’employeur doit respecter la Loi sur les normes du travail et, plus particulièrement dans ce contexte, les articles 82 et 83 qui prévoient la durée du préavis de fin d’emploi. 

Il ajoute que le contrat de travail à durée indéterminée d’un salarié prend fin à l’expiration du délai de congé accordé à l’employeur plutôt qu’à l’annonce de la démission du salarié. Ainsi, chaque partie doit remplir ses obligations, qui découlent du contrat de travail, jusqu’à l’expiration de ce délai. Par conséquent, l’employeur souhaitant mettre fin à l’emploi de son salarié avant l’expiration du délai se retrouve alors dans une situation où les rôles sont inversés. En d’autres termes, dans une telle situation, les tribunaux considéreront que c’est l’employeur qui met fin à l’emploi du salarié et qu’il doit donc lui offrir une période de délai de congé ou une indemnité compensatrice y tenant lieu, conformément à l’article 2091 du Code civil du Québec. 

La Cour explique ce raisonnement notamment par le fait qu’un employeur, renonçant au délai de congé de son salarié, l’empêche de fournir sa prestation de travail et le prive de sa rémunération avant l’échéance.

Conclusion 

La Cour suprême du Canada vient donc ainsi mettre un terme définitif à ce débat. Dorénavant, face à la démission d’un salarié, un employeur qui préfère mettre fin à la relation d’emploi avant l’échéance sera dans l’obligation de verser au salarié une indemnité tenant lieu de délai de congé et devra s’assurer de respecter le minimum prévu à l’article 82 de la Loi sur les normes du travail, selon le nombre d’années de service du salarié en question.


1 Paragraphe 55 de la décision de la Cour d’appel.

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