Le droit au rachat d’actions en vertu de la Loi sur les sociétés par actions

Le 14 février 2011, à l’occasion de l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur les sociétés par actions (la « LSAQ »)1, le législateur québécois a révolutionné, à plusieurs égards, le droit des affaires québécois. Or, l’une des innovations majeures de ce nouveau régime est le droit au rachat d’actions.

Alors qu’il existe sous le vocable « droit à la dissidence » en vertu du régime fédéral, le droit au rachat d’actions permet à l’actionnaire en désaccord, dans certains cas précis, avec une décision, d’exiger que celle-ci procède au rachat des actions qu’il détient. Un mécanisme, loin d’être sans conséquence, qu’il importe de considérer lors de la planification de certaines opérations juridiques au sein de la société.

Un droit pour l’actionnaire, une tempête potentielle pour la société

Le droit au rachat d’actions constitue un droit conféré par le législateur en faveur de l’actionnaire, plus souvent qu’autrement, de l’actionnaire minoritaire. Ainsi, compte tenu des impacts potentiels de l’exercice d’un tel droit, sur la société, le respect des conditions d’ouverture de même que des modalités de son exercice devront être rigoureusement respectées.

En ce sens, seul l’actionnaire qui aura voté contre l’une des résolutions suivantes, lesquelles constituent des modifications importantes à la structure de la société, sera admis à exiger le rachat de ses actions :

(i)

 

résolution autorisant une opération d’expulsion contre un ou des actionnaire(s);

(ii)

 

résolution autorisant la modification des statuts portant sur les restrictions aux activités ou au transfert de ses actions;

(iii)

 

résolution autorisant une aliénation de biens de la société, lorsque suite à telle aliénation, cette dernière ne peut plus poursuivre des activités substantielles;

(iv)

 

résolution autorisant la société à permettre l’aliénation des biens d’une filiale;

(v)

 

résolution approuvant une convention de fusion;

(vi)

 

résolution approuvant la continuation de la société sous un autre régime constitutif;

(vii)

 

résolution rétractant la dissolution de la société, lorsque les biens nécessaires à la poursuite de ses activités substantielles ont été vendus dans le processus de liquidation; ou

(viii)

 

résolution dans le cadre d’un vote par catégorie des actionnaires, soit notamment lors d’une modification aux statuts de la société ayant une incidence sur les droits des actionnaires de telle catégorie.

En certaines circonstances, l’actionnaire non votant pourra également se prévaloir du droit au rachat d’actions

L’actionnaire détenant des actions sans droit de vote pourra aussi bénéficier du droit au rachat, mais uniquement dans les cas prévus de (iii) à (viii) ci-avant, et ce, bien qu’il ne soit normalement pas habile à voter. Le cas échéant, l’actionnaire devra voter contre cette résolution pour avoir le droit d’exercer subséquemment le droit au rachat de ses actions.

Si la résolution n’est pas adoptée ou si la mesure visée par celle-ci n’est pas mise en place, le droit au rachat ne sera pas permis

D’une part, si la résolution n’est pas adoptée, l’actionnaire ayant voté contre son adoption ne disposera d’aucun motif pour exiger le rachat de ses actions.

D’autre part, si la société ne donne pas suite à la mesure envisagée, et ce, malgré l’adoption de la résolution, l’actionnaire dissident ne pourra exiger que cette dernière rachète ses actions à l’aide de ce mécanisme.

L’impact potentiel de l’exercice du droit au rachat d’actions sur une société, particulièrement sur une petite et moyenne entreprise comptant quelques actionnaires-clés pourra avoir un impact considérable sur la société. À noter que la nature même de certaines décisions donnant ouverture au droit au rachat des actions constitue des opérations que nous pourrions qualifier de courantes, en matière de réorganisation corporative.

L’abstention n’est pas suffisante pour donner ouverture au droit au rachat d’actions

L’exigence de la consignation d’un vote à l’encontre de la résolution visée constitue une divergence marquée avec le régime fédéral analogue. À ce titre, la nécessité d’enregistrer un vote permet à la société de connaître le nombre maximal d’actions qu’elle pourra être tenue de racheter.

Aussi, le droit au rachat d’actions ne peut que porter sur la totalité des actions de l’actionnaire qui souhaite s’en prévaloir. En cette matière, il n’y a donc pas de demi-mesure.

La société devra dénoncer la possibilité de l’exercice du droit au rachat dès la transmission de l’avis de convocation à une assemblée

La société qui, lors d’une assemblée, envisage l’adoption de l’une des résolutions mentionnées ci-avant, devra indiquer dans l’avis de convocation de celle-ci l’existence du droit au rachat. La société devra, de plus, dénoncer l’existence du droit au rachat d’actions aux actionnaires non votants qui, dépendamment de la résolution envisagée, pourront tout de même se prévaloir du droit au rachat.

À défaut de respecter les règles relatives au contenu de l’avis de convocation, l’actionnaire pourra exiger le rachat de ses actions dans les 30 jours de la connaissance de la réalisation de la mesure visée par la résolution, mais au plus tard dans les 90 jours de telle réalisation, sous réserve qu’il ait voté contre la résolution visée.

Après avoir reçu un avis conforme, l’actionnaire devra informer la société qu’il entend se prévaloir du droit au rachat de ses actions, au plus tard avant la clôture de l’assemblée au cours de laquelle la résolution mitigée a été adoptée. Pour l’actionnaire non votant, cet avis devra être communiqué au plus tard 48 heures avant l’assemblée.

La société, dès qu’elle donne suite à la mesure envisagée par la résolution adoptée, devra transmettre à l’actionnaire un avis de rachat, contenant notamment le prix de rachat des actions.

Le prix de rachat des actions correspond généralement à leur valeur marchande au jour précédant l’adoption de la résolution contestée

La décision du législateur de fixer au jour précédant l’adoption de la résolution la valeur marchande des actions a pour conséquence d’exclure toute incidence que pourrait avoir la mesure visée par celle-ci sur la valeur des actions.

L’actionnaire qui reçoit l’avis de rachat émanant de la société devra prendre la décision ultime de poursuivre l’exercice du droit de rachat ou de faire marche arrière. Ainsi, il bénéficiera de 30 jours pour confirmer qu’il désire exercer son droit ou y renoncer. Si l’avis contenant son intention d’exercer son droit au rachat peut constituer un geste stratégique pour éviter l’adoption de la mesure, la réponse de l’actionnaire à l’avis de rachat sera, quant à elle, cruciale.

À défaut de répondre à cet avis, l’actionnaire sera réputé avoir renoncé à son droit au rachat.

L’actionnaire qui décidera d’aller de l’avant pourra, par le fait même, contester le prix de rachat tel que la société l’aura établi. S’ensuivra alors une négociation entre les parties qui, au bout du spectre, pourrait les conduire jusqu’à un recours devant les tribunaux afin de l’établir de façon définitive.

À ce jour, aucune décision rapportée ne fait état de l’intervention des tribunaux québécois en matière d’exercice du droit au rachat d’actions.

Le paiement du prix de rachat sera assujetti au test de solvabilité

Cette prohibition imposée par le législateur québécois lorsque la société doit débourser des fonds au profit de ses actionnaires n’échappe pas au paiement du prix de rachat.

À ce titre, la société ne pourra payer le prix de rachat si, par ce paiement, elle devient incapable d’acquitter son passif à court terme. Aller de l’avant, malgré l’échec du test de solvabilité, pourrait entraîner la responsabilité personnelle des administrateurs.

Toutefois, advenant que le test de solvabilité ne soit pas satisfait, la société sera tenue d’acquitter le montant maximal qu’elle peut payer sans y contrevenir. Le solde devra être acquitté par cette dernière dès qu’elle sera en mesure de le faire.

En présence d’une tempête à l’horizon ou d’une simple tempête dans un verre d’eau découlant de l’exercice du droit au rachat, notre équipe de droit des affaires s’assure d’accompagner la société, de coordonner les relations entre les acteurs-clés de celle-ci et de conseiller adéquatement les actionnaires et administrateurs, à travers le processus décisionnel entourant le droit au rachat des actions.

Si des renseignements additionnels s’avéraient nécessaires sur l’un ou l’autre des aspects traités dans la présente capsule juridique ou sur tout autre aspect juridique relatif à votre entreprise, n’hésitez pas à communiquer avec un membre de notre secteur droit des affaires.


1 L.R.Q. c. S-31.1.

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