L’acquéreur demeure assujetti à la compétence du juge qui approuve une vente d’actifs sous la LACC, même après la clôture

La version anglaise de cet article a également été publiée dans le National Insolvency Review, Vol. 31, No. 2 (avril 2014) aux pp. 13-17. L’extrait pertinent du NIR peut être lu en cliquant ici (publié avec l’autorisation de l’éditeur, LexisNexis Canada Inc.)

Dans une décision récente1, la Cour d’appel du Québec s’est penchée sur l’étendue des pouvoirs du juge supervisant la restructuration d’une entreprise sous l’égide de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies2 (ci-après, la « LACC »). Plus particulièrement, la Cour devait décider jusqu’où s’étend la compétence du juge pour veiller au respect et à la réalisation des conditions préalables d’une vente d’éléments d’actif qu’il a approuvée. 

La Cour d’appel a confirmé que cette compétence s’étend même jusqu’au pouvoir d’émettre des ordonnances à l’égard de l’acheteur des éléments d’actif, en principe non assujetti à la LACC

Contexte 

Dans le cadre de la restructuration du groupe Papiers White Birch, la société BD White Birch Investment LLC (ci-après, « BDWBI ») s’est portée acquéresse de la quasi-totalité des actifs de Papiers White Birch au terme d’un processus de vente, d’une offre‑paravent (mieux connue sous son appellation anglaise : stalking horse bid) et d’une mise aux enchères des actifs, chacune des étapes ayant été approuvée par le tribunal. Le 28 septembre 2010, le juge supervisant la restructuration, l’honorable Robert Mongeon, a signé un « Approval and Vesting Order » approuvant la vente. 

La clôture de cette transaction était cependant assujettie à plusieurs conditions préalables, dont la conclusion d’ententes appropriées avec les divers syndicats et retraités des usines Stadacona, Papier Masson et F.F. Soucy. En ce qui concerne l’usine de Stadacona, une lettre d’entente fut conclue entre Stadacona S.E.C., une société faisant partie de Papier White Birch, et le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier3 (ci-après, le « Syndicat »). Cette lettre d’entente prévoyait à la fois la terminaison du régime de retraite existant et la mise sur pied d’un nouveau régime de retraite, lequel devait être mis en place pour entrer en vigueur et prendre effet à la date de clôture de la vente. 

En raison de plusieurs facteurs, la vente des éléments d’actif ne s’est finalement conclue que le 13 septembre 2012, soit près de deux ans après l’approbation du juge Mongeon. À cette date, le Contrôleur4 nommé par le tribunal a émis le certificat prévu au « Approval and Vesting Order », lequel confirmait que le prix d’achat des éléments d’actif avait été payé et que les conditions préalables à la clôture prévues au contrat de vente étaient satisfaites. Cependant, bien que les conditions préalables aient été rencontrées, un important engagement pris par BDWBI pour inciter le Syndicat à accepter de nouvelles conditions de travail n’était pas encore rencontré. Il s’agissait de la mise en place du nouveau régime de retraite. 

Ainsi, le Regroupement des employés retraités de la White Birch – Stadacona Inc.5 a présenté au juge Mongeon une requête visant à forcer BDWBI à lui communiquer divers renseignements relatifs à la mise en place du nouveau régime de retraite. Cette requête a été accordée séance tenante le 20 mars 2013, le juge estimant que « la façon de permettre une meilleure compréhension de ce qui se passe au niveau de la mise en place et de l’évolution du dossier du nouveau régime de retraite […] réside dans la communication de documents entre les parties ».6

Le pourvoi en appel 

BDWBI a porté la décision en appel au motif que, en tant qu’acquéresse de la quasi-totalité des éléments d’actif de Papiers White Birch, elle est une tierce partie non assujettie à la LACC et à la compétence du juge de la restructuration, une fois le prix d’acquisition payé et la vente complétée. Puisqu’elle n’est pas l’une des débitrices visées par ce processus, le juge ne pouvait pas, selon elle, lui dicter comment exploiter son entreprise ou comment négocier les ententes relatives à la mise en œuvre des nouveaux régimes de retraite des employés ou retraités de l’usine de Stadacona. 

Le Syndicat a donné son appui à BDWBI, soutenant qu’une fois le certificat du Contrôleur émis, la vente était finalisée de sorte que l’usine de Stadacona était dès lors exclue du patrimoine de Papiers White Birch. En conséquence, le juge de la LACC n’avait plus aucun pouvoir pour rendre des ordonnances concernant la façon dont l’acheteur administre l’entreprise cédée. De plus, le Syndicat était d’avis que même si son consentement à la lettre d’entente était conditionnel à la réalisation par BDWBI de certains engagements souscrits par Stadacona S.E.C., cela n’en a pas fait pour autant une condition de la vente des éléments d’actif approuvée par le juge Mongeon. Enfin, selon le Syndicat, advenant le non-respect de ces engagements, seul ce dernier était en mesure de demander réparation par le dépôt d’un grief, ce qui relèverait de la compétence d’un arbitre. 

Le procureur des débitrices formant le groupe Papier White Birch a fait valoir un point de vue similaire selon lequel la clôture de la vente des éléments d’actif empêchait maintenant le juge de s’immiscer dans la dynamique relative aux nouveaux régimes de retraite qui ne le concerneraient plus. 

La Cour d’appel a rejeté tous ces arguments. 

Elle a confirmé que, normalement, lorsqu’il y a signature par le juge d’un « Approval and Vesting Order » suivie de la signature par le Contrôleur d’un certificat attestant que les conditions propres à la clôture d’une vente d’actifs sont satisfaites, les actifs visés sont dorénavant exclus du patrimoine des débitrices et donc soustraits à la compétence du juge de la restructuration. Cependant, toujours selon la Cour d’appel, si la loi prévoit que le juge de la LACC peut autoriser une vente d’éléments d’actif, il est logique que ce même juge puisse rendre des ordonnances accessoires visant le respect et le suivi des conditions propres à la réalisation de cette vente, surtout lorsque les parties ont pris position en tenant compte de ces conditions et que le juge les considèrent essentielles à ce qu’il a approuvé. Il faut donc distinguer l’intervention du juge se rattachant aux conditions afférentes à la vente que le juge a autorisée de celle qui viserait simplement l’exploitation de l’entreprise de l’acquéreur. Si la compétence du juge est limitée dans le second cas, il en va autrement dans le premier puisqu’il s’agit de l’exercice même de la compétence que la LACC lui reconnaît : 

Ici, dans le processus préalable à la clôture de la vente d’actifs, l’une des débitrices s’est engagée, et l’appelante [BDWBI] y a souscrit comme nouvelle acquéreuse, à la réalisation de conditions énumérées à la Lettre d’entente. La mise sur pied d’un nouveau régime de retraite en fait partie intégrante. L’appelante ne peut prétendre que cela échappe à la compétence du juge de la LACC alors que cette condition n’est toujours pas réalisée. Il est difficile de concevoir, comme le propose l’appelante, qu’en raison du seul Certificat [du Contrôleur], la mise en place du nouveau régime de retraite de l’usine de Stadacona échappe dorénavant à la compétence du juge de la LACC qui la considère essentielle à ce qu’il a approuvé.7

Enfin, l’argument du Syndicat quant à la compétence exclusive de l’arbitre fut jugé inapplicable à une simple demande d’information. 

Commentaires 

La Cour d’appel réaffirme une fois de plus que la LACC établit un mécanisme de restructuration qui se veut souple, où le juge dispose d’un grand pouvoir discrétionnaire, comme l’avait énoncé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Century Services.8 La Cour d’appel en profite également pour rappeler que l’objectif premier de la LACC est de favoriser les réorganisations afin d’éviter les coûts sociaux et économiques inhérents à une liquidation pure et simple de ses actifs. Dans cette optique, le juge supervisant une restructuration devrait considérer les impacts des procédures sur toutes les parties intéressées et non seulement les débitrices :

[L]es objectifs de la LACC ne s’analysent pas uniquement en fonction des impacts sur la ou les débitrice(s) concernée(s). Les autres parties intéressées, ce qui inclut les créanciers, dont les employés ou les retraités, demeurent au cœur des préoccupations du juge responsable d’une restructuration.

[…]

La Cour ne partage pas la vision réductrice des pouvoirs du juge de la LACC que la position de l’appelante semble véhiculer. Elle dénature à notre avis le rôle du juge dans le processus d’approbation d’une vente d’actifs. Ce processus n’est pas l’apanage des débitrices et de l’acquéreur uniquement. Dans le contexte d’une restructuration effectuée sous l’égide de la LACC, les intérêts que le juge doit considérer et protéger vont bien au-delà de ceux de ces seuls acteurs.9

Si la Cour d’appel a laissé entendre que le sort de l’appel aurait pu être différent si l’acquéreur avait pu démontrer un préjudice important, il faut admettre que, loin de causer un préjudice important à quiconque, l’ordonnance du juge Mongeon se veut utilitaire et favorisera la protection d’intérêts importants, soit ceux des retraités des débitrices, lesquels sont directement touchés par le processus de restructuration et la vente des éléments d’actif de ces dernières.

Quoi qu’il en soit, à la lumière de cette nouvelle jurisprudence, il serait opportun de s’assurer que les engagements pris en faveur de tiers soient confirmés par ces derniers comme étant remplis en date de la clôture de la vente. Il serait également opportun de préciser d’emblée et de façon claire si de tels engagements sont une condition propre à la réalisation de la vente et de limiter ou du moins préciser les conséquences pouvant résulter du défaut de les remplir, plutôt que de laisser le soin aux parties prenantes et, ultimement, au juge supervisant la restructuration, de se prononcer à ce sujet.

Cette décision est intéressante aussi en ce qu’elle met en lumière l’importance et l’indépendance du rôle du Contrôleur. En effet, dans cette affaire, le Contrôleur, sans prendre position sur le sort de l’appel, a néanmoins souligné pour sa part que la mise en œuvre des nouveaux régimes de retraite à l’usine de Stadacona, telle que prévue à la lettre d’entente, était directement liée à la vente des actifs autorisée par le premier juge et indissociable des autres conditions. De plus, selon le Contrôleur, BDWBI ne pouvait se prétendre « tierce partie » à la restructuration, car elle était partie prenante du processus de restructuration depuis ses débuts. Elle était donc nécessairement soumise à la juridiction du juge de la LACC pour toute question relative à la vente des actifs. Selon la Cour d’appel, cette divergence d’opinions entre le Contrôleur et les autres acteurs-clés de la restructuration, dont les débitrices, n’était pas banale. Il s’agissait d’un exemple éloquent de l’indépendance du rôle qu’assume le Contrôleur dans la restructuration, renforçant ainsi la crédibilité de ses propos.

Enfin, comme la Cour d’appel le souligne, la problématique au cœur du pourvoi illustre bien que les déficits actuariels des régimes de retraite et les difficultés majeures qu’ils engendrent constituent souvent l’un des éléments les plus complexes et délicats d’une restructuration. Papiers White Birch n’y fait pas exception.

[Mes Gerry Apostolatos et Pascal Archambault représentent les intérêts de Normandin Beaudry, Actuaires conseil inc., administrateur provisoire de sept régimes de retraite, syndiqués et non-syndiqués, dans l’affaire de l’arrangement relatif à la White Birch Paper Holding Company et al. Le déficit actuariel des divers régimes de retraite est de l’ordre de 400 millions de dollars.]


1 White Birch Paper Holding Company (Arrangement relatif à), 2013 QCCA 1302 [White Birch].

2 L.R.C. 1985, c. C-36.                                                          

3 En 2013, le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier s’est uni avec les Travailleurs canadiens de l’automobile pour former un nouveau syndicat nommé Unifor.

4 Le Contrôleur est un officier du tribunal, nommé en application de la LACC pour contrôler les affaires financières et autres de la compagnie débitrice durant le processus de restructuration. Seul un syndic au sens de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (LRC 1985, c B-3) peut être nommé pour agir à ce titre. Dans ce dossier, il s’agissait d’Ernst & Young inc. (MM. Martin Rosenthal, CPA, CA, CIRP, et Jean-Daniel Breton, CPA, CA, FCIRP).

5 Cette association a été créée pour défendre les intérêts des retraités syndiqués et non syndiqués de l’usine de Stadacona de Papiers White Birch.

6 White Birch Paper Holding Company (Arrangement relatif à), 2013 QCCS 1322, par. 12.

7 White Birch, supra note 1, au par. 43.

8 Century Services Inc. c. Canada (Procureur général), [2010] 3 R.C.S. 379, 2010 CSC 60.

9 White Birch, supra note 1, aux par. 38 et 40.

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