La superpriorité du prêteur temporaire est-elle à risque?

Le 7 février 2018, la Cour d’appel a accordé la permission d’en appeler d’une décision rendue le 30 novembre 2017 par la Cour supérieure rendue en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC), dans le cadre de l’arrangement relatif à Gestion Éric Savard inc. et al. (ci‑après appelées collectivement la « Débitrice »)1.

En vertu de l’ordonnance initiale prononcée le 18 mai 20172, la Cour supérieure a notamment autorisé la mise en place d’un financement temporaire jusqu’à concurrence d’un montant de 4 500 000,00 $, en contrepartie d’une charge et d’une sûreté prioritaires grevant tous les actifs de la Débitrice en faveur du prêteur temporaire Fiera Financement Privé inc. (« Fiera »).

Lors d’une audience tenue le 30 août 2017 dans le cadre de laquelle le Contrôleur présentait entre autres au tribunal le rapport de son administration, des créanciers se sont opposés à ce que le produit de la vente de certains actifs de la Débitrice soit remis à Fiera en vertu de sa sûreté prioritaire, au motif qu’ils avaient fourni des biens et services depuis l’ordonnance initiale et qu’ils n’avaient pas été payés en contrepartie de ceux-ci. Selon eux, ils auraient donc préséance sur la superpriorité accordée à Fiera vu la nature de leurs créances.

Le 31 août 2017, le tribunal a pris acte de l’engagement du Contrôleur de conserver en fiducie une somme de 750 000,00 $ en provenance du produit de la vente de certains actifs de la Débitrice « afin d’assurer la disponibilité des sommes nécessaires au paiement des créances postérieures à l’émission de l’ordonnance initiale, le cas échéant », tout en déclarant « que les droits et recours des parties ne sont pas compromis, altérés ou modifiés » par ce dépôt en fiducie. Tout versement par le Contrôleur à même la somme détenue en fiducie se devait par ailleurs d’être autorisé au préalable par le tribunal.

C’est dans ce contexte que le Contrôleur a subséquemment saisi le tribunal afin d’obtenir des directives relativement à la distribution des sommes réservées, en considération notamment de la superpriorité dont bénéficie Fiera en vertu de l’ordonnance initiale.

Par jugement rendu le 30 novembre 2017, la Cour supérieure a conclu que les ordonnances rendues le 31 août 2017 devaient être interprétées de façon à ce que les créances postérieures à l’ordonnance initiale soient payées en premier lieu, à même la somme détenue en fiducie par le Contrôleur, avant la superpriorité de Fiera.

Fiera a porté cette décision en appel.

Saisie de la demande pour permission d’appeler, la Cour d’appel a déterminé que la question suivante méritait d’être tranchée : « La permission d’appeler soulève la question de savoir si la super-priorité accordée au prêteur intérimaire par l’ordonnance initiale délivrée en vertu de la LACC peut être écartée ou surpassée par une créance née depuis l’ordonnance et, si oui, dans quelles circonstances? ».

Comme le souligne la Cour d’appel, il ne fait pas de doute que la réponse à une telle question pourrait avoir des répercussions dans tout le domaine de la restructuration d’entreprises en difficultés financières sous la protection de la LACC et avoir particulièrement un impact sur le comportement qu’auront les prêteurs intérimaires qui doivent décider s’ils octroient le financement temporaire nécessaire à la poursuite des activités d’une débitrice sous la protection de la LACC et dans quelles conditions.

Nous attendrons donc avec impatience l’arrêt de la Cour d’appel qui tranchera cette question.

Entre-temps, il sera plus prudent, pour tout prêteur intérimaire, de s’assurer auprès de la débitrice et du contrôleur que les fournisseurs et prestataires de services soient payés sans retard et, pour ces derniers, de négocier si possible des termes de paiement plus favorables, idéalement sur livraison de biens ou prestation de services.


1 Fonds de financement d’entreprise Fiera FP c. Raymond Chabot inc., 2018 QCCA 199
2 Arrangement relatif à Gestion Éric Savard inc., 2017 QCCS 4733