Infractions pénales : une amende minimale jugée inconstitutionnelle

Le 4 juillet 2017, la Cour du Québec rendait un jugement1 déclarant inopérante l’amende minimale de 10 481 $ prévue à la Loi sur le bâtiment2 pour le défendeur « coupable d’avoir exercé les fonctions d’entrepreneur en construction, sans être titulaire d’une licence3 ».

Le tribunal a analysé le caractère cruel et inusité d’une telle amende au sens de l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés4. Il s’agit d’un premier cas d’application à l’égard d’amendes minimales, le tribunal précisant n’avoir « repéré aucune décision émanant des tribunaux québécois ou des cours d’appel canadiennes ayant déclaré qu’une amende minimale constituait une peine cruelle et inusitée5 ».

Le test applicable pour déterminer s’il s’agit d’une peine cruelle et inusitée au sens de la Charte

La première étape consiste à déterminer, en faisant abstraction de la peine minimale, quelle serait la peine juste et appropriée en analysant la situation particulière de l’accusé. Ensuite, il faut se demander « si la peine minimale obligatoire est exagérément disproportionnée par rapport à la peine juste6 ». Pour ce faire, le tribunal doit s’attarder à divers facteurs pertinents, dont nul n’est, en soi, déterminant :

  • La gravité de l’infraction commise;
  • Les caractéristiques personnelles du contrevenant;
  • Les circonstances particulières de l’affaire;
  • L’effet réel du traitement ou de la peine sur l’individu;
  • Les objectifs pénologiques et les principes de détermination de la peine pertinents;
  • L’existence de solutions de rechange valables au traitement ou à la peine effectivement infligée;
  • La comparaison avec des peines infligées pour d’autres crimes dans le même ressort7.

Les faits

En l’espèce, le défendeur avait démarré son entreprise de gestion de projet. Alors qu’il supervisait des travaux d’installation d’une douche chez un client, le défendeur avait ordonné certaines modifications à apporter à l’installation et pris l’initiative d’acheter et de louer l’équipement et les matériaux nécessaires. Il avait donc exercé les fonctions d’entrepreneur en construction, sans être titulaire d’une licence.

Cette infraction est parmi les plus graves8. L’objectif principal des amendes minimales, augmentées près de 15 fois en 2011, est de « prévenir, combattre et sanctionner certaines pratiques frauduleuses dans l’industrie de la construction9 ». En principe, l’imposition d’une peine minimale ne laisse aucune discrétion au tribunal pour abaisser le montant de l’amende.

Sans banaliser l’infraction commise par le défendeur, la Cour « considère que la peine appropriée est celle qui a pour objectif la dénonciation du comportement illégal du défendeur et la dissuasion générale, en tenant compte des facteurs atténuants suivants :

  • La faible participation du défendeur dans l’exécution des travaux;
  • L’absence d’atteinte à la sécurité du public;
  • L’absence de préjudice en lien avec les actes commis par le défendeur;
  • La faible valeur du contrat en cause (le montant du contrat intervenu entre le défendeur et son client est de 241,44 $, dont une somme de 100 $ constituait le faible profit);
  • Une méprise de bonne foi quant à la portée juridique des gestes du défendeur;
  • La régularisation de la situation par le défendeur;
  • Le défendeur n’est aucunement un entrepreneur frauduleux;
  • Le défendeur n’a pas effectué les travaux au noir;
  • L’absence d’antécédent judiciaire.10 »

Le tribunal note également que les débats entourant l’adoption des articles 46 et 197.1 « laissent entendre que tous les défendeurs poursuivis sont des entrepreneurs qui travaillent au noir et fraudent le gouvernement11 ». Aucune distinction n’est effectuée entre les cas frauduleux et les erreurs commises de bonne foi. Le présent dossier prouve qu’une telle situation n’était pas visée par les objectifs de répression de la criminalité dans le milieu de la construction.

Selon le tribunal, l’amende minimale imposée par l’article 197.1 de la Loi est totalement disproportionnée et excessive dans les cas où « le comportement en cause se situe au bas de l’échelle de gravité12 » contrevient à l’article 12 de la Charte canadienne. Il lui substitue une amende de 50 $!

Les potentielles demandes inspirées du jugement

Il s’agit d’une première en matière d’amende minimale prévue par une loi provinciale : ce jugement devrait inciter les plaideurs à évaluer les chances de succès d’un tel argument constitutionnel. Par exemple, les amendes minimales prévues dans certaines lois, telles que la Loi sur le bâtiment et la Loi sur la qualité de l’environnement13, ont été considérablement augmentées ces dernières années.

Les auteurs tiennent à remercier Virginie Beauchemin, étudiante en droit chez Langlois Avocats, pour sa collaboration à la rédaction du présent article.


1 Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Bédard, 2017 QCCQ 7437, ci-après le « Jugement ».
2 Art. 197.1, RLRQ, c. B‑1.1, ci-après la « Loi »; amende en vigueur au moment des faits.
3 Paragraphe 1 du Jugement.
4 Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c. 11.
5 Paragraphe 18 du Jugement.
6 Caron-Barrette c. La Reine, 2016 QCCA 1197, paragr. 4.
7 Paragraphe 23 du Jugement.
8 Paragraphe 73 du Jugement.
9 Notes explicatives du préambule de la Loi visant à prévenir, combattre et sanctionner certaines pratiques frauduleuses dans l’industrie de la construction et apportant d’autres modifications à la Loi sur le bâtiment, LQ 2011, c. 39.
10 Paragraphe 80 du Jugement.
11 Paragraphe 87 du Jugement.
12 Paragraphe 87 du Jugement.
13 RLRQ, c. Q-2.

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