Être ou ne pas être… conforme

Comment interpréter une clause de « qualité requise » identifiant une marque de produit spécifié : de performance ou de produit spécifié?

Le sous-traitant doit-il présenter une demande d’équivalence lorsque la marque de son produit n’est pas celle identifiée?

L’entrepreneur général doit-il tenir compte des échanges postérieurs au dépôt des soumissions?

Il s’agit des questions auxquelles répond l’affaire Constructions Gagné & Fils c. Contrôles A.C. inc.1 qui traite des obligations des parties en matière d’appels d’offres publics.

Contexte

Récemment, nous agissions comme procureurs du sous-traitant Les Contrôles A.C. (« A.C. »), dont la soumission avait été retenue la plus basse conforme dans la spécialité contrôle pour un projet d’agrandissement d’un édifice municipal. A.C. n’avait pu fournir et installer ses produits parce que l’entrepreneur général, suivant la décision de la ville, avait exigé qu’elle réalise les travaux avec des produits de marque KMC. Or, selon la preuve, seul le second soumissionnaire était habilité à vendre et installer ces produits sur ce territoire.

L’entrepreneur général réclamait à A.C. le prix excédentaire qu’il avait payé à sa concurrente pour l’exécution des travaux avec des produits KMC.

Le litige visait l’interprétation de l’exigence suivante du devis :

« La qualité requise de l’équipement et des systèmes est déterminée dans cette section par les spécifications des produits KMC, aucun équivalent approuvé. »

Les faits

Selon la preuve, les contrôles existants étaient de marque Reliable, soit celle offerte par A.C., que KMC fabriquait sous licence à l’époque de la construction initiale, mais qu’elle ne détenait plus au moment de l’appel d’offres.

Les soumissions n’indiquaient toutefois pas la marque des produits.

Cependant, suite à l’ouverture des soumissions, le second soumissionnaire avait écrit à l’entrepreneur général pour affirmer qu’il était le seul distributeur des produits KMC spécifiés dans ce projet.

A.C. avait aussitôt répondu qu’elle estimait ses produits (Reliable) compatibles à 100 % avec l’existant, tel que l’exigent les devis.

Après avoir pris connaissance de ces échanges, l’entrepreneur général avait déposé sa soumission en prenant le prix d’A.C. Il affirmera qu’il n’avait pas à déterminer si les prétentions de ses sous-traitants étaient fondées ou non puisque leurs soumissions ne faisaient pas état des marques et que les soumissionnaires s’engagent à se conformer aux exigences des devis.

Ayant obtenu le contrat de la ville et accordé un contrat de sous-traitance à A.C., l’entrepreneur général a soumis ses dessins d’atelier aux professionnels qui les ont refusés au motif qu’aucune demande d’équivalence n’avait été présentée.

L’entrepreneur s’est retourné contre A.C. en dommages-intérêts compte tenu de son refus de fournir et installer des produits KMC.

Décision

La Cour a jugé que ce n’est pas A.C. qui a fait défaut de respecter ses obligations, mais bien l’entrepreneur général qui a refusé qu’elle exécute les travaux conformément au contrat.

Sur la base des enseignements de la Cour d’appel dans l’arrêt J.E. Verreault et Fils ltée c. Commission des écoles catholiques de Québec, le tribunal a estimé que l’entrepreneur avait tort de prétendre que seuls les produits KMC répondaient aux exigences de l’appel d’offres puisqu’il s’agissait d’un devis de performance malgré la désignation de cette marque, vu, notamment, l’emploi des termes « qualité requise ». Interpréter autrement le devis serait contradictoire avec l’exigence de compatibilité des produits avec l’existant. De plus, l’interpréter autrement contreviendrait au principe de libre concurrence inhérent au processus d’appel d’offres.

Ce qu’il faut retenir de cette affaire :

  • la désignation d’une marque de produit dans des devis ne signifie pas nécessairement qu’il ne s’agit pas d’un devis de performance;
  • l’utilisation d’une autre marque que celle nommée dans des devis ne signifie donc pas nécessairement qu’une demande d’équivalence soit nécessaire, particulièrement lorsqu’un seul soumissionnaire n’aurait pas à formuler une telle demande, ce qui placerait les autres dans une position d’inégalité;
  • l’interprétation des exigences d’un appel d’offres, particulièrement lorsqu’il est public, doit se concilier avec le principe de libre concurrence;
  • l’entrepreneur général ne peut pas ignorer les éléments d’information qu’il reçoit après l’ouverture des soumissions, particulièrement lorsque sa propre soumission n’a pas été déposée.

1  C.Q., Québec, No 200-22-059502-112.

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