Développement récent en jurisprudence : l’inscription au rôle des constructions faisant partie d’un réseau de télécommunication sans fil

Cet article a d’abord paru dans l’édition de novembre/décembre 2017 du bulletin de l’Association canadienne de taxe foncière.

Le 1er août 2017, la Cour du Québec siégeant en appel a rendu un arrêt d’importance concernant l’inscription au rôle des éléments composant un réseau de téléphonie sans fil1.

Aux termes de l’autorisation d’appel accordée, les appelantes (collectivement « Vidéotron ») se pourvoient à l’encontre d’une décision de la section des affaires immobilières du Tribunal administratif du Québec (« TAQ ») qui a conclut que le réseau de téléphonie sans fil de Vidéotron ainsi que toutes et chacune de ses composantes constituent des immeubles au sens de l’article 900 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») et doivent en conséquence être inscrits au rôle d’évaluation foncière des municipalités en vertu de la Loi sur la fiscalité municipale (« LFM »)2.

Les faits pertinents et la décision du TAQ

Le réseau de téléphonie sans fil de Vidéotron entre en service en 2010. Celui-ci est composé de plus de 1 200 stations de base réparties sur le territoire Québécois et déployées sur des immeubles qui ne lui appartiennent généralement pas. Les installations et équipements de Vidéotron ont été inscrits aux rôles d’évaluation foncière de toutes les municipalités dans lesquelles ils se trouvent.

Vidéotron saisi le TAQ de plus de 150 recours visant des équipements dont elle soutient n’ont pas perdu leur caractère mobilier et qui ne doivent donc pas êtres inscrits au rôle. Ces recours concernent 27 municipalités différentes.

Les dispositions législatives en cause dans cet arrêt sont l’article 1 LFM et l’article 900 C.c.Q qui traitent du concept d’immeuble ainsi que l’article 67 LFM qui concerne les réseaux de télécommunications. L’article 1 LFM définit un « immeuble » de la façon suivante :

1. Dans la présente loi, à moins que le contexte n’indique un sens différent, on entend par :
[…]
« immeuble » :
1° tout immeuble au sens de l’article 900 du Code civil;
2° tout meuble, sous réserve du troisième alinéa, qui est attaché à demeure à un immeuble visé au paragraphe 1°;
(…)
Dans le cas d’un immeuble que visent le paragraphe 1° de la définition du mot «immeuble» prévue au premier alinéa et l’un des paragraphes 1°, 2.1° et 13° à 17° de l’article 204, le paragraphe 2° de cette définition vise uniquement un meuble qui, en outre d’être attaché à demeure à l’immeuble, assure l’utilité de celui-ci. Toutefois, ce paragraphe ne vise pas un tel meuble qui sert, dans quelque mesure que ce soit, à l’exploitation d’une entreprise ou à la poursuite d’activités dans l’immeuble.

L’article 900 C.c.Q. prévoit :

900. Sont immeubles les fonds de terre, les constructions et ouvrages à caractère permanent qui s’y trouvent et tout ce qui en fait partie intégrante.

Le sont aussi les végétaux et les minéraux, tant qu’ils ne sont pas séparés ou extraits du fonds. Toutefois, les fruits et les autres produits du sol peuvent être considérés comme des meubles dans les actes de disposition dont ils sont l’objet.

L’article 67 LFM prévoit quant à lui une règle spécifique qui a pour objet d’exclure du rôle certains immeubles qui devraient autrement y être portés. Cependant, il énonce comme règle que les constructions faisant partie d’un réseau de téléphonie sans fil doivent être portées au rôle. L’article 67 LFM se lit comme suit :

67. Ne sont pas portées au rôle les constructions qui font partie d’un réseau de télécommunication autre qu’un réseau de télévision, de radiodiffusion ou de télécommunication sans fil.

Les deuxième et quatrième alinéas de l’article 66 s’appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires, au cas prévu par le présent article.

Toutefois, ne sont pas portés au rôle un conduit, une voûte souterraine, un puits d’accès et une autre construction qui abrite exclusivement un appareil ou une installation, ainsi que leurs accessoires, servant effectivement au fonctionnement du réseau, à l’exception d’un centre de commutation.

Dans sa décision datée du 11 juin 2014, le TAQ est d’avis que tous les équipements et installations de Vidéotron en litige doivent être portés au rôle puisqu’ils constituent des « constructions » au sens de la LFM et que ces constructions sont des immeubles aux termes de l’article 1 LFM et l’article 900 C.c.Q. De façon subsidiaire, la décision du TAQ édicte également que les équipements de Vidéotron en litige sont des meubles attachés à demeure à un immeuble et deviennent donc des immeubles au sens de l’article 1 LFM.

Motifs d’appel de Vidéotron

Vidéotron argumente devant la Cour du Québec que le TAQ confond les notions de « construction » et « composantes » en étendant le concept de « construction » à toutes les composantes de son réseau de téléphonie sans fil sans évaluer si ces composantes sont réellement des « constructions » au sens de la LFM.

Vidéotron souligne également que les équipements en litige ne sont ni intégrés au sol, ni à un bâtiment. Or, le TAQ a notamment conclut que des équipements légers tels des « system modules », des routeurs et des « media converters » sont des constructions malgré que ceux-ci sont simplement placés sur des étagères sans y être fixés, ne sont pas attachés ou intégrés à la bâtisse et peuvent être facilement retirés ou déplacés sans l’endommager.

Vidéotron reproche au TAQ de considérer des équipements en litige comme étant des constructions pour la raison qu’ils sont reliés entre eux par des câbles électriques DC, RF ou de fibre optique qui peuvent être facilement débranchés.

De plus, Vidéotron prétend que le TAQ fait erreur en assimilant les équipements en litige à des constructions se trouvant sur des fonds de terre au sens de l’article 900 C.c.Q. alors que ces équipements sont installés dans des bâtiments ou structures appartenant à des tiers et que ceux-ci ne sont pas en contact avec le sol.

En ce qui a trait à la conclusion subsidiaire du TAQ à l’effet que tous les équipements en litige sont des meubles attachés à demeure à un immeuble et deviennent donc immeubles au sens de l’article 1 LFM, Vidéotron est d’avis que le TAQ commet une erreur en confondant les concepts d’immeubles et d’unité d’évaluation (voir l’article 41.1 LFM).

Enfin, Vidéotron allègue que certains équipements sont petits et/ou légers alors que d’autres sont plus lourds, mais qu’ils demeurent en général tous remplaçables et déplaçables. En conséquence, selon Vidéotron, ces équipements ne sont pas intégrés aux bâtisses où ils se trouvent et ne sont donc pas des immeubles.

Décision de la Cour du Québec

La Cour du Québec siégeant en appel conclut que le TAQ n’est pas justifié de considérer que l’ensemble du réseau de Vidéotron est en soi un immeuble. En effet, la Cour du Québec rappelle que même si une construction est généralement un immeuble, un immeuble ne constitue pas nécessairement une construction. Ainsi, certaines constructions peuvent ne pas être des immeubles et si tel est le cas, elles ne doivent pas être portées au rôle.

La décision de la Cour du Québec prévoit que le TAQ doit en premier lieu identifier quelles sont les constructions faisant partie du réseau de téléphonie sans fil de Vidéotron et ensuite s’assurer qu’elles sont des immeubles avant de déclarer qu’elles doivent être inscrites au rôle foncier. Or, en considérant le réseau en entier comme un immeuble, le TAQ omet de faire cet exercice.

La décision de la Cour du Québec infirme également la décision du TAQ à l’effet qu’une importance centrale doit être accordée à la notion d’intégrité du réseau puisqu’à la lumière de la preuve d’expertise, il appert que plusieurs composantes du réseau de télécommunication sans fil de Vidéotron n’adhèrent ni ne sont incorporées à un bâtiment et qu’elles demeurent complètes et fonctionnelles même si elles sont retirées du réseau.

En ce qui concerne la conclusion subsidiaire du TAQ, la Cour du Québec rappelle qu’afin de conclure à l’immobilisation des équipements, ceux-ci doivent être attachés à un immeuble et doivent lui être utiles du moins en partie. Cependant, il est manifeste que les équipements de Vidéotron ne servent pas à l’utilité des immeubles sur lequel ils se trouvent. La Cour rejette ainsi et juge sans fondement l’argument du TAQ à l’effet qu’il faut plutôt chercher l’utilité de ces équipements pour l’unité d’évaluation. La preuve non contredite démontrant que plusieurs des équipements en litige sont mobiles, dissociables et indépendants des immeubles-hôtes où ils sont installés, la Cour du Québec conclut que le TAQ s’est trompé en décidant qu’ils devenaient immeubles par attache à demeure.

À la lumière de ce qui précède, la Cour du Québec renverse la décision du TAQ et lui retourne le dossier afin que soit déterminé quelles sont les constructions faisant partie du réseau de téléphonie sans fil de Vidéotron qui doivent être inscrites a rôle foncier, et ce, en conformité avec les principes énoncés par la décision de la Cour du Québec.


1 Vidéotron ltée c. Ville de Montréal, 2017 QCCQ 8483.
2 Vidéotron ltée c. St-Bruno-de-Montarville (Ville de), 2014 QCTAQ 06354.

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