Contrats publics : peut-on rejeter ma soumission?

La conformité d’une soumission repose sur l’analyse de la compatibilité entre deux textes; celui des documents d’appel d’offres et celui de la soumission. Voici deux affaires récentes qui illustrent la diversité des questions soumises à nos tribunaux en la matière. 

Le mystère de la traite bancaire 

Cette première affaire porte sur une condition de conformité. 

C.F.G. Construction inc. (ci-après « C.F.G. ») a soumis le plus bas prix afin d’obtenir un contrat de démolition de la Société immobilière du Québec (maintenant la Société québécoise des infrastructures). C.F.G. apprend avec « stupéfaction » qu’elle n’obtiendra pas le contrat convoité, puisqu’elle a omis de joindre avec sa soumission la garantie de soumission exigée par les documents d’appel d’offres. Selon C.F.G., une traite bancaire a été insérée dans son enveloppe à titre de garantie de soumission. De son côté, la Société immobilière du Québec maintient sa position sur l’absence de garantie de soumission et rejette la soumission de C.F.G. pour non-conformité. Qui a raison? 

Le 5 juin 20151, après avoir entendu la preuve, un juge de la Cour du Québec a conclu que C.F.G. avait bel et bien joint une traite bancaire avec sa soumission, de sorte que celle-ci aurait dû être déclarée conforme. 

Dans son jugement, le juge critique le délai de quatre jours entre l’ouverture des soumissions et l’analyse de la conformité de celles-ci par la Société immobilière du Québec. Dans l’intervalle, la manipulation des soumissions par les employés de la Société immobilière du Québec a généré des risques de perte, notamment le fait d’avoir jeté au recyclage l’enveloppe de la soumission. La traite bancaire de C.F.G. s’est-elle retrouvée au recyclage? 

Somme toute, la Société immobilière du Québec doit assumer la responsabilité qui découle de la perte de la traite bancaire. En conséquence, le juge a accordé 25 000 $ à C.F.G. à titre de compensation pour le profit qu’elle aurait réalisé si elle avait exécuté le contrat. 

Le 16 juillet 20152, la requête pour permission d’appeler du jugement a été rejetée puisque l’affaire est « plutôt factuelle » et que la conclusion du juge de la Cour du Québec selon laquelle une traite bancaire était jointe à la soumission constitue la pierre angulaire de son jugement. 

Le mystère de la traite bancaire est donc résolu. 

Votre attestation de Revenu Québec est-elle valide? 

Cette deuxième affaire porte sur une condition d’admissibilité.

La Société québécoise des infrastructures a lancé un processus d’appel d’offres public pour la construction d’un immeuble à bureaux qu’elle louera pendant 15 ans, avec une option de renouvellement de 5 ans. 

À l’ouverture des soumissions, la Corporation de Développement Bertone (ci-après « Bertone ») est le plus bas soumissionnaire, mais son attestation de Revenu Québec est manquante. Le lendemain, Bertone entreprend des démarches auprès de Revenu Québec afin de compléter sa soumission. La Société québécoise des infrastructures est d’avis que cette démarche est tardive, puisque Bertone n’est pas en mesure de déposer une attestation de Revenu Québec antérieure à la date limite de réception des soumissions. Il s’agit d’une condition d’admissibilité clairement stipulée dans les documents d’appel d’offres. La soumission de Bertone est donc rejetée. 

Par la suite, Bertone a déposé une requête en jugement déclaratoire afin de faire reconnaître la conformité de sa soumission, et a requis la délivrance d’une injonction interlocutoire afin de suspendre le processus d’appel d’offres pendant les procédures judiciaires. 

Le 3 juillet 2015, la juge Gibeau a rejeté la requête en injonction provisoire de Bertone3. À ce stade interlocutoire, la juge a conclu qu’il n’y avait aucune apparence de droit pour le soumissionnaire ayant soumis une attestation de Revenu Québec postérieure à la date limite de réception des soumissions. L’irrégularité de Bertone était fatale quant à son admissibilité à soumissionner pour cet appel d’offres. Lorsque l’attestation de Revenu Québec est manquante, un délai de grâce peut être accordé au soumissionnaire, en autant que l’attestation déposée en retard ait été émise par Revenu Québec avant la date limite pour le dépôt des soumissions, et ce, pour une période d’au plus 90 jours

Avant de déposer une soumission, il ne faut donc pas tarder à demander son attestation à jour de Revenu Québec, parce que cet oubli entraînera le rejet de sa soumission pour cause d’inadmissibilité.


1 CFG Construction inc. c. Société québécoise des infrastructures, 2015 QCCQ 4995.
2 Société québécoise des infrastructures c. CFG Construction inc., 2015 QCCA 1179.
3 Corporation de développement Bertone inc. c. Société Québécoise des infrastructures, 2015 QCCS 3139.

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