Congédiement d’un salarié incompétent : la Cour supérieure se prononce sur l’obligation de l’employeur de le réaffecter avant de le congédier

Un jugement rendu par l’honorable juge Pierre C. Gagnon de la Cour supérieure1 revisite le test proposé par la Cour d’appel du Québec, en 2005, dans l’affaire Costco Wholesale Canada Ltd2 en matière de congédiement administratif pour incompétence. La Cour supérieure tranche qu’avant de procéder au congédiement d’un employé incompétent, l’employeur doit (i) respecter les cinq critères identifiés par la Cour d’appel et (ii) avoir raisonnablement tenté de trouver une solution alternative au congédiement. Voyons plus en détail cette affaire.

Résumé des faits pertinents

La Commission scolaire Kativik embauche M. Harry Adams pour effectuer le remplacement dans un poste de secrétaire-réceptionniste dans un centre d’éducation pour adultes. L’année suivante, la Commission scolaire lui offre un poste permanent de secrétaire. Cinq ans plus tard, en 2004, M. Adams obtient un poste nouvellement créé de technicien en administration.

La preuve démontre que pendant près de dix ans, la Commission scolaire n’adresse aucun reproche à M. Adams quant à sa prestation de travail. Cependant, les choses changent à l’automne 2013 à la suite de l’arrivée d’une nouvelle directrice de l’éducation aux adultes. Dès son arrivée, celle-ci s’aperçoit que la productivité du plaignant est problématique. Plus précisément, la preuve révèle que la seule tâche dont M. Adams est réellement responsable ne l’occupe que pendant l’équivalent de trois jours de travail par mois. Au surplus, la nouvelle directrice se rend compte que la qualité du travail du plaignant est déficiente et qu’il commet des erreurs importantes dans l’accomplissement de ses tâches.

La solution retenue pour remédier à la situation est de soumettre M. Adams à un plan d’amélioration de sa performance de trois mois énumérant les objectifs à être rencontrés par celui-ci et les mesures de soutien qui lui sont offertes. M. Adams n’a toutefois pas été en mesure d’atteindre les objectifs fixés à ce plan d’amélioration et il a continué à commettre des erreurs.

Face à l’échec de M. Adams, la Commission scolaire lui propose une mutation à un poste de réceptionniste, en lui laissant trois jours pour y réfléchir. Cette proposition ayant été refusée par M. Adams, la Commission scolaire le congédie quelques semaines plus tard.

Décision de l’arbitre Me Jean Ménard

L’arbitre retient que l’Employeur accorde un poste de technicien en administration à M. Adams alors que, dans les faits, ses tâches ne correspondent en rien à cette classe d’emploi. Cela étant dit, l’arbitre juge que l’Employeur avait le droit de lui confier de nouvelles tâches lors de l’arrivée de la directrice.

L’arbitre conclut que la Commission scolaire était justifiée de constater l’échec du plan d’amélioration de performance et l’incompétence de M. Adams en qualifiant d’ « écrasante » la preuve portant sur son incapacité à faire son travail de technicien en administration.

L’arbitre poursuit toutefois son raisonnement et détermine que le congédiement du plaignant est abusif, car la Commission scolaire, selon lui, a failli à « son obligation de trouver une solution alternative raisonnable au congédiement de M. Adams3 ». Autrement dit, l’arbitre est d’avis que la Commission scolaire avait, dans les circonstances, l’obligation de le réaffecter dans des tâches moins exigeantes.

L’arbitre ajoute qu’il était déraisonnable de ne laisser qu’un délai de réflexion de trois jours au plaignant pour accepter ou refuser le poste de réceptionniste.

En terminant, l’arbitre souligne que l’Employeur aurait eu intérêt à impliquer le syndicat dans la réalisation du plan d’amélioration de la performance de M. Adams, même si l’exercice de son droit de gérance lui permettait d’agir sans le syndicat. Selon lui, l’Employeur s’est ainsi « privé d’un précieux outil4 » puisque le syndicat aurait pu l’aider à trouver une alternative au congédiement.

En conséquence, l’arbitre Ménard prononce l’annulation du congédiement du plaignant dans sa sentence arbitrale du 27 mars 20155. Par la suite, l’arbitre Ménard rendra le 5 décembre 2016 une deuxième décision portant sur le remède approprié à la suite de l’annulation du congédiement.

Jugement de la Cour supérieure

La Cour supérieure rejette la demande de pourvoi en contrôle judiciaire présentée par la Commission scolaire à l’encontre de la sentence arbitrale. Essentiellement, l’Employeur alléguait que l’arbitre Ménard lui avait erronément imposé une obligation de réaffectation inexistante en droit québécois. De façon subsidiaire, l’Employeur soumettait que si une telle obligation existait, il l’avait remplie lorsqu’il a offert à M. Adams un poste de réceptionniste avant de procéder à son congédiement.

La Cour supérieure conclut dans son jugement que le test de common law imposé à l’employeur souhaitant congédier administrativement un salarié incompétent s’applique en droit québécois. Si une différence de traitement entre les salariés du Québec et ceux du reste du Canada devait exister, c’est le législateur qui devrait faire un tel choix. À cet égard, l’honorable juge Gagnon écrit ce qui suit :

[88] Il est illogique que les règles régissant tant les employeurs que les employés, en situation possible de congédiement administratif pour incompétence, soient différentes au Québec par comparaison du reste du Canada.6

La Cour supérieure confirme donc qu’un sixième critère s’ajoute au test proposé par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Costco Wholesale Canada Ltd. Ainsi, tant les employeurs québécois que ceux des autres provinces doivent respecter les six critères suivants :

  1. Le salarié doit connaître les politiques de l’entreprise et les attentes fixées par l’employeur à son égard;
  2. Les lacunes du salarié lui ont été signalées;
  3. Le salarié a obtenu le support nécessaire pour se corriger et atteindre ses objectifs;
  4. Le salarié a bénéficié d’un délai raisonnable pour s’ajuster;
  5. Le salarié a été prévenu du risque de congédiement à défaut d’amélioration de sa part;
  6. L’employeur doit démontrer avoir déployé des efforts raisonnables pour réaffecter le salarié dans un autre poste compatible.

Le Tribunal confirme donc que l’arbitre a raisonnablement conclu que l’Employeur avait abusivement congédié le plaignant en n’ayant pas cherché de solution alternative raisonnable à son congédiement. Par ailleurs, le Tribunal rejette le moyen subsidiaire de la Commission scolaire par lequel celle-ci prétendait avoir rempli son obligation de réaffectation en offrant un poste de réceptionniste à M. Adams. Le Tribunal confirme que l’arbitre n’a pas rendu une décision déraisonnable et qu’il pouvait conclure que l’offre de réaffectation du plaignant de la Commission scolaire était artificielle et non sincère.

À retenir de cette affaire

Une obligation de réaffectation avant de procéder au congédiement d’un employé incompétent incombe dorénavant aux employeurs suite au rejet du pourvoi par la Cour supérieure. Il s’agit cependant d’une obligation de moyens et non de résultat.

Il faut également comprendre que le jugement rendu par la Cour supérieure n’impose pas cette obligation de réaffectation à tous les employeurs dans toutes les situations. À titre d’exemple, le Tribunal mentionne que cette obligation ne trouverait pas application lorsqu’un salarié est embauché pour exécuter des tâches précises ou lorsqu’aucun autre poste adéquat n’existe.

En somme, les faits particuliers suivants de cette affaire ont incité l’arbitre de griefs à rendre une telle décision :

  • Le plaignant comptait plus d’une dizaine d’années de service;
  • Le plaignant était lié par une convention collective lui conférant une sécurité d’emploi;
  • Les problèmes de productivité n’étaient pas liés à une diminution de ses capacités, mais plutôt à la modification de ses tâches et responsabilités;
  • L’Employeur avait fait défaut d’impliquer le syndicat dans le processus entrepris;
  • La preuve démontre qu’un autre poste moins exigeant était disponible, mais que l’Employeur a laissé une période de réflexion beaucoup trop courte au plaignant.

Quoi qu’il en soit, on dénote une intervention de l’arbitre dans le droit de gérance de l’employeur qui est supérieure à ce qui avait été préalablement constaté dans la jurisprudence. En conséquence, il est très important pour un employeur d’avoir recours à une méthode rigoureuse dans l’évaluation du rendement d’un salarié, puisqu’un manque à ce niveau peut mener à sa réintégration.

Il y a fort à parier qu’il y aura de plus en plus de griefs pour contester la décision d’un employeur de mettre fin à l’emploi d’un salarié en raison de son rendement. En sus de la satisfaction des critères de l’arrêt Costco Wholesale Canada Ltd, les employeurs devront maintenant être prêts à justifier leur décision en démontrant avoir déployé des efforts raisonnables pour réaffecter le salarié dans un autre poste plus conforme à ses qualifications et compétences.


1 Commission scolaire Kativik c. Ménard, 2017 QCCS 4686 (Pierre-C. Gagnon, j.c.s.).
2 Costco Wholesale Canada Ltd c. Laplante, 2005 QCCA 788.
3 Voir le par. 131 de la sentence rendue par l’arbitre Ménard le 27 mars 2015.
4 Voir le par. 129 de la sentence rendue par l’arbitre Ménard le 27 mars 2015.
5 Il importe de souligner que la Commission scolaire a présenté une première demande de pourvoi en contrôle judiciaire, laquelle fut rejetée par l’honorable juge Serge Gaudet pour le motif qu’elle était prématurée (voir 2016 QCCS 3397).
6 Voir le par. 88 du jugement.

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