Commission Charbonneau – préserver la confidentialité ou se défendre : pourquoi choisir?

Octroi de contrats dans l’industrie de la construction1, déploiement de troupes en Somalie2, espionnage au début de la Guerre froide3 : les Commissions d’enquête ponctuent et façonnent l’histoire de l’État moderne. Mais en s’intéressant aux grands enjeux de la société, elles font souvent intervenir les intérêts privés de ses acteurs.

Les Commissions d’enquête constituent en effet un outil unique et indispensable pour enquêter sur des questions d’intérêt public. Leur particularité : elles jouissent d’une complète indépendance et d’une totale immunité qui s’étend non seulement aux commissaires4, mais aussi aux témoins convoqués5. Le corollaire en est cependant que les débats y sont publics; ils servent à la fois à informer la population et, de façon plus fondamentale, à assurer l’équité et la légitimité du processus. D’ailleurs, les médias se hâtent de rapporter au public la preuve administrée au cours des séances, du moindre détail à la plus insignifiante des anecdotes, mais sans se soucier de la valeur ou de la fiabilité de la preuve. Avec l’avènement des nouvelles technologies, il va de soi que cet aspect des commissions a pris des proportions démesurées, au profit certes de l’intérêt du public qui se délecte de ces informations, mais aux dépens des individus souvent victimes des règles de preuves plus souples qui régissent ces commissions.

Le paradoxe entre la publicité des audiences et le droit à la vie privée a été soulevé dans le cadre de la Commission Charbonneau. Aux termes des témoignages, la Commission a transmis à plusieurs personnes des préavis les informant qu’elle envisageait de tirer des conclusions factuelles défavorables à leur égard (« Préavis »). Conformément aux Règles de procédures de la Commission (« Règles »), la teneur des Préavis demeure confidentielle. Cependant, les Règles sont silencieuses quant à la contestation des Préavis, et, surtout, quant à la confidentialité entourant ou non telle contestation. En effet, bien que les Règles prévoient que les Préavis6 sont confidentiels, aucune procédure n’encadre leur contestation. Ces conclusions défavorables pouvaient devenir de facto publiques.

Le paradoxe provenait donc du fait que, comme l’exposait la Commission à la suite d’une demande de contestation à huis clos par une partie, « la personne ayant reçu un Préavis se retrouverait donc devant l’obligation de choisir entre deux droits, celui à la confidentialité ou celui de répondre au Préavis »7.

Afin de résoudre ce problème, la Commission invita les parties intéressées ainsi que les médias à soumettre leurs arguments au soutien d’un huis clos d’une part, ou de la publicité des contestations d’autre part.

Les plaidoiries

Les personnes visées par un Préavis ont alors soulevé les stigmates importants sur leur réputation qu’engendrerait la contestation publique des Préavis, lesquels rappelons-le étaient envoyés même en cas de possibilité minimale de conclusions défavorables. De plus, on fit remarquer que le but d’un tel Préavis confidentiel était précisément de préserver la réputation d’un individu en lui permettant de répondre aux allégations y contenues sans se faire condamner « injustement », et préalablement au rapport final de la Commission, par les médias et la population. En d’autres termes, les personnes visées par un Préavis plaidaient que les bénéfices d’une non-publication étaient plus importants que les effets préjudiciables qu’aurait une telle restriction sur la publicité des audiences.

Pour leur part, les médias plaidaient exactement le contraire. Ils prétendaient qu’une non-publication constituerait un grave manquement à la liberté d’expression, valeur fondamentale de notre système démocratique, et qu’en cas de conflit entre les intérêts privés et les intérêts du public, ces derniers qui devaient prévaloir. Qui plus est, les médias prétendaient qu’en décidant de contester un préavis, une personne visée renonçait tout simplement à la confidentialité de son contenu puisque les débats étaient d’office publics. En somme, c’était l’impasse!

Finalement, la Commission a opté pour une ordonnance de non-publication jusqu’au dépôt de son rapport final. Cette décision permet donc aux personnes visées de présenter une défense devant la Commission sans craindre d’être présumées ipso facto « coupables » par les médias et la population tout en permettant que les contestations écrites deviennent publiques, mais seulement lors du dépôt du rapport.

Au fil des ans, Langlois Kronström Desjardins a représenté de nombreux clients dans le cadre de plusieurs commissions d’enquête telles que la Commission Poitras, la Commission Gomery, la Commission Johnson, ainsi que la Commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie. De plus, Langlois Kronström Desjardins a participé activement aux travaux de la Commission Charbonneau où elle a protégé les droits et intérêts de ses clients.


1 Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, 2011. (ci-après « Commission Charbonneau »)
2 Commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie, 1995
3 Commission Kellock–Taschereau, 1946
4 Loi sur les commissions d’enquête, RLRQ c C-37, art. 16
5 Loi sur les commissions d’enquête, RLRQ c C-37, art. 11
6 Ces préavis servaient à informer l’individu visé que des conclusions factuelles défavorables pourraient être tirées contre lui dans le rapport final. Ces préavis donnaient l’opportunité à la personne visée de présenter une contre-preuve et de se défendre
7 Décision sur la publicité des audiences en réponse aux préavis de conclusions factuelles défavorables, 9 avril 2015, par. 57

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