Blessure lors du déneigement d’un véhicule : un « accident d’automobile » selon la Cour d’appel

Le présent article constitue une version modifiée d’un commentaire initialement paru aux Éditions Yvon Blais en août 2018 (EYB2018REP2523).

Le fait de se blesser en déneigeant sa voiture n’évoque pas spontanément l’idée d’un accident d’automobile. La Cour d’appel reconnaît toutefois, dans les arrêts Vaillancourt c. Blackburn1 et Hôtel Motel Manic inc. c. Pitre2, qu’il peut s’agir d’un accident au sens de la Loi, mettant ainsi un terme à la controverse jurisprudentielle qui prévalait.

I – Les faits

Dans deux décisions rendues le même jour, la Cour d’appel s’est prononcée sur des jugements de première instance dont la trame factuelle et les conclusions juridiques sont similaires. Alors qu’ils déneigeaient leur automobile, Laval Blackburn (« Blackburn ») et Suzanne Pitre (« Pitre ») ont tous deux chuté sur une plaque de glace.

Après s’être adressés sans succès à la Société d’assurance automobile du Québec (« SAAQ »)3, Blackburn et Pitre ont tous les deux introduit un recours civil contre les propriétaires de ces stationnements alléguant un défaut dans leur entretien.

En première instance, les propriétaires défendeurs ont demandé le rejet de ces recours alléguant qu’il s’agissait d’un accident d’automobile. Selon eux, il ne serait pas possible d’intenter une poursuite en raison du régime de responsabilité sans égard à la faute (no fault)4.

II – Les décisions de première instance

La Cour supérieure (dans le cas de Blackburn) et la Cour du Québec (dans le cas de Pitre) devaient déterminer si le déneigement de l’automobile constitue un usage de celle-ci et, le cas échéant, si cette action est visée par l’exclusion d’entretien. S’il ne s’agit pas d’un usage ou s’il s’agit d’une manœuvre exclue, l’accident survenu à cette occasion n’est pas couvert par le régime public d’assurance automobile et un recours civil est possible.

Dans les deux cas, le tribunal de première instance a conclu que le recours civil pouvait se poursuivre et a rejeté la demande en irrecevabilité.

III – Les décisions en appel

La Cour d’appel a conclu que l’action de déneiger est liée à l’usage de l’automobile et non à son entretien. Les accidents de Blackburn et Pitre sont donc couverts par la Loi et le préjudice qu’ils ont subi doit être indemnisé par la SAAQ.

A. Le préjudice causé par l’usage de l’automobile

Dans un premier temps, la Cour d’appel devait déterminer si les dommages ont été causés par l’usage d’une automobile5. Les tribunaux nous enseignent que le préjudice causé par l’usage de l’automobile :

  • s’interprète de manière large et libérale6;
  • ne nécessite pas la présence de quiconque à bord de l’automobile7;
  • ne requiert pas, au moment où l’accident survient, que l’automobile soit en mouvement8.

La Cour retient que le déneigement est intimement lié à l’usage de l’automobile puisqu’il est effectué aux fins de son usage imminent.

B. L’action liée à l’entretien d’une automobile

Ensuite, la Cour devait déterminer si l’accident était survenu à l’occasion d’une manœuvre d’entretien d’une automobile, c’est-à-dire une action visant à maintenir ou à conserver le véhicule en bon état. Dans l’affirmative, il s’agit d’une manœuvre exclue ne pouvant donner lieu à une indemnisation par la SAAQ en cas d’accident.

La Cour a tranché : le déneigement est lié à l’usage du véhicule et non à son maintien en bon état. Le terme « entretien » réfère à l’idée d’action unique ou ponctuelle dont l’effet est durable, ce qui n’est pas le cas du déneigement qui doit être effectué de façon répétée et sans effet durable en période hivernale9.

IV – Commentaire des auteurs

Ces deux décisions de la Cour d’appel renversent le courant jurisprudentiel presque unanime des tribunaux civils et administratifs selon lequel le déneigement d’une automobile n’est pas couvert par la Loi10.

Un tel renversement n’est pas étonnant. Nous avancions d’ailleurs, dans un article publié cet automne au sujet de la décision de la Cour supérieure dans l’affaire Blackburn, que le raisonnement du juge de première instance quant à la notion d’usage pouvait paraître s’écarter de l’évolution de la jurisprudence en la matière. Nous émettions également certaines réserves au sujet de l’application de l’exclusion prévue à la Loi pour les actions liées à l’entretien d’une automobile.

A. L’usage d’une automobile

Le fait que les automobiles soient déjà démarrées ou non lors de leur déneigement ne semble pas avoir été déterminant dans le raisonnement de la Cour, celle-ci étant visiblement d’avis qu’il y a lieu de traiter les deux cas indistinctement.

La Cour retient que le véhicule est déblayé « aux fins de son usage imminent », que « l’usage de l’automobile est tributaire de son déneigement » et qu’il s’agit d’une « mesure nécessaire pour permettre une utilisation sécuritaire de l’automobile »11.

B. L’exclusion de l’entretien

Quant à l’exclusion de l’entretien, la Cour retient une définition plus stricte, renvoyant au maintien en bon état de l’automobile. De plus, elle est d’avis que l’énumération de « l’entretien, la réparation, la modification ou l’amélioration d’une automobile » fait référence à une action « unique ou ponctuelle dont l’effet est durable », par opposition à une « procédure qui doit être effectuée de façon répétée et sans effet durable en période hivernale ».

Conclusion

Nous retenons de cette décision qu’il faut éviter d’analyser de telles situations selon la conception usuelle d’accident d’automobile. Ainsi, il n’est pas nécessaire que le dommage ait été causé directement par le véhicule lui‑même. Il suffit qu’il soit survenu dans le cadre général de l’usage de celui-ci12. Chaque situation est un cas d’espèce qui doit être apprécié à la lumière d’un lien « plausible, logique et suffisamment étroit »13 avec une automobile ou son usage.


1 EYB 2018-295019 (C.A.).
2 EYB 2018-295010 (C.A.).
3 Dans les deux cas, la SAAQ refuse d’accepter la réclamation au motif que le déneigement du véhicule est une manœuvre d’entretien et que les dommages occasionnés ne peuvent être qualifiés de « préjudice causé par une automobile ».
4 Art. 83.57 LAA.
5 Art. 1 LAA.
6 Godbout c. Pagé, 2017 CSC 18; Rossy c. Westmount (Ville de), 2010 QCCA 2131, paragr. 31 (décision cassée par la Cour suprême pour d’autres motifs : Westmount (Ville) c. Rossy, 2012 CSC 30); Productions Pram inc. c. Lemay, EYB 1992-63831, p. 2-3.
7 Ledoux c. 9172-5713 Québec inc. (Cinéma Guzzo inc. et Groupe Guzzo Pont-Viau inc.), 2013 QCCQ 15532 (confirmé par 2015 QCCA 126); Brisson c. Recyclage de papier Rive-Sud, 2016 QCCA 52.
8 Productions Pram inc. c. Lemay, EYB 1992-63831, p. 6.
9 Sont notamment considérés par la Cour comme des manœuvres d’entretien : la vidange de l’huile à moteur, le remplacement du filtre à l’huile, l’inspection et le remplissage, le cas échéant, des systèmes de refroidissement, de freins et de servodirection.
10 Voir notamment : Guichard c. Domaine de Parc Cloverdale, 2016 QCCS 1384; Dorion c. Mascouche (Ville de), 2014 QCCS 3727. Contra : Beauchamp c. Propriété Provigo ltée, 2013 QCCQ 1322.
11 Décisions commentées, paragr. 18 (Blackburn) et paragr. 24 (Pitre).
12 Ibid.
13 Productions Pram inc., précité, note 11.

Flèche vers le haut Montez