Arbitrage commercial au Québec

La Cour d’appel du Québec confirme l’autonomie et l’efficacité de l’arbitrage commercial au Québec.

Langlois Kronström Desjardins a gagné une importante cause portée en appel portant sur l’autonomie et les limites de l’arbitrage commercial dans la province de Québec. Dans une décision fortement attendue, la Cour d’appel du Québec a réitéré que les arbitres commerciaux ont le pouvoir et l’autorité d’interpréter et de faire respecter les ententes commerciales par des ordonnances d’exécution en nature. Ce faisant, elle a confirmé l’autonomie et l’efficacité de l’arbitrage commercial au Québec.

Contexte

Un litige entre Canadian Royalties et Nearctic Nickel Mines concernant leur participation respective dans une propriété minière de la région du Plan Nord, dans le nord du Québec, nommée la propriété Expo Ungava (la « propriété »), est à l’origine de cette affaire. D’importants gisements de nickel, de cuivre et de métaux du groupe platine ont été découverts sur la propriété, située juste au sud de la mine Raglan de Xstrata. Cette propriété est actuellement exploitée par Canadian Royalties, laquelle a investi plus de
500 M$ dans le développement de son Projet Nunavik Nickel.

En 2007, après des années d’exploration fructueuses, une étude de faisabilité bancaire (EFB) a été réalisée et, à la lumière de celle ci, deux institutions financières ont consenti à jouer le rôle de principaux financiers du projet et à déployer tous les efforts en vue de financer le prêt d’au moins 250 M$. Au même moment, Canadian Royalties, jusqu’alors propriétaire à 70 % de la propriété, a revendiqué une participation additionnelle de 10 %, estimant qu’elle avait satisfait aux exigences de la quatrième et dernière option d’acquisition établie dans l’entente d’option et de coentreprise (l’« entente ») entre les parties.

Nearctic Nickel a refusé de céder la participation de 10 % à Canadian Royalties sous prétexte que l’EFB ne satisfaisait pas aux exigences de l’entente. Plus précisément, selon l’interprétation de Nearctic Nickel, l’entente stipulait que l’EFB devait être acceptée par une banque, c’est à dire qu’une banque devait s’engager à financer, sans recours, la totalité des dépenses en immobilisations engagées pour la construction de la mine.

Arbitrage

Canadian Royalties a soumis l’affaire à l’arbitrage. Les principaux enjeux consistaient à déterminer a) si l’EFB satisfaisait aux exigences de l’entente; b) si l’entente exigeait que l’EFB soit « acceptée » par une banque ou une entité financière; c) la définition de cette
« acceptation », si elle constituait une condition préalable; et d) si l’EFB avait été
« acceptée » par une banque ou toute autre entité financière.

Après un processus et une audience de longue haleine, l’arbitre a décidé que Canadian Royalties avait satisfait aux exigences de l’entente en présentant une EFB acceptable à Nearctic Nickel. Selon l’arbitre, l’acceptation d’une EFB par une institution financière n’était pas une exigence pour l’acquisition. Par conséquent, l’arbitre a ordonné à Nearctic Nickel de céder la participation additionnelle de 10 % dans la propriété et de signer les documents nécessaires, à défaut de quoi la décision constituerait un titre de propriété valable.

Procédures judiciaires

Nearctic Nickel a ensuite porté la cause devant la Cour supérieure dans le but de faire renverser la sentence finale sous divers motifs. Canadian Royalties a simultanément fait une requête pour homologuer la sentence.

Pour appuyer sa demande, Nearctic Nickel a présenté plusieurs arguments, dont deux remettaient en question l’autonomie et l’efficacité de l’arbitrage au Québec. Comme premier argument, Nearctic Nickel prétendait que la sentence devait être annulée parce que l’arbitre avait outrepassé sa compétence en réécrivant les exigences de l’entente pour l’acquisition. S’appuyant sur l’affaire Coderre c. Coderre1, entendue par la Cour d’appel en 2008, Nearctic Nickel soutenait qu’un arbitre, contrairement à un juge, ne peut modifier ni contredire les conditions d’une entente écrite selon les règles de la preuve et l’interprétation des contrats, qui le permet lorsqu’un commencement de preuve indique que l’intention commune des parties était autre que celle qui a été établie dans leur entente écrite. Comme deuxième argument, Nearctic Nickel affirmait que le redressement accordé par l’arbitre outrepassait sa compétence, car il équivalait à une injonction, laquelle est un recours de la juridiction exclusive de la Cour supérieure du Québec.

La cause a été entendue par le juge William Fraiberg de la Cour supérieure, qui a présidé l’audience de deux semaines et rendu une décision que les observateurs avisés ont décrite comme étant « très fouillée et d’une grande richesse2 » et qui stipulait qu’un arbitre a la même compétence qu’un juge pour interpréter et faire respecter les contrats, dans l’affaire en question en rendant des ordonnances d’exécution en nature qui ne constituent pas des injonctions.

Jugement de la Cour d’appel du Québec

Nearctic Nickel a porté l’affaire en appel sur autorisation, et la Cour d’appel a rendu sa décision le 29 février 2012. La Cour d’appel a maintenu le jugement
ci-dessous et refusé d’infirmer la sentence de l’arbitre.

La principale question débattue devant la Cour d’appel visait à déterminer si un arbitre pouvait rechercher l’intention commune des parties hors du cadre de leur entente écrite, quand la preuve révélait que cette entente n’établissait pas adéquatement l’accord entre les parties. Canadian Royalties a répondu par l’affirmative et avancé que les arbitres avaient la même licence interprétative que les juges. Nearctic Nickel soutenait que l’arbitre, contrairement au juge, devait s’en tenir à faire respecter l’entente écrite. Selon Nearctic Nickel, s’écarter des dispositions du contrat liant les parties équivalait à réécrire l’entente entre les parties, ce qui est interdit par le paragraphe 944.10 du Code de procédure civile (« C.p.c. »). Cette disposition stipule que les arbitres doivent « dans tous les cas décider con­for­mé­ment aux stipulations du contrat ».

La Cour d’appel a saisi l’occasion de réexaminer ses conclusions dans l’arrêt de principe Coderre c. Coderre et établi que l’affaire Coderre ne permettait pas de conclure qu’un arbitre ne peut avoir recours à l’interprétation pour déterminer la réelle intention des parties. Cependant, cette interprétation doit être faite selon les règles de droit applicables. De plus, selon la Cour d’appel :

« Intentionally inaccurate interpretation is without question an excess of jurisdiction, as is interpretation devoid of any reasonable foundation. Hence, an arbitrator cannot pretend to determine the true intentions of the parties while, as a matter of fact, modifying their rights by adding to or removing from the agreement obligations which are the result of the meeting of the parties’ minds.»

Quand l’arbitre interprète le contrat et rend sa décision, la Cour doit s’en remettre à ses conclusions. Selon la Cour, [TRADUCTION] « le juge […] [doit limiter] son intervention quand il [est] convaincu que le raisonnement de l’arbitre a suivi le chemin de l’interprétation ».

En ce qui a trait à une autre question juridique importante, la Cour d’appel du Québec a maintenu que les arbitres avaient le pouvoir de rendre des ordonnances d’exécution en nature afin d’obliger une partie à s’acquitter de ses obligations contractuelles. La Cour d’appel a ainsi réaffirmé ses conclusions dans l’affaire Services Bérubé ltée c. General Motors du Canada ltée, c’est à dire qu’une injonction n’est requise que lorsqu’il y a une possibilité réelle que le respect de l’ordonnance demandée ne pourrait être assuré que par des sanctions à caractère pénal imposées par l’État en cas de non respect4. Définissant la distinction entre une ordonnance d’exécution en nature et une injonction, la Cour d’appel a fait les remarques suivantes :

«  In order to appreciate whether an arbitrator issued a particular order which would be tantamount to an injunction, one should look at the commercial agreement, determine the true intention of the parties and decide whether, in light of all the circumstances, the pith and substance of the order truly constitutes an injunction with all of its know penal implications or whether it is more of a declaratory nature which serves the purpose of giving full effect to the Arbitrator’s determination of the parties’ rights.»

Conclusion

Le jugement de la Cour d’appel prend toute son importance au moins à trois égards. Premièrement, il confirme qu’un arbitre a la même latitude qu’un juge pour interpréter les contrats. Si le droit du Québec s’applique au contrat, les mêmes règles d’interprétation s’appliquent que l’on soit devant un juge ou un arbitre. Deuxièmement, même en l’absence d’une stipulation législative ou contractuelle spécifique à cet effet, les arbitres ont le pouvoir d’obliger les parties à exécuter leurs obligations contractuelles en émettant des ordonnances d’exécution en nature. Jusqu’à l’avènement de l’affaire Services Bérubé ltée c. General Motors du Canada ltée et de la présente affaire, cette question était âprement débattue.

Troisièmement, et finalement, ce jugement reconnaît la portée limitée d’examen d’un juge une fois la sentence arbitrale rendue. Un juge à qui l’on demande d’infirmer une décision ne peut le faire que dans des circonstances extrêmement limitées et ne peut assurément pas réexaminer une décision rendue au fond par l’arbitre. Confronté à la prétention que l’arbitre « réécrit » le contrat sous le couvert de l’interprétation, un juge doit simplement évaluer si l’arbitre [TRADUCTION] « a suivi le chemin de l’interprétation » et non si l’interprétation était fondée ou correcte.

Flèche vers le haut Montez