Approvisionnement privé en gaz naturel au Québec : le contrat ne peut être résilié avant terme

Dans l’affaire Athena Energy Marketing Inc. c. 9080-9211 Québec inc.1, la Cour supérieure du Québec s’est penchée sur la question de la qualification juridique d’un contrat d’approvisionnement en gaz naturel conclu avec un fournisseur privé2. Suite à une analyse des caractéristiques propres à cette relation contractuelle, la Cour a conclu qu’il s’agissait bel et bien d’un contrat de vente et non d’un contrat d’entreprise ou de service3.

Le contexte

La société « Les propriétés Victoria » (« Victoria ») s’était jointe à un regroupement d’entreprises effectuant l’achat collectif de gaz naturel. Ce type d’entente permet aux entreprises participantes de bénéficier du meilleur prix possible ainsi que de se mettre à l’abri des fluctuations du prix du gaz naturel qui peut être très volatile. C’est en voulant palier à cette volatilité que Victoria a conclu un contrat d’approvisionnement en gaz naturel à prix fixe avec Athena Energy Marketing4 (« Athena ») pour la livraison journalière de gaz naturel pendant une durée déterminée de cinq ans.

Suite à la vente successive de quatre de ses immeubles pour lesquels elle achetait du gaz naturel d’Athena, Victoria a vu sa consommation de gaz diminuer significativement puis disparaître, et souhaitait conséquemment résilier son contrat d’approvisionnement avant la fin du terme contractuel de cinq ans.

Prétentions des parties

Victoria soumettait que le contrat d’approvisionnement n’était pas un contrat de vente, mais plutôt un contrat d’entreprise ou de service. En vertu de l’article 2125 du Code civil du Québec, Victoria prétendait qu’elle pouvait donc le résilier à son gré et n’avait plus d’obligation de paiement envers Athena à compter de cette résiliation. Au soutien de sa prétention qu’il s’agissait d’un contrat de service, Victoria faisait valoir qu’Athena était un négociant de gaz naturel et que cette dernière n’était jamais devenue propriétaire du gaz. Selon Victoria, Athena lui fournissait un service et ne subirait donc aucune perte si elle cessait de le lui fournir.

À l’inverse, Athena plaidait que le contrat d’approvisionnement en était un de vente de gaz naturel et non un contrat d’entreprise par lequel elle rendait des services. Athena s’était elle-même engagée contractuellement auprès de Shell Canada à acheter la quantité de gaz naturel qu’elle revendait à Victoria pour la durée de cinq ans du contrat. Athena était ainsi propriétaire du gaz qu’elle devait revendre à Victoria. S’agissant d’un contrat de vente, Victoria ne pouvait pas y mettre fin avant l’arrivée du terme contractuel de cinq ans5.

Jugement

La Cour supérieure du Québec, « en l’absence totale de preuve sur la nature des services qu’Athena aurait pu rendre outre le fait d’avoir obtenu un bon prix pour l’approvisionnement en gaz naturel », a rejeté l’argument de Victoria selon lequel le contrat d’approvisionnement en était un de service ou d’entreprise :

« [47] (…) Pour reprendre le terme de Victoria, il ne s’agit pas de « commodity trading ». Ce n’est pas parce qu’Athena doit négocier le prix du gaz qu’elle achète et vend qu’elle rend pour autant des services à Victoria ni à aucun autre de ses clients d’ailleurs. »

Le juge, reconnaissant que l’intitulé d’un contrat ne suffit pas en soi à le qualifier, a analysé l’ensemble des clauses du contrat entre Athena et Victoria pour conclure qu’il y avait bien là un acte de vente. Ayant retenu qu’Athena n’était pas un négociant de gaz naturel, le juge a décidé qu’une première vente de gaz avait eu lieu entre Shell Canada et Athena et une seconde entre Athena et Victoria. Ainsi, si Victoria ne consommait pas la quantité de gaz contractée, Athena se retrouvait avec un excédent qu’elle devait nécessairement revendre, ce qu’elle a fait selon les modalités contractuelles prévues entre les parties.

Finalement, prenant en considération la réalité du marché, le juge a retenu qu’il n’était pas possible pour les entreprises d’obtenir un prix concurrentiel fixe les protégeant des fluctuations quotidiennes du prix du gaz naturel tout en se réservant le droit de résilier le contrat unilatéralement. Les économies négociées découlaient nécessairement du volume ainsi que de la durée du contrat. Tel que le mentionne le juge, on ne peut « obtenir le beurre et l’argent du beurre. »

Le juge a donc conclu :

« [61] (…) il est clair aux yeux du tribunal que le contrat P-4 qui liait Athena à Victoria est un contrat de vente et non un contrat d’entreprise ni de services. Conséquemment, Victoria ne pouvait unilatéralement le résilier en invoquant l’article 2125 C.c.Q. (…) »

Commentaires

Le jugement dans Athena Energy Marketing Inc. c. 9080-9211 Québec inc. revêt un intérêt particulier en raison de la distinction qu’il rappelle entre les contrats d’approvisionnement en gaz naturel conclus avec des fournisseurs privés au Québec et les contrats de service que les clients concluent avec Gaz Métro, le distributeur local de gaz naturel québécois. En effet, plusieurs jugements6 prévoient que le contrat de distribution entre Gaz Métro et ses clients est un contrat de service et non un contrat de vente. En tant que propriétaire (par le biais de plusieurs filiales) de gazoducs au Québec, Gaz Métro offre notamment des services de transport et de distribution de gaz naturel qu’elle facture à ses clients7. À l’inverse, les fournisseurs privés (tel qu’Athena) exécutent uniquement des opérations d’achat et de revente de gaz naturel à leurs clients. Cette différence entre les prestations exécutées par ces deux entités est à la base de la distinction quant à la qualification juridique de leurs contrats respectifs au Québec.

Ce jugement rappelle l’importance pour le fournisseur privé de gaz naturel faisant affaires au Québec de s’assurer de la bonne rédaction de son contrat afin que: (a) l’opération de vente y soit clairement reflétée et (b) le client ne puisse prétendre que le fournisseur se devait d’exécuter un quelconque service à son égard. Le fournisseur évite ainsi qu’un tribunal québécois ne qualifie son entente d’approvisionnement de contrat de service (ou d’entreprise) plutôt que d’un contrat de vente. Loin d’être académique, cette nuance est lourde de conséquences, l’absence de droit de résiliation unilatérale du contrat par le client d’un fournisseur privé n’en étant pas la moindre.


 1 Athena Energy Marketing Inc. (Services de gaz naturel RBC inc.) c. 9080-9211 Québec inc. (Propriétés Victoria), 2013 QCCS 2715.
2 Ce jugement a été porté en appel par Victoria, notamment sur cette question. La Cour d’appel du Quebec doit entendre cette affaire au courant de l’automne 2014.
3 Voir les jugements dans le même sens émis par la Cour supérieure du Québec: Groupe BMR inc. c. Superior Energy Management Gas, l.p., 2012 QCCS 952; et Superior Energy Management c. Para-Net buanderie et nettoyage à sec inc., 2012 QCCS 7122.
4 Faisant maintenant affaire sous la dénomination sociale de Services de gaz naturel RBC inc.
5 Bien que Victoria ait cessé de consommer du gaz naturel avant la fin du terme du contrat, le contrat d’approvisionnement contenait une clause de dommages liquidés et de minimisation de dommages selon laquelle Victoria devait payer à Athena la différence entre le prix du contrat et le prix qu’Athena obtenait pour la revente du gaz inutilisé par Victoria au prix du marché.
6 Voir par exemple, Limtech Carbonate inc. (Syndic de), 2012 QCCA 619, par. 7; Société en commandite Gaz Métro c. Duchesne & Associés inc., 2008 QCCQ 5293, par. 2; Société en commandite Gaz Métro, 2011 CanLII 100191, par. 8 (QC RDE).
7 Dans le cas qui nous intéresse, c’est d’ailleurs Gaz Métro qui transportait le gaz naturel du point de livraison de Shell à la frontière de l’Alberta jusqu’aux clients au Québec et tirait un profit de ce service.

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